dimanche 24 décembre 2017

Gnossienne n°1 - Erik Satie (1866-1925)

Alfred Eric Leslie Satie, dit Erik Satie né à Honfleur, le 17 mai 1866 et mort à Paris, le 1er juillet 1925, est un compositeur et pianiste français.



Né de Jane Leslie Anton, d’origine écossaise et d’Alfred Satie, courtier maritime normand, Erik Satie a passé sa jeunesse entre la Normandie et Paris. Après la mort de sa mère en 1872, son père se remarie avec Eugénie Barnetche, professeur de piano, qui enseigne à Erik les bases de l’instrument: L’enfant prend aussitôt en haine et la musique et le conservatoire. 

En 1879, il entre pourtant au Conservatoire de musique. Jugé sans talent par ses professeurs, il est renvoyé après deux ans et demi de cours avant d’être réadmis, fin 1885. C’est durant cette période qu’il composera sa première pièce pour piano connue, Allegro (1884).

En 1886, il compose Ogives, pour le piano. À partir de 1887, il adopte la vie Montmartroise. Il compose ses quatre Ogives pour piano, dont les partitions ne font apparaître aucune barre de mesure, caractéristique qui sera réutilisée pour de nombreuses autres compositions. Il développera aussi très vite son propre style d’annotations sur la manière d’interpréter ses œuvres. 

Les Trois Gymnopédies datent de 1888, les Trois Gnossiennes de 1890. A cette époque commence une longue amitié avec plusieurs poètes, comme Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine ou le poète romantique Patrice Contamine.

En 1890, il fréquente le cabaret le Chat noir où il fait la connaissance de Claude Debussy. En 1891, les deux amis s’engagent dans l’"Ordre kabbalistique de la Rose-Croix" fondé par le "sâr" Joséphin Péladan et par Stanislas de Guaita. En qualité de maître de chapelle de cet ordre, il compose plusieurs œuvres dont les Sonneries de la Rose-Croix et Le Fils des Étoiles. Poursuivant son engouement mystique, il crée sa propre église: l’"Église métropolitaine d’art de Jésus-Conducteur" et lance des anathèmes contre les "malfaiteurs spéculant sur la corruption humaine". Il en est à la fois le trésorier, le grand-prêtre, mais surtout le seul fidèle. Contraint à cette réalité, il l’abandonne.

En 1891, il compose les Trois Préludes du Fils des étoiles "wagnerie kaldéenne" sur un texte de Péladan. On fera de cette œuvre une source d'inspiration de Pelléas de Debussy. En 1892-1893, il compose les Danses gothiques (écriture sans barres de mesure, utilisation d'accords parallèles de 9e et de 11e) et en 1895, la Messe des Pauvres pour chœur et orgue.

Le 18 janvier 1893, commence une relation amoureuse avec l’artiste peintre Suzanne Valadon. Bien qu’il l’ait demandée en mariage après leur première nuit, le mariage n’aura jamais lieu. Cinq mois plus tard, le 20 juin, leur rupture brisera Satie "avec une solitude glaciale remplissant la tête de vide et le cœur de tristesse". On ne lui connaît aucune autre relation sentimentale sérieuse et avouée. Comme pour se punir lui-même, il compose Vexations, un thème construit à partir d’une mélodie courte, qu’il faut répéter 840 fois, selon ses notes. La même année, il fait la connaissance de Maurice Ravel, dont il écrira plus tard : "Ravel vient de refuser la Légion d’honneur, mais toute sa musique l’accepte".

Vers 1910, il se rapproche de novateurs comme Diaghilev, Picasso. En 1915, il fait la connaissance de Jean Cocteau avec qui il commencera à travailler à partir de 1916. Il fait également la connaissance, par l’intermédiaire de Picasso, d’autres peintres cubistes, comme Georges Braque, avec qui il travaillera sur Le piège de Méduse.

En 1919, il est en contact avec Tristan Tzara qui lui fait connaître d’autres dadaïstes comme Francis Picabia, André Derain, Marcel Duchamp, Man Ray avec lequel ils fabriqueront son premier ready-made. Au commencement de l’année 1922, il prend le parti de Tzara dans le différend entre Tzara et André Breton au sujet de la nature vraie de l’art d’avant-garde, tout en parvenant à maintenir des relations amicales dans les deux camps. Il compose Socrate, certainement son chef-d'oeuvre en 1918.

Le 1er juillet 1925, Erik Satie meurt sur son lit d’hôpital. A sa mort, ses amis pénétrèrent dans son studio d’Arcueil, auquel Satie refusait l’accès à quiconque. Ils y trouvèrent deux pianos complètement désaccordés et attachés ensemble, remplis de correspondances non ouvertes et derrière lesquels ont été retrouvées un certain nombre de partitions jusqu’alors inédites. Dans un placard, une collection de parapluies et de faux-cols. Et dans l’armoire, des costumes de velours gris identiques au sempiternel costume que Satie portait toujours: il les avait fait faire d’avance et en prenait un nouveau lorsque le précédent commençait à être trop usé.

L’état du studio révélait la pauvreté dans laquelle avait vécu Satie : ne pouvant vivre de ses talents de musicien, il ne se plaignait toutefois pas ou très peu. Quant à demander une aide financière à ses proches, c’était chose encore plus rare et plus difficile pour lui. Quelques rares proches se doutaient de sa situation, mais ce n’est qu’à sa mort, en découvrant l’appartement, qu’ils prirent conscience de la misère dans laquelle il vivait, misère qu’il surnommait "la petite fille aux grands yeux verts".

Erik Satie a été défini tour à tour – selon les époques et les circonstances – comme un musicien "grec", "médiéval", "oriental", "fantaisiste", "humoriste", "mystique" ou "dadaïste". Son œuvre témoigne, en tous cas, d’une réflexion originale sur la musique en général, mais aussi en relation avec les autres disciplines artistiques, la poésie et la peinture tout particulièrement.

Ayant touché aux genres les plus divers – de la musique "à genoux" à la musique populaire, du "drame symphonique" au "ballet instantanéiste" –, Satie n’a pas manqué d’en inventer de nouveaux, telle la musique d’ameublement, faite « pour ne pas être écoutée », ou la musique de film qu’il conçut à une époque où le cinéma était encore silencieux. 
Satie a collaboré avec Picasso, Picabia, Derain, Braque, Léon-Paul Fargue, Cocteau, Tzara et René Clair. La singularité de sa démarche a marqué Debussy, Ravel, Stravinsky et John Cage. De nos jours, les jeunes adeptes de la musique "répétitive", de la musique "expérimentale", de la musique "minimaliste", de la musique "d’ambiance" et de la musique "conceptuelle" se réclament tout naturellement de lui. Pour Virgil Thomson, l’esthétique d’Erik Satie est la seule esthétique musicale du XXe siècle.


Citations d'Erik Satie

"Je suis venu au monde très jeune dans un monde très vieux."
Extrait des Ecrits

"Il ne suffit pas de refuser la Légion d'Honneur ; encore faut-il ne pas la mériter !"

"Quand j’étais jeune, on me disait : “Vous verrez quand vous aurez cinquante ans”. J’ai cinquante ans, et je n’ai rien vu."

"S'il me répugne de dire tout haut ce que je pense tout bas, c'est uniquement parce que je n'ai pas la voix assez forte."
Extrait des Ecrits

"La poutre qui est dans l’oeil de chaque critique lui sert de longue-vue pour apercevoir la faille qui est dans l’oeuvre de chaque auteur."

"Si vous voulez vivre longtemps, vivez vieux."
Extrait des Cahiers d’un mammifère

"Plus je connais les hommes, plus j’admire les chiens."
Les Raisonnements d’un têtu

"J'ai dû oublier mon parapluie dans l'ascenseur. Mon parapluie doit être très inquiet de m'avoir perdu."
Extrait des Ecrits

jeudi 26 octobre 2017

Raison et Foi - Edgar Morin (1921-)

Les religions monothéistes supposent la foi: foi en la Révélation, en la Résurrection, en la dictée du Coran par l'ange Gabriel à Mohamed.

Dans sa première épître aux Corinthiens, Paul insiste sur le "scandale" que représente la foi au Christ pour la raison (1, 23) et il annonce le credo "quia absurdum", je crois parce que c'est absurde: la raison n'a pas les capacités de connaître les mystères divins, et ce qui lui semble absurde est la vérité la plus profonde. Dans un passage sublime de cette même épître, Paul exalte l'amour - ou la charité entendue dans le sens originaire du mot, ce qui vient de cœur: "Quand j'aurais la plénitude de la foi, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien" (13,2).

Pascal reprendra l'idée qu'il y a des vérités du cœur inaccessibles à la raison "Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas".

Le divorce entre foi et raison a été accentué par les premiers conciles chrétiens établissant le dogme de la Trinité, totalement absurde au regard de la logique classique. Augustin (354-430) a insiste a son tour sur le caractère irréductible et inaccessible de la foi à la raison. 

Saline Royale d'Arc et Senans - Aquarelle de Xavier Gaugler

Au Moyen-âge, les monothéismes ont certes tenté d'introduire la raison dans la religion comme appui, voire comme confirmation. Ce fut le cas du musulman Averroès et du juif Maïmonide au XIIème siècle, et du chrétien Thomas d'Aquin qui, au XIIIème siècle, a voulu montrer que les dogmes ne sont pas impossibles rationnellement et qu'il existe une théologie naturelle où la raison accède par ses propres moyens aux vérités de la foi, comme des preuves "rationnelles" de l'existence de Dieu à partir de l'évidence sensible.

Cette belle cathédrale théologico-rationnelle se fragilise à partir de la Renaissance, quand se développent une rationalité autonome inspirée des Grecs, puis la science moderne qui, à partir de Galilée et Copernic, contredit la naïve vision du monde donnée par la Bible.

Au XVIIème siècle, Pascal vit intensément la relation à la fois antagoniste et complémentaire entre la raison et la foi. Il utilise les moyens de la rationalité scientifique qui n'est pas seulement fondée sur une construction logique, mais aussi sur l'accord entre la théorie et les expériences sensibles. Mais il comprend que l'existence de Dieu ne peut être prouvée rationnellement et revient au credo quia absurdum. Faute de pouvoir démontrer rationnellement l'existence de Dieu, il fait le pari de cette existence. Il dépasse la raison en utilisant les moyens de la rationalité scientifique qui n'est pas seulement fondée sur une construction logique, mais aussi sur l'accord entre la théorie et les expériences sensibles.

Pascal veut montrer rationnellement les limites de la raison, son incapacité à se hisser aux grands mystères, et son insuffisance par rapport au cœur, c'est-à-dire l'amour. Il pousse à l'extrême le corps à corps entre la raison et la foi, à une lutte intime dans une dialogique où elles sont à la fois ennemies et inséparables.

Malgré le fossé qui les sépare, foi et raison peuvent néanmoins coexister: il y a bien des savants qui sont croyants ! On ne peut pas dire que la foi chasse la raison, ni que la raison suffit à chasser la foi.

La dialogique entre foi et raison existe dans d'autres voies que les religions révélées. Ainsi, Spinoza élimine le Dieu créateur extérieur au monde, estimant que la créativité est dans la nature qui s'auto-crée, s'auto-développe. La raison ne peut, certes, totalement expliquer cette créativité, mais la connaissance rationnelle est capable de la reconnaître. De même, dans une conception laïcisée de l'humanité et du monde, on peut vivre une foi dans les valeurs, de fraternité, d'amour, sans support des religions révélées. Mais on ne peut pas rationnellement prouver qu'il faut aimer, ni être absolument assuré de la victoire de l'amour. Parfois on croit même servir l'amour en faisant le contraire...

La foi dans la raison ne peut être totalement assumée, dans le sens où la raison ne peut pas tout expliquer. Mais on peut avoir une foi dans les vertus de la raison par rapport aux délires et aux illusions. Il y a l'inconnu, le mystère, l'aventure humaine qui est elle-même inconnue et pour laquelle nous avons besoin de beaucoup de raison et de beaucoup de foi.

Source: Le Monde des Religions n°20, Novembre-Décembre 2006
Edgar Morin, philosophe, sociologue et anthropologue

mardi 5 septembre 2017

Falling Catching - Agnes Obel (1980-)

Agnes Obel, née en 1980 à Copenhague (Danemark), est une auteur, compositrice et interprète danoise dont le premier album, Philharmonics, est sorti en 2010.

 Falling Catching (album Philharmonics 2010)


Agnes Obel (1980-)
Agnes Caroline Thaarup Obel est née le 28 Octobre 1980 à Copenhague, Danemark. Sa mère pratique le piano et joue souvent les pièces pour enfants de Bartók et Chopin. Son père fut, dans sa jeunesse, un guitariste professionnel.

Agnes Obel passe sa scolarité au lycée Det frie Gymnasium et étudie à l'Université de Roskilde, Danemark. Enfant, elle écoute régulièrement les mélodies de Jan Johansson. Pianiste de jazz, Johansson reprend au piano des chansons folk traditionnelles en les accompagnant de mélodies d'une grande simplicité.

La chanteuse intègre son premier groupe de rock à l'âge de 7 ans et joue de la basse en faisant quelques petites tournées. Après de vrais débuts dans le groupe danois Sohio, Obel se lance dans une carrière solo en 2009. 

Agnes Obel écrit, compose et interprète l'intégralité des titres de son premier album: Philharmonics (album) (en) (2010). Travaillant principalement seule, elle produit elle même ses travaux afin de limiter le plus possible les interventions extérieures.

En représentation publique, Obel est accompagnée de la violoncelliste allemande Anna Müller. Son style s'inspire autant de musiciens français: Claude Debussy, Maurice Ravel ou Erik Satie que d'auteurs-compositeurs plus contemporains comme Joni Mitchell, Roy Orbison, Elliott Smith. Erik Satie, notamment, va largement influencer l'atmosphère de son premier album : Philharmonics (album).

Depuis 2005, Agnes Obel vit à Berlin.

lundi 31 juillet 2017

Ce que c’est que la mort - Victor Hugo (1802-1885)

Ne dites pas : mourir ; dites : naître. Croyez.
On voit ce que je vois et ce que vous voyez ;
On est l’homme mauvais que je suis, que vous êtes ;
On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes ;
On tâche d’oublier le bas, la fin, l’écueil,
La sombre égalité du mal et du cercueil ;
Quoique le plus petit vaille le plus prospère ;
Car tous les hommes sont les fils du même père ;
Ils sont la même larme et sortent du même œil.
On vit, usant ses jours à se remplir d’orgueil ;
On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, on tombe,
On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe.
Où suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnu
Vous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu,
Impur, hideux, noué des mille nœuds funèbres
De ses torts, de ses maux honteux, de ses ténèbres ;
Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini
Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est béni,
Sans voir la main d’où tombe à notre âme méchante
L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante.
On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent
Fondre et vivre ; et, d’extase et d’azur s’emplissant,
Tout notre être frémit de la défaite étrange
Du monstre qui devient dans la lumière un ange.
Les Contemplations, Victor Hugo - "Ce que c’est que la mort"
Au dolmen de la tour Blanche, jour des Morts, novembre 1854.



Victor Hugo (1802-1885)
Victor, Marie Hugo, né le 26 février 1802 à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris, est un poète, dramaturge et prosateur romantique considéré comme l'un des plus importants écrivains de langue française. Il est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a compté dans l'Histoire du XIXe siècle. 

Victor Hugo, chef de file du mouvement romantique, est l’auteur de nombreux chef d’oeuvres: Les Misérables, Les Châtiments, ou encore Les Contemplations.

Le recueil "Les Contemplations", est construit en deux parties, séparées par une date, le 4 septembre 1843, jour de la mort accidentelle de sa fille. La première partie, "Autrefois", est consacrée aux poèmes du bonheur, la seconde est une méditation sur la mort et la destinée humaine.

mardi 30 mai 2017

De Natura Rerum - Lucrèce (-98?/-54?)

"De rerum natura" (De la nature), plus souvent appelé "De natura rerum", est un grand poème en langue latine du philosophe latin Lucrèce qui vécut au premier siècle avant notre ère. Composé en hexamètres dactyliques, le mètre classique utilisé traditionnellement pour le genre épique, il constitue une traduction, au sens où on l'entendait à l'époque, de la doctrine d’Épicure. 

Arbre dans un champ (2010) - Françoise Hennebert


Le poème se présente comme une tentative de "briser les forts verrous des portes de la nature", c’est-à-dire de révéler au lecteur la nature du monde et des phénomènes naturels. Selon Lucrèce, qui s'inscrit dans la tradition épicurienne, cette connaissance du monde doit permettre à l'homme de se libérer du fardeau des superstitions, notamment religieuses, constituant autant d'entraves qui empêchent chacun d'atteindre l'ataraxie, c’est-à-dire la tranquillité de l'âme.

L'histoire de Rome est marquée à cette époque par une crise des valeurs traditionnelles, telle celle de l'idéal de vertus prônant le courage, la loyauté et la modération, qui se trouve souvent bafoué et désavoué. Pourtant cet idéal, soutenu par les stoïciens, avait jusque-là cimenté la société. Par ailleurs, l'influence de la culture grecque sur la culture romaine est parfois vécue comme une revanche des vaincus (Grecs) sur les vainqueurs (Romains), ce qui explique la résistance rencontrée par ceux qui tentèrent de diffuser la doctrine épicurienne à Rome. 

Mais ces résistances n'ont pas empêché la doctrine épicurienne de se répandre, notamment dans les milieux de la noblesse, et plus particulièrement dans la région de la Campanie. La nouveauté de Lucrèce, comme le met en valeur Cicéron, est de diffuser cette doctrine sous la forme d'une poésie grandiose, et non, selon les termes de Cicéron, "sans aucun art", "sans netteté, sans ordre et sans ornement", comme l'avaient fait jusque-là les prédécesseurs de Lucrèce.

Lucrèce n'a pas la prétention de créer de nouveaux concepts, mais de traduire Epicure, c’est-à-dire, selon l'acception ancienne du mot traducere, de transmettre le système épicurien, alors vieux d'environ deux siècles. Il est notable qu'au moment des troubles politiques, c'est la doctrine de l'épicurisme, prônant un repli sur soi pour échapper aux perturbations de la politique, qui commence à prévaloir sur celle du stoïcisme, laquelle en appelait au contraire à la participation (mesurée et à bon escient) du sage aux affaires de la cité.

L'originalité subversive d’Épicure, à son époque, était de glorifier l'individualisme au moment où les autres doctrines érigeaient la "vertu" qui passait par les affaires publiques, ou du moins les relations avec les autres citoyens, en qualité morale indispensable. Épicure refuse cet idéalisme moral, en affirmant que le bonheur consiste uniquement dans l'absence de douleur et de troubles. "Je crache sur la moralité et sur les creuses admirations qu'on lui décerne, quand elle ne produit aucun plaisir", déclare-t-il.

Le style d'Epicure était d'une technicité qui en rendait la lecture difficile. Dans sa traduction de ce qu'il appelle lui-même un « sujet obscur », Lucrèce restitue sous une forme poétique ce qu'il a pu extraire des textes de son maître: c'est un imitateur original, sans lequel la doctrine épicurienne n'aurait peut-être pas été promise à l'avenir qu'elle a connu. 

Le rôle de Lucrèce dans la diffusion de la doctrine épicurienne est d'autant plus grand que certains points de la doctrine d'Epicure ne figuraient pas dans les textes de ce dernier qui ont pu être conservés: ainsi le concept de clinamen ou « déclinaison », déviation minimale des atomes qui explique la formation du monde et de la matière, ne se trouve que dans le De natura rerum. Or, ce concept est particulièrement important puisque, non content d'expliciter la constitution d'un monde fini dans l'univers infini, il garantit la liberté de l'homme, son élan vital, puisque la déviation minimale et spontanée que subissent les atomes est régie par le hasard, et non par quelque déterminisme. 


Le choix de la forme poétique

Si le thème de la nature des choses est "un sujet obscur", il convient alors de développer des stratégies pour le rendre intelligible. C'est l'une des raisons pour laquelle Lucrèce fait le choix de la forme poétique, afin, comme il le dit, d'imprégner sa doctrine salvatrice "du doux miel de la poésie", comme le ferait un médecin avec un médicament, une distinction d’avec les Épicuriens.

Épicure et ses disciples méprisaient toute élaboration littéraire. Épicure recommande à Pythoclès, son disciple, de "se boucher les oreilles avec de la cire comme l'Ulysse d'Homère", de fuir à pleines voiles, pour ne pas céder aux "incantations des sirènes de la poésie". La poésie doit rester un pur divertissement, faute de quoi elle possède "la séduction pernicieuse des mythes" à laquelle il est indispensable de résister, comme à toute superstition qui trouble l'âme

Les poètes que l'on appelle "matinaux", tels les présocratiques Empédocle et Ennius, prétendent révéler la nature du monde, c’est-à-dire faire apparaître une cosmogonie par le puissant intermédiaire que constitue le verbe. Lucrèce souligne fréquemment le caractère efficace de son verbe, comme le montre le grand nombre d'occurrence des verbes "dire" et "révéler" dans le poème.

La nature, selon Lucrèce, possède une forme éternellement changeante: les spectacles qu'elle offre nous sont livrés sous la forme d'"espèces" toujours renouvelées, que seule l'habitude nous empêche d'appréhender dans leur éternelle nouveauté. La nature se dévoile au poète, qui a pour fonction presque divine de la révéler à son tour aux hommes.

Lucrèce explore une nouvelle dimension du rapport entre la nature et l'homme, celui-ci acquérant face à la nature la qualité d'un sujet moral. La notion de pacte (foedera), élaborée déjà par la religion romaine et reprise par Lucrèce, pour désigner les lois et limites de la nature, signifie  que l'homme doit connaître et accepter ces lois. Mais Lucrèce suggère pour la première fois qu'il est possible à l'homme de rompre ce pacte: une fois le rapport homme/nature libéré de l'idée transcendante de religion, la responsabilité morale de l'homme n'en devient que plus forte. L'homme doit braver "la religion traditionnelle et son regard hideux" afin de se consacrer à l'étude des phénomènes naturels.

Lucrèce expose la vision épicuriste du monde: tout, y compris l'âme humaine et les dieux eux-mêmes, est entièrement constitué d'atomes dans le vide. Ce système équivaut à une critique des superstitions religieuses. Les dieux, habitants des intermondes, vivent une vie bienheureuse et n'interviennent en rien sur les destinées humaines. L'âme, composée d'atomes, se désagrège à la mort. En refusant une vie éternelle, l'épicurisme refuse aussi la peur de la mort.

En attribuant à l'atome lui-même le mouvement de la génération et le changement qui permet le passage d'un étant à un autre, Epicure s'oppose radicalement à la conception finaliste d'Aristote. Pour Epicure, il n'existe pas de finalité, mais deux choses: les "mouvements appropriés" des atomes d'une part, et d'autre part, les "pactes" mystérieux par lesquels la nature se fixe des limites. Cela implique donc la causalité des phénomènes naturels et de la matière, affranchie de toute finalité : la nature n'est qu'une force aveugle.

La conception de la nature comme assemblage d'éléments premiers non caractérisés et immuables entraine une conception du vide propre à Epicure, et par la suite à Lucrèce, qui diffère de celle des présocratiques comme Empédocle et Anaxagore, pour lesquels il existe un principe premier duquel toutes les choses naturelles découlent. Le non-être au sens de Parménide, c’est-à-dire comme principe annihilant, n'est pas repris par Epicure et Lucrèce: selon eux, les corps, les atomes ont le même statut ontologique que le vide. Le réel est composé aussi bien de vide que d'atomes, et le non-être fait partie du réel au même titre que les corps. 

Le clinamen est la déclinaison des atomes, c’est-à-dire un mouvement minimum qu'ils subissent obligatoirement (fautes de quoi les atomes tomberaient verticalement dans le vide et aucun monde ne pourrait naître) mais d'une manière totalement aléatoire. Cette variation minimum dans le mouvement vertical des atomes.

La cohabitation de la déclinaison fortuite des atomes et d'un monde stable trouve un écho dans certaines philosophies modernes. Lucrèce, par ses références aux "tourbillons", privilégie l'aspect mouvementé, le travail de désagrégation de la nature, sur l'immobilité du monde. Il s'oppose quelque peu en cela à Epicure, qui pour sa part donne une grande place à  "l'équilibre stable de la chair."

Selon la doctrine épicurienne, quiconque est en mesure d'échapper aux maux physiques peut atteindre le bonheur. En dehors de la faim, de la soif, de la douleur, les seules entraves au bonheur sont les terreurs imaginaires, dont le fonctionnement de la raison, en s'appliquant à la connaissance de la nature, peut nous aider à nous délivrer. Cet état dont le trouble est absent est appelé "ataraxie".



Lucrèce présente d'emblée la volupté comme associée à la nature. Cela se traduit sur le plan du mode de vie par le concept de locus amoenus, "lieu agréable où l'on se retrouve entre amis, couchés dans l'herbe tendre". Cette idée d'un lieu retiré, hors de portée des turpitudes de la vie politique corrompue, aura une grande fortune par la suite, et le locus amoenus devint rapidement un lieu commun de la littérature latine avant d'inspirer les poètes de la renaissance. Le sage se retrouve "entre soi" avec ses amis, dans le plaisir de l'échange sans identification. Le lieu de prédilection du sage se présente comme une sorte de jardin clos qu'on ne peut quitter sans regret pour retourner dans le monde extérieur et l'univers où règne la violence. 



Structure du poème

De Natura Rerum - Lucrèce
"De rerum natura", composé à partir de l'ouvrage d'Épicure. Le poème s'adresse à Memmius, habituellement identifié à un patricien romain, protecteur des lettres et des poètes préteur en -58, gouverneur de la Bithynie en -57.

La Nature, est rédigé en hexamètres dactyliques. Il comprend 7415 vers et se compose de six livres se regroupant en trois parties successives :
* La première partie porte sur la nature considérée dans ses constituants essentiels, les atomes et le vide:

Elle correspond à peu près à la Lettre à Hérodote d’Epicure : dans le vide tombent éternellement des atomes indivisibles, indestructibles, semences de tous les univers passés, présents ou à venir, car rien ne se crée, rien ne se perd (livre I). La pesanteur et une certaine "déclinaison" (clinamen) de la verticale les amènent à se grouper, à donner naissances aux corps inertes et animés, sans l’intervention des dieux (livre II).

* La deuxième partie est consacrée à l’homme:

Elle recouvre partiellement la Lettre à Ménécée: l’homme est matériel, même son esprit et son âme. Matériel donc mortel, car toute combinaison d’atomes finit par se résoudre en ses éléments. Et, si l’âme est mortelle, une vie future n’est pas à craindre (livre III).

A l’origine de la connaissance sont les sensations qui, matériellement émanées des corps, ne trompent pas si on les interprète sans illusions passionnelles (livre IV).

* La troisième partie porte sur le monde et les choses de la nature:

Elle recouvre en partie la Lettre à Hérodote et la Lettre à Pythoclès: le monde non plus n’est pas l’œuvre des dieux : son évolution et celle de l’humanité peuvent se suivre à partir de combinaisons fortuites par progrès conjoints (livre V). Et les phénomènes les plus étranges qui épouvantent les hommes, même les épidémies, sont dus à des causes naturelles (livre VI).



Biographie de Lucrèce  (-98?/-54?)

Lucrèce , poète latin, Gravure de M. Burghers
Lucrèce (en latin Titus Lucretius Carus) est un poète et un philosophe latin du Ier siècle av. J.-C., (peut-être 98-54), auteur d'un seul livre inachevé, le "De rerum natura", un long poème passionné qui décrit le monde selon les principes d'Épicure.

C’est essentiellement grâce à lui que nous connaissons l'une des plus importantes écoles philosophiques de l'Antiquité, l'épicurisme, car des ouvrages d’Épicure, qui fut beaucoup lu et célébré dans toute l’Antiquité tardive, il ne reste pratiquement rien, sauf trois lettres et quelques sentences.

Si Lucrèce expose fidèlement la doctrine de son Maître, il met à la défendre une âpreté nouvelle, une sombre ardeur. Son tempérament angoissé et passionné est presque à l’opposé de celui du philosophe grec.

Lucrèce a vécu dans une période de troubles politiques, marquée par des massacres (massacres de Marius), des dictatures (Sylla, de -82 à -79), des révoltes d’esclaves durement réprimées (révolte de Spartacus, de -73 à -71), ou encore des guerres nombreuses et violentes.
De là, les pages sombres du De rerum natura sur la mort, le dégoût de la vie, la peste d’Athènes, de là aussi sa passion anti-religieuse qui s’en prend avec acharnement aux dieux, aux cultes et aux prêtres, passion que l’on ne retrouve pas dans les textes conservés d’Épicure, même si celui-ci critique la superstition et même la religion populaire.

La vie de Lucrèce nous est à peu près inconnue. On raconte (mais ce point est loin d'être prouvé) qu'il se serait suicidé après avoir été rendu fou par un philtre d'amour, dans sa quarante-quatrième année. Il fut très proche de Cicéron et nous connaissons le personnage auquel est dédié son livre, Memmius, un ambitieux lettré.

Lucrèce n’innove pratiquement jamais. Sa philosophie est celle d’Épicure.  Il s'oppose à la providence et aux causes finales. Il semble qu'il introduit dans l'épicurisme le concept de clinamen, mouvement spontané par lequel les atomes dévient de la ligne de chute causée par la pesanteur. Cette sorte de liberté mécanique fonde la liberté humaine.
  

lundi 22 mai 2017

Les arts et les sciences

Léonard de Vinci - Croquis pour hélicoptère
"La plus belle expérience que nous puissions faire", disait Einstein, "est celle du mystère, la source de tout vrai art et de toute vraie science".

On considère souvent l’art radicalement différent de la science, comme opposé à la science, comme l’émotion à la raison. On imagine que la froide lucidité, l’aride objectivité de la démarche scientifique, qui révèle la réalité du monde, s’oppose aux tumultes irrationnels, aux sentiments d’étrangeté que produit la démarche artistique, qui révèle la manière dont nous percevons le monde.

Mais c’est une notion récente. L’un des plus grands traités de connaissance scientifique qui nous soit parvenu date d’il y a plus de 2000 ans. Il s'agit d'un poème écrit en vers, "De natura rerum", "de la nature des choses" de Lucrèce, qui mêle l’art et la science.

"Le beau est la splendeur du vrai" disait Platon. "Rien n’est beau que le vrai" disait Boileau, "Rien n’est vrai que le beau" répondait Musset. Et le poète Keats refusant toute relation de hiérarchie les faisait rentrer en résonance, "La beauté est vérité", disait-il, "la vérité est beauté".

Durant l’Antiquité, durant la Renaissance, durant les Lumières, art sciences et philosophies étaient souvent associés et mêlés. Léonard de Vinci était peintre et ingénieur. Goethe faisait des travaux scientifiques sur la lumière et le développement des plantes. Il y a à la source de la création scientifique et à la source de la création artistique ce mystère, cette étrangeté, cette incertitude, ce vacillement dont parle Einstein.

Comprendre et ressentir, imaginer, rêver... Ressentir permet de mieux comprendre et comprendre permet de mieux ressentir. Le contact avec une œuvre d’art nous permet d’accéder à un monde intérieur, le monde intérieur de l’artiste. Combien de façons différentes, inconnues, toujours nouvelles de vivre et de ressentir. S’émerveiller de ce qu’une autre personne qui peut avoir disparu depuis longtemps nous donne à voir, à entendre, à ressentir, à comprendre, à partager.

De "je" à "tu", de "je" à "nous". Là où la science décrit de l’extérieur, parle de nous et du monde à la troisième personne du singulier, parle de nous en disant "il" ou "elle" ou "eux", le contact avec une œuvre d’art nous permet de ressentir qu'il y a une parole de "je" à "tu", de "je" à "nous" par delà l’espace et le temps, par delà la mort. Un dialogue au-delà du langage, en deçà du langage, dans le langage des sons, des formes, des images, des couleurs, des mouvements.

L’émotion artistique fait appel en nous à quelque chose de plus ancestral, de plus précoce dans notre vie que l’abstraction. Darwin disait que "l’émotion, la sensation de beauté est à l’origine et au cœur de ce qui nous faisait humain".

"Les plaintes de la souffrance sont à l’origine du langage" disait Raymond Queneau mais probablement aussi la joie, l’affection, l’attachement, l’amour, la découverte éblouie du monde et des autres, le sourire et le regard d’une mère avant même la compréhension du sens des mots qu’elle prononce.

"Nous sommes de cette étoffe sur laquelle naissent les rêves", disait Shakespeare "et nos rêves naissent longtemps avant que nous ne sachions de quoi cette étoffe est faite".

Extrait de l'émission de radio "Sur les épaules de Darwin" 
Concue et présentée par Jean-Claude Ameisen
Episode "Pierres de rêves" diffusée sur France Inter le 27.11.2010

lundi 15 mai 2017

L’Origine du monde - Gustave Courbet (1819-1877)

L’Origine du monde est un tableau réalisé par Gustave Courbet en 1866. Ce tableau représente le sexe et le ventre d’une femme allongée nue sur un lit, les cuisses écartées, et cadrée de sorte qu'on n'en voit rien au-dessus des seins ni en dessous des cuisses. Le modèle supposé du tableau serait la belle Irlandaise Joanna Hiffernan, sans certitude.


L'Origine du monde, Huile sur toile, 46cm×55cm, (1866) - Musée d'Orsay, Paris


Dans "J’étais l’origine du monde", publié en 2000, la romancière Christine Orban prend parti en imaginant comment la narratrice, Joanna Hiffernan, fut l’amante de Courbet et le modèle du fameux tableau. Déjà Bernard Teyssèdre, dans Le Roman de l’origine 1996 dont le personnage central est le tableau lui-même ("il lui en arrive, des aventures !") avait proposé de voir en Joanna Hiffernan le modèle. En revanche, dans son essai historique "L’Origine du monde", histoire d’un tableau de Gustave Courbet (2006), Thierry Savatier met en doute cette hypothèse et avance une possible source photographique. Dans la quatrième édition de cet essai, en 2009, il ajoute une postface exposant l'hypothèse selon laquelle la femme posant pour le tableau était enceinte au moment où elle a été représentée, à en juger par la forme de son abdomen.

La commande de L’Origine du monde est attribuée à Khalil-Bey, un diplomate turc, ancien ambassadeur de l’Empire ottoman à Athènes et Saint-Pétersbourg fraîchement installé à Paris. Khalil-Bey fut ruiné par ses dettes de jeu et l’on connaît peu les propriétaires suivants du tableau. En 1868, lors de la vente de la collection Khalil-Bey, l’antiquaire Antoine de la Narde en fit l’acquisition. Edmond de Goncourt le vit ensuite chez un antiquaire en 1889, caché par un panneau peint Le Château de Blonay qui appartiendra plus tard au musée des Beaux-Arts de Budapest. Selon Robert Fernier, le baron François de Hatvany l’acheta à la Galerie Bernheim-Jeune en 1910 pour l’emporter à Budapest où ce collectionneur hongrois le conserva jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Le dernier propriétaire du tableau fut Jacques Lacan. Avec l’actrice Sylvia Bataille, il en fit l’acquisition en 1955 pour l’installer dans sa maison de campagne de Guitrancourt. Le psychanalyste demanda à André Masson, son beau-frère, de construire un cadre à double fond et de peindre une autre œuvre par-dessus. Celui-ci réalisa une version surréaliste de L’Origine du monde, intitulée Terre érotique, et beaucoup plus suggérée. Le public new-yorkais eut toutefois l’occasion unique d’admirer L’Origine du monde en 1988 lors de l’exposition Courbet Reconsidered au Brooklyn Museum. Après la mort de Lacan en 1981, puis de Sylvia Bataille-Lacan en 1994, le ministère de l’Économie et des Finances accepta que les droits de succession de la famille fussent réglés par donnation de l’œuvre au musée d’Orsay en 1995. Avant son entrée au Musée d'Orsay le tableau fut très peu montré au grand public.

lundi 8 mai 2017

La nature est devenue abstraite pour l'homme

"Si l'on vous dit que vous faites partie intégrante de la biodiversité au même titre que l'oursin, le pivert, le poisson-lune, la hyène, le géranium ou l'ortie", ça vous chiffonne, n'est-ce pas? 

Ne vous inquiétez pas, vous n'êtes pas le (la) seul(e). Cela fait plus de 2 000 ans que ça dure. La faute à l'Homo sapiens qui a toujours cherché à s'émanciper de la tutelle de la nature, en la dominant, en la domestiquant et en l'exploitant. L'homme a si bien réussi qu'il est aujourd'hui contraint de prendre en charge des régulations autrefois naturelles: tenir la comptabilité des gaz rejetés dans l'atmosphère, protéger la pureté des nappes phréatiques, sauvegarder des espèces animales et végétales... Il est devenu "comptable de ses propres conditions naturelles d'existence et du sort des générations futures", comme le souligne le philosophe Dominique Bourg. Comment en est-on arrivé là ? 

Réponses avec ce spécialiste des questions de philosophie politique et de durabilité, membre actif du comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot et ancien vice-président d'une commission du Grenelle de l'environnement.

Coeur de Voh, Nouvelle calédonie, Photographie aérienne Yann Arthus Bertrand

Depuis janvier 2010, la biodiversité agite colloques et sommets internationaux, s'invite à la une des journaux. Pourquoi faut-il décréter une année internationale pour s'intéresser à la nature ?

Car nous entretenons depuis longtemps une relation distanciée avec elle. Nous n'avons pas l'impression d'en dépendre, nous continuons à supporter l'image d'une nature décor. Ce n'est que lorsque le baril de pétrole atteindra des sommets ou que nous manquerons d'eau que nous réaliserons ce que signifie de piller les ressources naturelles. Les services écologiques que nous rendent les écosystèmes sont aujourd'hui dégradés pour 60 % d'entre eux. Et à consommation constante, les réserves connues d'or, d'argent et de palladium s'élèvent à une quinzaine d'années. Le mot "nature" est lui-même en crise. Que recouvre-t-il ? Le pétrole, l'eau, le renard, le changement climatique, la plage ? Dans nos têtes, c'est un kaléidoscope de tout cela. Des années de célébration comme 2010 ont le mérite de remettre cette nature au centre de nos préoccupations. C'est sûrement nécessaire car nous ne prenons jamais conscience des choses de façon progressive. Il faut choquer, bousculer.

Selon les spécialistes, nous serions au tout début d'une extinction de masse provoquée par l'homme. Le taux d'extinction actuel est 10000 fois supérieur au taux naturel. Mesurons-nous ce qui est en train de se dérouler ?

Difficile à dire car la nature est en partie devenue abstraite à nos yeux. Elle n'est plus de l'ordre du sensible. Nous sommes en effet incapables de percevoir par nos sens les grandes dégradations que nous lui infligeons, par exemple le changement de la composition chimique de l'atmosphère ou la température moyenne, la razzia sur les ressources fossiles, minérales et biotiques (relatives au monde vivant). Nous n'y accédons qu'à travers la médiation scientifique, des équations ou des rapports d'experts. En outre, la prise de conscience de la fragilité de la nature est récente, même si les sociétés historiques ont suscité des dégradations du milieu puis tenté d'y réagir avec plus ou moins de bonheur.

A la fin du XIXème siècle, les États-Unis avaient quasiment fait disparaître les forêts qui couvraient auparavant plus de la moitié du territoire. Dans les années 1930, la région des grandes plaines américaines subissait le Dust Bowl et ses tempêtes de poussière. Mais un événement a tout changé à la fin des années 1950. Il s'agit du premier cliché de la planète bleue vue depuis l'espace: pour la première fois, le monde nous est apparu à la fois fragile et petit. D'autant plus fragile que nous venions juste d'expérimenter la puissance d'Hiroshima. Ces toutes dernières années, nous commençons à prendre conscience de la finitude des ressources planétaires et des capacités de régulation de la biosphère. 

La planète Terre vue de la lune
La finitude de la nature nous révèle notre propre finitude. Nous commençons à comprendre que nos techniques ne sont que les médiations incontournables entre les ressources naturelles et nos usages. Sans ressources... C'est un choc culturel, car nos sociétés se sont construites sur l'idée de l'infini. La rage des climato-sceptiques en est le symptôme le plus contemporain: ils refusent notre finitude. Il n'y a pour eux aucune limite à la puissance de nos techniques et de nos désirs, les cycles de la nature s'y plieront. Or, contrairement à ce que nous pouvions croire jusqu'à il y a peu, l'espace disponible pour nos activités et notre puissance n'est pas infini. Soit nous parvenons à auto-limiter nos besoins relatifs, en matière de consommations matérielles, soit nous courons vers un risque de conflits violents.

La relation de l'homme à la nature que vous décrivez semble déséquilibrée depuis les origines.


C'est une saga qui commence avec la Bible. Si l'on s'arrête un instant sur l'interprétation chrétienne de ce texte, on y discerne un Dieu à la fois antérieur et extérieur à la nature. Transcendant, il la précède et lui survivra. Et l'homme, créé à l'image de Dieu, jouit d'une position originale, il échappe à la loi commune. A cela va s'ajouter une strate grecque. Platon, notamment, va réduire la nature à son essence mathématique. C'est sur cette affirmation que prendra appui le projet moderne de maîtrise technique du monde. A ces deux grands piliers, vous ajoutez une touche d'Occident médiéval latin qui va transformer la nature en un stock de ressources au service de la productivité et de la technique. Puis, le "naturalisme", pour reprendre l'appellation de Philippe Descola, à la fin du XVIe-début XVIIe siècle, clôturera cette conception d'un homme exceptionnel puisqu'étant le seul à posséder pensée et sentiments.

Toutes les religions ne mettent pas en place ce rapport "hiérarchique" entre l'homme et la nature. Pensez-vous que le rapprochement avec d'autres croyances pourrait influer sur notre vision générale ?

Se rapprocher d'autres religions ? C'est compliqué, car notre approche occidentale des religions reste d'abord celle d'un supermarché. On fait son marché, et au final ces religions disparaissent en tant que religions. Le constat est clair: nous sommes en train de changer d'époque, de civilisation. Notre monde va s'effondrer. La question qui reste en suspens est celle de la vitesse de cette transition: franchirons-nous des seuils ? Subirons-nous des passages à tabac naturels ? Je serais en tout cas étonné que ce soit un changement en douceur. Les fondamentaux qui régissent nos relations à la nature ne devraient pas sortir indemnes de l'orage qui s'annonce.

Des solutions techniques émergent pour améliorer la consommation d'énergie, diminuer les pollutions. Une mutation semble tout de même en cours ?

Si les pollutions sont susceptibles d'être limitées par des solutions techniques, tel n'est pas le cas, en revanche, de l'augmentation des flux. C'est ce que montre "l'effet rebond": un ordinateur consomme aujourd'hui moins d'énergie qu'il y a dix ou quinze ans, mais la puissance requise, les usages et le nombre d'utilisateurs n'ont cessé d'augmenter, si bien que la consommation globale d'énergie due à l'informatique s'accroît: elle triplera d'ici 2030, selon l'Agence internationale de l'énergie. 

L'idée d'un surcroît de technologies pour sauver le monde est un credo propre à l'économie néoclassique. Il n'existe pas en effet de produits de substitution à toutes les ressources naturelles ni à tous les services écosystémiques que nous détruisons.

En Chine et en Inde, le rapport à la nature est très différent du nôtre. La montée en puissance de ces pays pourrait-elle jouer un rôle à l'avenir?

La Chine et l'Inde ont des positions très ambigués vis-à-vis de la nature elles sont à la fois marquées par leur socle de croyances et de culture, mais aussi totalement embarquées dans ce consumérisme mondial. Les élites chinoises ont aujourd'hui des empreintes écologiques aussi importantes que celles des Occidentaux. Ces societés sont en proie à de très fortes tensions. Finalement, quelles que soient les traditions concernées, les sociétés ont déréglé leurs rapports à la nature.

Mais alors, faut-il passer par le droit pour rétablir une relation équilibrée à la nature ?


Le droit a puissamment façonné les sociétés occidentales par ses fictions. Dans le même temps, il reste tributaire des moeurs d'une époque et n'est pas apte à changer à lui seul le monde. Il peut être un outil pour une meilleure prise en compte de la biodiversité mondiale, mais va devoir s'inscrire dans un mouvement plus général. Cela passera peut-être par un Giec de la biodiversité, on en parle beaucoup en ce moment. Reste que l'interaction entre politiques et scientifiques qui est au cœur de l'organisation du Giec n'est pas optimale, car les premiers imposent aux seconds un amollissement des connaissances.

Alors que penser de ceux qui prônent un retour radical à la nature ?

Un retour à la nature, c'est un retour à quoi ? L'homme est intrinsèquement technique. Nous connaissons un déséquilibre structurel qui est probablement dû à une compréhension absurde des techniques, qui pourrait d'ailleurs nous faire disparaître. Il faut réinventer quelque chose de nouveau. Cela ne veut pas dire revenir en arrière. Il s'agit de réduire nos impacts, les flux de matières et d'énergie, de nous interroger a priori sur la finalité des actions et de nos techniques, de mettre en place de nouveaux modes de régulation de nos comportements, etc.

Nous ne retrouverons pas la nature perdue. L'enjeu est de préserver l'humanité, tant en ce qui concerne ses conditions physiques d'existence, qu'en ce qui concerne l'idée d'humanité et les idéaux moraux qui lui sont attachés. Je suis un défenseur d'un "anthropocentrisme affaibli": en clair, je suis pour la reconnaissance d'une valeur intrinsèque de la nature, en dehors de l'usage qu'on peut en faire, mais au sein d'une hiérarchie qui place l'humanité au sommet; une humanité généreuse et solidaire du vivant.


Source: Le philosophe Dominique Bourg explique les origines religieuses et culturelles de cette relation distanciée entre l'homme et la nature. Propos recueillis par Karen Bastien pour "Terra Eco" Mai 2010.

lundi 17 avril 2017

Nelson Mandela (1918-2013)

Nelson Mandela
Nelson Rolihlahla Mandela, dit Nelson Mandela, est un homme politique et un chef d'Etat d'Afrique du Sud qui fut l'un des dirigeants historiques de la lutte contre le système politique d'apartheid avant de devenir président de la République d'Afrique du Sud de 1994 à 1999, à la suite des premières élections nationales non raciales de l'histoire du pays.

Nelson Rolihlahla Mandela ("Madiba", de son nom tribal) est né le 18 juillet 1918 à Mvezo, un petit village du Transkei (actuel Cap-Oriental, Afrique du Sud). A l'âge de sept ans il entre à l'école méthodiste de Healdtown, où son institutrice lui donne le prénom anglais de Nelson, pratique habituelle à l'époque lorsqu'un noir africain entamait des études.

À seize ans, Nelson Mandela est initié pour devenir un homme selon la coutume Xhosa. Il part ensuite poursuivre ses études dans un établissement anglais renommé, le Clarkebury Institute. Élève doué, il obtient son brevet scolaire en deux ans au lieu de trois.

En 1937, il intègre le lycée de Fort Beaufort puis l'année suivante la très élitiste université anglaise de Fort Hare, sorte de Cambridge local destiné à former les futurs cadres administratifs d'Afrique du Sud. C'est ici que Nelson Mandela prend véritablement conscience de la situation faite aux noirs dans leur propre pays. Désigné représentant du Conseil des étudiants, il y commence ses premiers combats contre l'administration blanche toute puissante, ce qui lui vaut d'être exclu de l'université.

Nelson Mandela poursuit ses études à l'université de Witwatersrand jusqu'à l'obtention d'une Licence de Droit en 1942. Pendant cette période, il fait la connaissance de deux militants du Congrès National Africain (ANC, membre de l'Internationale Socialiste) et du Parti Communiste Sud-Africain (SACP), Gaur Radebe et Nat Bregman, qui l'introduisent dans la mouvance anti-apartheid.

Nelson Mandela ne cessera dès lors de lutter pour la libération de son peuple. En 1943, il participe à sa première manifestation, puis adhère à l'ANC et co-fonde en 1944 la Ligue de la Jeunesse de l'ANC. En 1948, le Parti National Afrikaner remporte les élections. Le pays s'engage dans une intense politique d'apartheid. L'ANC risposte et se transforme en grande organisation politique. Après le vote d'une loi interdisant le communisme, l'ANC et le SACP feront alliance, modifiant ainsi le rapport des forces politiques du pays.

Nelson Mandela

En 1952, la campagne de désobéissance civile incitant les noirs à ne pas respecter les lois racistes connaît un grand succès. Nelson Mandela, devenu avocat des Noirs en butte à l'injustice des règles administratives, est arrêté par la police le 30 juillet 1952 et condamné à neuf mois de travaux forcés, mais la sentence reste suspendue. En 1955, il participe à la rédaction de la Charte de la liberté dont l'objectif est de lutter contre la ségrégation raciale et l'apartheid. Il voyage en Afrique et au Royaume-Uni.

En décembre 1956, il est arrêté avec 150 militants de l'ANC et accusé de trahison mais tous seront acquittés après un long procès en 1961. Après le massacre de Sharpeville en 1960 qui voit la police sud-africaine tirer sur la foule et tuer 69 manifestants, le Congrès National Africain est officiellement interdit en Afrique du Sud. Nelson Mandela crée alors un mouvement armé clandestin baptisé "Umkhonto we Sizwe" (Lance de la Nation), dont il devient le commandant en chef. Il est arrêté en 1962 et condamné à cinq ans de prison pour avoir quitté le territoire sans autorisation et incité à la grève. L'année suivante, il est inculpé de sabotage et haute trahison, condamné en 1964 avec sept autres militants à la prison à perpétuité et incarcéré sur l'îlot-bagne de Robben Island, au large du Cap.

Nelson Mandela: le prisonnier politique le plus célèbre du monde
 
Le détenu numéro 46664 croupit en prison pendant plus de 26 ans, jusqu'en février 1990, après avoir toutefois bénéficié d'un régime de résidence surveillée à partir de 1988. Il devient au fil des ans le prisonnier politique le plus célèbre du monde. À sa libération, il prend la tête de l'ANC (redevenu en 1990 parti politique autorisé) et entreprend des négociations avec le gouvernement blanc de Frederik de Klerk qui aboutissent à la fin de la politique d'apartheid et à des élections générales au suffrage universel. Ce travail commun contre le racisme et pour l'établissement de la démocratie dans le pays, malgré les oppositions et les violences, vaudra au deux hommes le Prix Nobel de la Paix 1993.

Nelson Mandela est élu le 27 avril 1994, après la victoire de l'ANC qui obtient 62,65% des voix. Sa prestation de serment le 10 mai 1994, devant 180 délégations étrangères et de nombreux chefs d'Etat du monde entier marque le retour de l'Afrique du Sud dans le concert des nations. La date du 27 avril devient le "Jour de la Liberté", désormais jour férié national.

Nelson Mandela - Statue de bronze commémorant la Marche pour la Liberté de 1990- Prison de Groot Drakenstein, Paarl

Nelson Mandela devient le premier président noir d'Afrique du Sud, fonction qu'il occupe jusqu'en 1999 avec deux vice-présidents à ses côtés, le noir Thabo Mbeki et le blanc Frederik de Klerk, et un gouvernement d'union nationale composé de l'ANC, du Parti National Afrikaner et du parti zoulou Inkhata. Son but est de bâtir une "nation arc-en-ciel en paix avec elle-même et le monde". Il crée la commission "Vérité et réconciliation", présidée par l'archevêque anglican et prix Nobel de la Paix Desmond Tutu, afin de juger des exactions et des crimes commis pendant l'apartheid.

En 1999, il ne se représente pas pour un second mandat et laisse Thabo Mbeki, déjà président de l'ANC depuis 1997, lui succèder à la présidence de l'Afrique du Sud. Il crée à Johannesburg la Fondation Nelson Mandela afin de continuer le combat pour les valeurs qui lui tiennent à coeur mais abandonne la vie politique, se contentant d'être médiateur dans diverses négociations internationales de paix, comme entre autres au Burundi en 2000. Personnalité écoutée, notamment par les chefs d'Etat africains, il se consacre également à la lutte contre le Sida.

Retiré de la vie publique depuis 2004, Nelson Mandela est aujourd'hui devenu comme le Mahatma Gandhi ou Martin Luther King une conscience universelle et une icône mondiale de la liberté et de la paix. Mais, déjà opéré d'un cancer de la prostate en 2001, sa santé décline progressivement et il apparaît moins en public.

L'autobiographie de Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, (1995), raconte en détail tout son parcours, de son enfance à son accession au pouvoir en passant par son engagement politique et ses longues années de prison.



Nelson Mandela


La pensée de Nelson Mandela

Inspirations : de la résistance non violente à la lutte armée

Les méthodes non violentes de Gandhi avaient inspiré Nelson Mandela. Il continue à lui rendre hommage des années plus tard en se rendant, en 1990, à New Delhi, puis, en janvier 2007, pour le centième anniversaire de l'introduction de la satyagraha en Afrique du Sud. Nelson Mandela, dans un essai sur Gandhi, explique l'influence de la pensée gandhienne et son influence sur sa politique en Afrique du sud: "Il cherche un ordre économique, une alternative au capitalisme et au communisme, et trouve cela dans la sarvodaya basée sur la non-violence (ahimsa). Il rejette la survie du plus apte de Darwin, le laissez-faire d'Adam Smith et la thèse de Karl Marx sur l'antagonisme naturel entre le capital et le travail, et se concentre sur l'interdépendance entre les deux. Il croit en la capacité humaine de changer et utilise la satyagraha contre l'oppresseur, non pour le détruire, mais pour le transformer, afin qu'il cesse son oppression et rejoigne l'opprimé dans la recherche de la vérité. Nous, en Afrique du Sud, avons établi notre nouvelle démocratie de manière relativement pacifique sur la base de ces pensées, que nous ayons été influencés ou non directement par Gandhi."

L'absence de résultats de la lutte non violente et le massacre de Sharpeville font passer Mandela à la lutte armée, après qu'il eut essayé de suivre la stratégie gandhienne aussi longtemps qu'il le pouvait. Le succès de la révolution cubaine et les ouvrages de Che Guevara qu'il a lus l'inspirent, et il admire le personnage. En 1991, lors d'une visite à La Havane, Mandela dit que "les exploits de Che Guevara dans notre continent étaient d'une telle ampleur qu'aucune prison ou censure ne pouvait nous les cacher. La vie du Che est une inspiration pour tous les êtres humains qui aiment la liberté. Nous honorerons toujours sa mémoire."

Le pouvoir du dialogue et de la réconciliation

"Etre libres, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres."

Cependant, alors que la violence entre le régime de l'apartheid et l'ANC fait de nombreuses victimes, Nelson Mandela, alors en prison, arrive à une autre conclusion que l'extension de la lutte armée pour faire sortir le pays de l'ornière, est le dialogue et la négociation: "Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé."

Pendant une réunion capitale entre l’ANC et les généraux retraités de la South African Defence Force et des services de renseignement, Nelson Mandela déclare: "si vous voulez la guerre, je dois admettre honnêtement que nous ne pourrons pas vous affronter sur les champs de bataille. Nous n’en avons pas les moyens. La lutte sera longue et âpre, beaucoup mourront, le pays pourrait finir en cendres. Mais n’oubliez pas deux choses. Vous ne pouvez pas gagner en raison de notre nombre: impossible de nous tuer tous. Et vous ne pouvez pas gagner en raison de la communauté internationale. Elle se ralliera à nous et nous soutiendra".

Nelson Mandela et la Liberté
Pour Mandela, la liberté nouvelle ne doit pas se faire aux dépens de l'ancien oppresseur, autrement cette liberté ne servirait à rien: "Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu'un d'autre de sa liberté. L'opprimé et l'oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité."

C'est la garantie donnée aux Blancs qu'ils ne deviendront pas à leur tour opprimés une fois que la majorité noire aura pris le pouvoir qui permet aux négociations d'aboutir. 

"La vérité, c’est que nous ne sommes pas encore libres; nous avons seulement atteint la liberté d’être libres, le droit de ne pas être opprimés […]. Car être libres, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes;  c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres."




Ubuntu, "nous sommes les autres"

Nelson Mandela adhère à l'éthique et la philosophie humaniste africaine d'Ubuntu, avec laquelle il a été élevé. Ce mot des langues bantoues non traduisibles directement, exprime la conscience du rapport entre l'individu et la communauté et est souvent résumé par Mandela avec le proverbe zoulou "qu'un individu est un individu à cause des autres individus" ou comme défini par Desmond Tutu, "mon humanité est inextricablement liée à ce qu'est la vôtre". Cette notion de fraternité implique compassion et ouverture d'esprit et s'oppose au narcissisme et à l'individualisme.

"C'est tout cela l'esprit d'Ubuntu. Ubuntu ne signifie pas que les gens ne doivent pas s'occuper d'eux-mêmes. La question est donc, est-ce que tu vas faire cela de façon à développer la communauté autour de toi et permettre de l'améliorer ? Ce sont les choses importantes dans la vie. Et si on peut faire cela, tu as fait quelque chose de très important qui sera apprécié."

Ubuntu a marqué la constitution de 1993 et la loi fondamentale de 1995 sur la promotion de l’unité nationale et de la réconciliation. Quand il a créé la ligue de jeunesse de l'ANC en 1944, le manifeste du mouvement souligne que, "à l'inverse de l'homme blanc, l'Africain voit l'univers comme un tout organique qui progresse vers l'harmonie, où les parties individuelles existent seulement comme des aspects de l'unité universelle."

Ubuntu est considéré par Nelson Mandela comme la philosophie d'aider les autres mais aussi de voir le meilleur en eux, principe qu'il appliquera tout au long de sa vie: "les gens sont des êtres humains, produits par la société dans laquelle ils vivent. Vous encouragez les gens en voyant ce qui est bon en eux".

Lutte contre la ségrégation raciale, l'oppression et la pauvreté

Toujours opposé à la domination d'une ethnie sur une autre, Nelson Mandela condamne en 2001 certaines personnalités noires qui font des remarques racistes sur la minorités des indiens, et s'inquiète de la "polarisation raciale" de la politique qui provoque la peur des minorités. Il condamne également les émeutes contre les immigrés qui ont lieu dans tout le pays en 2008: "Rappelez-vous l'horreur de laquelle nous venons ; n'oubliez jamais la grandeur d'une nation qui a réussi à vaincre ses divisions et à arriver où elle est ; et ne vous laissez jamais à nouveau entraîner dans cette division destructrice, quels qu'en soient les enjeux."

Pour Nelson Mandela, l'oppression découle du racisme: "Un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, des préjugés et de l'étroitesse d'esprit."

Il n'hésite pas à comparer l'injustice de la pauvreté et des inégalités à l'apartheid: "La pauvreté massive et les inégalités obscènes sont des fléaux de notre époque qui ont leur place à côté de l'esclavage et de l'apartheid." Lors d'un discours pour la réception du prix Ambassadeur de la conscience remis par Amnesty International, Nelson Mandela déclare que "vaincre la pauvreté n'est pas un geste de charité. C'est un acte de justice".


Citations de Nelson Mandela

"En faisant scintiller notre lumière, nous offrons aux autres la possibilité d'en faire autant."
Extrait du Discours d'investiture - 10 Mai 1994

"Etre libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres."
Extrait de Un long chemin vers la liberté

"Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé."
Extrait de Un Long Chemin vers la liberté

"Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu'un d'autre de sa liberté. L'opprimé et l'oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité."
Extrait de Un long chemin vers la liberté

"Un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, des préjugés et de l'étroitesse d'esprit."
Extrait de Un long Chemin vers la liberté

"Aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès."
Extrait du Discours d'investiture - 10 Mai 1994

"Nous ne sommes pas encore libres, nous avons seulement atteint la liberté d'être libres."
  

dimanche 16 avril 2017

Le Taj Mahal, Agra, Inde

Le complexe du Taj Mahal est un mausolée construit de 1631 à 1648. Inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1983, il a été désigné comme une des sept nouvelles merveilles du monde le 7 juillet 2007.

Le Taj Mahal, la perle blanche de l'Inde

A l’origine de cette magnifique construction, une histoire d’amour:  Celle de Mumtaz Mahal, seconde femme de l'empereur moghol Shah Jahan, morte en 1631 à 38 ans en accouchant de son quatorzième enfant. Par amour pour cette femme, l’empereur fit mener à bien ce projet insensé, lui offrir le plus beau des mausolées. L’édifice devait être une porte ouverte sur le Paradis. Parmi les 20 000 personnes qui ont travaillé sur le chantier, on trouve des maîtres artisans venant d'Europe et d'Asie centrale. 

Les travaux débutent en 1631 pour ne s'achever que 17 ans plus tard . Le Taj Mahal est situé dans la ville d'Agra localisée au nord de l'Inde, au bord de la rivière Jamuna dans l’Etat de l’Uttar Pradesh. Cette particularité dans le tracé de la rivière a son importance car l'empereur musulman peut construire, à côté du tombeau, une mosquée orientée selon les règles du culte. 

Le Taj Mahal - Détail de la façade


Décorations intérieures
Le Taj Mahal est construit en utilisant des matériaux provenant de diverses régions de l'Inde et du reste de l'Asie. Plus de 1 000 éléphants sont employés pour transporter les matériaux de construction durant l'édification. Le marbre blanc est extrait du Rajasthan, le jaspe vient du Panjâb, la turquoise et la malachite du Tibet, le lapis-lazuli du Sri Lanka, le corail de la mer Rouge, la cornaline de Perse et du Yémen, l'onyx du Deccan et de Perse, les grenats du Gange et du Boundelkhand, l'agate du Yémen et de Jaisalmer, le cristal de roche de l'Himalaya. En tout, 28 types de pierres fines ou ornementales polychromes ont été utilisés pour composer les motifs de marqueterie incrustés dans le marbre blanc.

Le Taj Mahal est une des plus belles constructions humaines jamais réalisées, on le baptise de divers noms tels que  "la vision matérielle de l'amour", "le rêve de marbre", "le noble tribut à la grâce de la féminité indienne" ou encore "la resplendissante et immortelle larme versée sur la joue du temps".


Mais avant tout cette construction exceptionnelle a été menée par un empereur musulman sur une terre hindoue, et si l'humanité s'accorde à admirer cette œuvre  c'est peut être parce que l'amour, valeur universelle à la différence de la religion, en est l'inspiratrice. 

Cependant l’empereur ne peut profiter longtemps de sa création puisqu’en 1658, il est jeté en prison par son propre fils, avant de mourir en 1666. Il est inhumé dans le Taj Mahal, au côté de sa femme adorée. La légende dit qu’il désirait se faire construire un mausolée identique juste en face,  de l’autre côté de la rivière. Le sien aurait été recouvert de marbre noir.

Le Taj Mahal est accessible par trois portes : celle de l’Ouest, du Sud et de l’Est, donnant toutes les trois sur un porche d'entrée majestueux, fait de marbre et de grès rouge, où sont incrustés des versets du Coran. C’est après avoir dépassé cette ultime étape que l’on se retrouve face au paysage le plus célèbre du Taj Mahal : celui du Mausolée dans le prolongement de ses jardins ornementaux faisant la part belle aux jets d’eau.

Le Taj Mahal - Le porche d'entrée


Qui n'a pas écrit sur le Taj Mahal ? Il faudrait le voir au clair de lune ou aux heures si brèves des embrasements indiens de l'aube et du crépuscule, puis s'en aller, se taire, emporter son image dans son cœur. Cela suffirait. Parler de lui, comme le reconnaît Jean-Paul Roux c'est aborder tous les sujets. La grandeur et la puissance de l'Empire des Grands Moghols, l'amour, la philosophie et la mystique, la symbolique, la prouesse technique, le miracle esthétique, la science mathématique, la quête des influences, les paradoxes, tout cela a concouru à cette réalisation unique. Eût-il manqué une seule de ces choses, c'eût été sans doute un chef-d'œuvre. Toutes réunies, elles font de lui peut-être le plus beau monument du monde.

Naissance d'un chef-d'œuvre

"La grandeur des Grands Moghols, c'est celle de cet empire que les descendants de Tamerlan, les Timourides, ont fondé en Inde en 1525, l'une des grandes formations politiques, économiques et culturelles de l'histoire, qui est à son zénith et va, à la veille de sa décadence, au tournant de l'an 1700, unifier presque entièrement le sous-continent indien.

L'amour, c'est celui de l'empereur Chah Djahan (1628-1658) pour Adjuma Banu Begum, dite Mumtaz Mahal, « l'Élue du palais », l'épouse tant aimée qui lui donna dix, douze, quatorze enfants, on ne sait, qui mourut en couches, pour qui il l'a fait construire et sur lequel, emprisonné par son fils dans le palais d'Agra, il jeta un dernier regard avant de mourir.

La prouesse technique, c'est d'avoir réalisé dans un paysage des plus ingrats un jardin luxuriant d'arbres et de fleurs parmi lesquels courent les écureuils ; d'avoir soutenu la falaise friable qui domine la rivière Yamuna ; d'avoir enfoncé des piles dans une terre gorgée d'humidité pour porter cette énorme masse architecturale ; d'avoir transporté des tonnes de marbre blanc du Radjastan ; d'avoir fait travailler pendant vingt-deux ans quelque vingt mille ouvriers…

Le miracle esthétique, c'est qu'un monument si puissant soit tout de grâce et de féminité, qu'il marie la force et la délicatesse, que sa lourdeur, presque offensante dans la lumière crue du jour, se transforme aux heures bleues en une telle légèreté qu'il semble devenu immatériel, ne plus poser sur le sol, en quelque sorte danser.

La philosophie, c'est celle du platonisme qui inspire cette forme pyramidale et le dessin de ces triangles imaginaires dont nous allons parler, figures idéales et symboles du feu, disait le maître grec, non du feu de l'enfer, mais de celui de l'âme purifiée par l'amour. C'est la sublimation de la mort dans la beauté pure, d'une mort qui n'est plus, comme dans les cimetières musulmans habituels, une attente de la résurrection dans un lieu où le corps est abandonné, mais qui a déjà conduit dans l'au-delà, dans un monde accompli, dans l'éden où coulent les eaux vives. Les Timourides n'ont-ils pas cette idée récurrente que leurs princes, dès leur décès, deviennent les « habitants du Paradis » ? Tamerlan porta ce titre posthume et, sur la tombe du fondateur de l'Empire, à Kaboul, on écrivit en 1604 : « Le paradis est la demeure éternelle de Babur, l'Empereur ». Il eut été inutile de le proclamer au Taj Mahal : Tout l'affirme.

Intérieur du Taj Mahal

Le symbolisme, c'est les deux visions de l'univers qu'il impose, la première celle, assez commune en architecture, mais magistralement exprimée ici, du monde constitué par un plan carré, la terre, un cube que couronne une voûte, le ciel, et quatre colonnes situées aux Orients, supports du ciel ; dans cette architecture, ce sont respectivement la terrasse, le mausolée et son dôme, les quatre minarets d'angle ; la seconde, celle, bien plus rare, de la sphère céleste (ou terrestre ?), moins apparente, mais qui s'impose irrésistiblement quand on contemple le dôme bulbeux de l'édifice qui semble circonscrire un globe presque parfait, légèrement aplani aux pôles, ou l'édifice lui-même qui pourrait s'inscrire dans un second globe exactement semblable au premier.

La mathématique, c'est cette étude si précise des proportions, des distances entre les divers bâtiments et entre les divers organes de chacun d'entre eux qui dessine des encadrements bien réels et toujours variés, qui fait naître des perspectives ; ces calculs qui pourraient rendre l'architecture froide, intellectuelle, abstraite, alors qu'elle est chaleureuse, charnelle, concrète, donnent au monument sa sobriété et son parfait équilibre.

Le Taj Mahal - Mosquée

Le Taj Mahal - Intérieur de la mosquée
 
Quant aux paradoxes, ils abondent. C'en est un que l'érection du plus somptueux des mausolées dans un pays où l'on incinère les morts, dans une civilisation musulmane qui, en théorie au moins, ordonne que le défunt soit enterré sous une dalle anépigraphiée ; c'en sont d'autres que le plus prestigieux des tombeaux soit fait pour une femme dans des civilisations où la femme n'occupe pas, il faut bien le dire, le plus haut rang ; qu'un monument qui fait fi des traditions indiennes soit le complet aboutissement du génie indien, et qui, bravant les interdits de l'art islamique, exprime entièrement celui-ci ; que cette synthèse si réussie d'éléments différents, souvent opposés, puisés un peu partout, localement certes, mais aussi en Iran, en Asie centrale, chez les Turcs, en Occident chrétien, et tellement en Occident chrétien qu'on a longtemps cru, avec le P. Manrique, que c'était l'œuvre d'un Européen.

Plans, proportions, décors : le triomphe de la vie

Il a été mis en chantier en 1632 sur la falaise dominant la rive gauche de la Yamuna, non au centre du parc, comme l'usage le veut, mais à son extrémité septentrionale, parce qu'un pont devait franchir la rivière et mener à un second mausolée, celui destiné à l'empereur, qui aurait été construit, dit-on, en marbre noir, et n'a jamais vu le jour.

Un grand mur de clôture délimite un jardin de 305 mètres de côté divisé en quatre secteurs selon la mode iranienne des « quatre jardins », les tchahar bagh. On y accède par un porche monumental en grès rouge, éclairé de bandes et de cordons en marbre blanc, qui faisait déjà béer d'admiration le voyageur français Bernier et quelques-uns de ses compatriotes. De ce porche, part un plan d'eau assez étroit, flanqué d'allées, qui forme une sorte de voie triomphale entraînant irrésistiblement les regards. À mi-parcours, un second canal, perpendiculaire au premier, le coupe pour former un bassin carré, sans briser la perspective. Le jardin est prolongé au nord par une surface rectangulaire de même largeur et de 275 mètres de profondeur aménagée pour recevoir les constructions : Au centre le mausolée de marbre blanc, à droite et à gauche, en grès rose, sous trois coupoles, une mosquée et une fausse mosquée, dite réplique ou djawab, en quoi on a voulu voir une maison d'hôtes, mais qui n'existe que par souci de symétrie, par pure esthétique.

Le Taj Mahal - Tombeau intérieur
Le mausolée est érigé sur une terrasse fort basse de 7 m d'élévation et de 95,16 m de côté, rythmée par des niches aveugles, plutôt un présentoir qu'un soubassement. On y accède par un double escalier dissimulé par une saillie imperceptible du mur, ce qui fait que la ligne verticale de la maçonnerie ne semble pas interrompue. Formant un octogone ou, plutôt un cube à pans rabattus, il mesure 58,60 mètres de côté et une hauteur de 61,10 mètres et ses quatre faces sont identiques : Elles portent au centre une grande voûte (iwan) à stalactites et à fond plat, peu profonde, que flanquent deux autres voûtes identiques, mais plus petites et superposées qui se retrouvent sur les plans coupés. La partie centrale de la couverture est occupée par un dôme outrepassé de 18 mètres de diamètre à la base, et les bas-côtés, par quatre petits dômes, ajourés et à arcades polylobées, copies évidentes des chatri de l'art indien. Ces derniers abritent huit petits appartements répartis sur deux étages, les « huit paradis » de l'Iran. Sur la terrasse, aux quatre angles, sont disposés quatre minarets tronconiques hauts de 42 mètres, au fût coupé par deux galeries et surmonté d'une troisième qui supporte un chatri semblable à ceux de la couverture du mausolée.

L'aspect pyramidal qui s'impose d'emblée est renforcé par les lignes invisibles que nous avons évoquées ci-dessus. Deux partent du haut des minarets et se rejoignent au centre des iwan ; deux autres, du sommet du dôme principal, sont tangentes aux dômes des chatri et aboutissent aux extrémités du socle. Elles dessinent trois triangles sécants inversés, l'un dirigé vers le haut, les deux autres vers le bas qui ramènent, après l'élan vers le ciel, au monde d'ici-bas, au paradis terrestre.

Le Taj Mahal - Vue de côté

La salle sépulcrale, octogonale, contient les deux cénotaphes de Chah Djahan et de Mumtaz Mahal. Elle est entièrement recouverte d'un admirable décor tapissant, véritable travail de joaillerie. On retrouve ce décor, à peine moins éclatant, sur tous les murs extérieurs de l'édifice. Fait d'incrustations de pierres dures et semi-précieuses, de marbre coloré, de bandeaux épigraphiques en noir et de motifs floraux à bas relief, avec modelé, non en méplat comme le voudrait l'esthétique islamique, il est si fin, si délicat qu'il apparaît, vu de loin, comme une ombre légère, qu'il se devine, puis se précise au fur et à mesure que l'on approche, et qu'il ne nuit donc pas au tracé de la ligne architecturale. Un motif particulier doit retenir l'attention : le lambris qui court en continu présentant des plantes en fleurs jaillissant de mottes de terres, témoignage supplémentaire, s'il le fallait, de ce qu'affirme si puissamment le Taj Mahal, le triomphe de la vie."

Texte de Jean-Paul Roux  -  Février 2003
Directeur de recherche honoraire au CNRS Ancien professeur titulaire de la section d'art islamique à l'École du Louvre