mercredi 14 décembre 2022

Mors - Victor Hugo (1802-1885)


Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ.
Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant,
Noir squelette laissant passer le crépuscule.
Dans l'ombre où l'on dirait que tout tremble et recule,
L'homme suivait des yeux les lueurs de la faulx.
Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux
Tombaient; elle changeait en désert Babylone,
Le trône en l'échafaud et l'échafaud en trône,
Les roses en fumier, les enfants en oiseaux,
L'or en cendre, et les yeux des mères en ruisseaux.
Et les femmes criaient : -- Rends-nous ce petit être.
Pour le faire mourir, pourquoi l'avoir fait naître? --
Ce n'était qu'un sanglot sur terre, en haut, en bas;
Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats;
Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre;
Les peuples éperdus semblaient sous la faulx sombre
Un troupeau frissonnant qui dans l'ombre s'enfuit;
Tout était sous ses pieds deuil, épouvante et nuit.
Derrière elle, le front baigné de douces flammes,
Un ange souriant portait la gerbe d'âmes.

Mars 1854.     Victor Hugo, Les Contemplations (1856)


Victor, Marie Hugo, né le 26 février 1802 à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris, est un poète, dramaturge et prosateur romantique considéré comme l'un des plus importants écrivains de langue française. Il est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a compté dans l'Histoire du XIXe siècle. Victor Hugo, chef de file du mouvement romantique, est l’auteur de nombreux chef d’oeuvres: Les Misérables, Les Châtiments, ou encore Les Contemplations, d’où est extrait le poème Mors. 

Le recueil "Les Contemplations", est construit en deux parties, séparées par une date, le 4 septembre 1843, jour de la mort accidentelle de sa fille. La première partie, « Autrefois », est consacrée aux poèmes du bonheur, la seconde, d’où est tiré Mors, est une méditation sur la mort et la destinée humaine. Le texte Mors, est un poème en vers qui présente le triomphe absolu de la mort par la description d’une atmosphère d’apocalypse.

 Le poème s’organise autour d’un double jeu de sensations. D’une part la sensation visuelle, largement développée dans les 10 premiers vers, d’autre part la sensation auditive développée sur les 10 derniers vers.

Le poète inspiré par la Muse, a le sentiment d’avoir une mission.  Il est un peu en retrait, il voit la mort agir et le lecteur est invité à le rejoindre. La pensée du poète s'élargit pour prendre en compte l'humanité toute entière. La mort nous est présentée à travers l'allégorie traditionnelle de la "faucheuse". Une mort qui est constamment présente, une mort que nous connaissons, mais qui surprend toujours. La mort touche tout le monde, elle est toute puissante, c’est elle qui a le dernier mot.

Le royaume de la mort nous est précisé à travers la métaphore du "champ" qui, réduit le monde à un espace limité. C'est la même métaphore filée qui vient nous décrire l'activité incessante de la mort : "moissonnant et fauchant". La répétition des participes présents souligne le travail répétitif, alors que le verbe "aller" nous montre qu'aucun obstacle ne peut freiner ce travail.

Face au spectre qui se fond dans la nuit "laissant passer le crépuscule", la victime est incapable du moindre mouvement "suivait des yeux" alors que l'arme prend des allures particulièrement inquiétantes, parce qu'elle est presque invisible elle aussi "les lueurs de la faulx". La mort travaille donc inlassablement, frappant d'égalité l'ensemble de ses victimes. 

Par un jeu d'antithèses, le poète insiste sur le travail de la mort, l'opulence de "Babylone" s'oppose à l'austérité du "désert", le lieu des supplices ("échafaud") s'oppose à la noblesse du "trône" (image égalisatrice). L'antithèse est également affective (de la "rose" au "fumier"). Enfin, "l'or", symbole de richesse et de puissance s'oppose à la "cendre" qui connote la poussière et la mort.

Le poème se termine dans une nouvelle évocation de la peur et de l'horreur : l'horreur des "doigts osseux", des "noirs grabats", des "linceuls", des "peuples éperdus", de "la faulx sombre", du "troupeau frissonnant", montrent un champ lexical particulièrement développé. 

Derrière le vocabulaire se trouve aussi la musique des mots: L'harmonie des chuintantes et des sifflantes développée tout au long du poème évoque parfaitement le sifflement sinistre de la "faulx" ("faucheuse" et "champ", "moissonnant" et "fauchent", "triomphateurs" et "triomphaux", "échafaud" répété deux fois).

Dans une atmosphère d'apocalypse, la mort nous est présentée à partir d'un champ lexical de la peur et de la nuit ("noir", "squelette", "crépuscule", "ombre", "tremble") en même temps que les gutturales ("sortaient", "noirs grabats", "froid", "bruissait", "nombre", "éperdus", "sombre", "troupeau", "frissonnant", "ombre"crépuscule", "dirait", "tremble", "recule") qui nous font entendre le frisson de la peur.  Le poème est balayé par le le souffle glacé de la bise ("vent", "froid", "bruisser", "linceul", "semblaient", "sous", "faulx", "sombre", "frissonnant", "s'enfuit"). La rime assourdie "nombre-sombre" reprise phonétiquement par le mot "ombre" contribue aussi, de par ses tonalités mineures, à la tristesse du tableau. Tableau qui se termine par l'effrayante synthèse ponctuée par les monosyllabes "tout", "sous", "ces", "pieds", "deuil", "et", "nuit" ainsi que par la gradation "deuil", "épouvante", "nuit". La "nuit" traduit une fin brutale.

C'est ici que pourrait se terminer le poème, cependant, les deux derniers vers allument un espoir, qui est souligné par l'antithèse du vocabulaire et l'antithèse phonétique. Aux champs lexicaux de la chaleur et de la nuit s'opposent les champs lexicaux de la chaleur et de la lumière ("baigné", "douces flammes", "souriant"). Au locatif "sous" s'oppose le locatif "derrière elle". Aux sonorités étouffées ("sombre", "ombre") s'oppose l'ouverture des voyelles ("derrière", "baigné", "flammes", "ange", "souriant", "portrait", "âmes"). Enfin, Hugo réutilise la métaphore filée : c'est la mort qui moissonne et c'est l'ange qui récolte.

lundi 1 août 2022

La naissance de Vénus - Sandro Botticelli (1444/45-1510)

Alessandro di Mariano di Vanni Filipepi, dit Sandro Botticelli, est un peintre né entre le 1er mars 1444 et le 1er mars 1445, dans le quartier d'Ognissanti à Florence, où son père était tanneur. Il meurt en mai 1510 dans la maison de la Via della Porcellenna où il a travaillé toute sa vie.

Ce peintre est connu pour ses allégories. Son étude de l'Antiquité gréco-romaine fait partie de ses humanités (apprentissage). Peintre intellectuel dont le public est composé des courtisans d'un haut niveau de culture, autant que richissimes, il peint de nombreux tableaux sur le mode de la référence à la mythographie hellénique pour en tirer des allusions fines destinées à ses amateurs. Son thème général de travail est la représentation de la femme, sur laquelle il porte un regard nouveau, tout en la magnifiant et la rendant sublime: les amateurs de son art de son époque n'ont jamais pu égaler une telle splendeur dans la finesse des traits et la représentation charnelle.

La naissance de Vénus, (1485), 172cm x 278 cm, Galerie des Offices, Florence.

Dans "La Naissance de Vénus", panneau peint vers 1485, la déesse est représentée nue, de face, en pied, grandeur nature. Commandé par Lorenzo di Pier Francesco de Médicis, parent de Laurent de Médicis, comme pendant du "Triomphe du Printemps", ce tableau était destiné à décorer sa villa de Castello, proche de Florence. Seuls pouvaient l'admirer les amis de son propriétaire, des néoplatoniciens amateurs de mythologie gréco-romaine et souvent collectionneurs de statues antiques, que la nudité ne pouvait choquer.

Dans cette allégorie, Botticelli représente une Vénus pudique. Elle semble douce et fragile. Le port de la tête, et le basculement du bassin dans le sens contraire sont un signe d'élégance antique. Les peintres de la Renaissance aiment imiter l'art de l'antiquité gréco-romaine. Dans ce tableau la Vénus ressemble à une statue antique. La couleur et la texture de sa peau font penser à du marbre.

Le modèle de la Vénus, Simonetta Vespucci, était la femme de Marco Vespucci et la maîtresse de Julien de Médicis, et considérée comme la plus belle femme de son époque. Décédée de pneumonie à l'âge de 22 ans en 1476, tous les portraits célèbres de Botticelli la représentant sont posthumes.

Déesse de la beauté et de l'amour, la Vénus nue de Botticelli est au contraire très chaste, se couvrant d'une main la poitrine, dissimulant de l'autre son pubis derrière une mèche de sa longue chevelure flottant au vent. En outre, le peintre a estompé la pointe des seins et le nombril de sa Vénus, et il lui a donné de plus un regard rêveur qui supprime toute équivoque de l'esprit du spectateur. Loin d'avoir voulu peindre une Venus Erotica, Botticelli a peint la Venus Humanitas des platoniciens, pour lesquels la contemplation de la beauté donnait aux hommes une image de la perfection divine. Une copie du personnage central de la Naissance de Vénus a été réalisé se découpant sur un fond brun par l'atelier de Botticelli, modèle dont devait s'inspirer ultérieurement Lorenzo di Credi pour peindre sa propre Vénus.

Vénus, née de l'écume de la mer, navigue sur une coquille. Dans le récit mythologique, la coquille Saint-Jacques fut le premier abri de Vénus et de Cupidon. Les dieux du vent, dont Zéphyr, poussent Vénus sur le rivage grâce à leur souffle. Flore, la déesse du printemps,  l'accueille sur le rivage. Elle tient dans ses mains un grand habit ouvert afin de couvrir Vénus, encore dénudée.

Le sujet est tiré de la littérature grecque et romaine, et en particulier de l'écrivain romain Ovide dont les métamorphoses connaissent un grand succès du XIVe au XVIIe siècle. On pense généralement que le peintre a voulu représenter la naissance de l'humanité.

lundi 6 juin 2022

Correspondances - Charles Baudelaire (1821-1867)


La Nature est un temple où de vivants piliers
Charles Baudelaire
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal) 1857

jeudi 24 mars 2022

Vivre pleinement sa vie

Imaginez que chaque matin, une banque vous ouvre un compte de 86 400 euros. Simplement il y a deux règles à respecter:

- Première règle: tout ce que vous n'avez pas dépensé dans la journée vous est enlevé le soir. Vous ne pouvez pas tricher, ne pouvez pas virer cet argent sur un autre compte, ne pouvez que le dépenser. Mais chaque matin au réveil, la banque vous ouvre un nouveau compte, avec à nouveau 86 400 euros pour la journée.
- Deuxième règle: la banque peut interrompre ce "jeu" sans préavis. A n'importe quel moment, elle peut vous dire que c'est fini, qu'elle ferme le compte et qu'il n'y en aura pas d'autre.

Que feriez-vous ? Vous dépenseriez chaque euro à vous faire plaisir, et à offrir quantité de cadeaux aux gens que vous aimez. Vous feriez en sorte d'utiliser chaque euro pour apporter du bonheur dans votre vie et dans celle de ceux qui vous entourent, n'est-ce pas ?

Cette banque magique, nous l'avons tous, c'est le Temps !

Chaque matin, au réveil, nous sommes crédités de 86 400 secondes de vie pour la journée, et lorsque nous nous endormons le soir, il n'y a pas de report. Ce qui n'a pas été vécu dans la journée est perdu, hier vient de passer. Chaque matin, cette magie recommence. Nous jouons avec cette règle incontournable: la banque peut fermer notre compte à n'importe quel moment, sans aucun préavis. A tout moment la vie peut s'arrêter.

La vie est courte, même pour ceux qui passent leur temps à la trouver longue...
Alors, que faisons nous de nos 86 400 secondes quotidiennes ?

Extrait de "Et si c'était vrai" de Marc Levy


Pour réaliser la valeur d'une année, demandez à un étudiant qui a doublé son année.
Pour prendre conscience de la valeur d'un mois, demandez à une mère qui a accouché prématurément.
Pour connaître la valeur d'une semaine, demandez à l'éditeur d'un hebdomadaire.
Pour connaître la valeur d'une heure, demandez aux amoureux qui sont temporairement séparés.
Pour comprendre la valeur d'une minute, demandez à une personne qui a manqué son train.
Pour réaliser la valeur d'une seconde, demandez à qui vient juste d'éviter un accident.
Pour comprendre la valeur d'une milliseconde, demandez à celui ou celle qui a gagné une médaille d'argent aux Olympiques.

lundi 14 février 2022

Histoire de l'évolution

Ce diagramme représente toute l'histoire de l'évolution, depuis le big-bang jusqu'à aujourd'hui. 

Plus nous avançons dans le temps, plus l'évolution s'accélère, rendant nécessaire de zoomer dans l'échelle du temps. L'extrémité droite de la ligne est donc agrandie successivement, pour arriver à l'apparition de l'homme, dont la civilisation existe depuis 6000 ans, soit 0,00004% de l'histoire de l'univers.


lundi 10 janvier 2022

Le bonheur est le chemin

On se persuade souvent soi-même que la vie sera meilleure après s'être marié, après avoir eu un enfant, et ensuite, après en avoir eu un autre... Plus tard, on se sent frustré, parce que nos enfants ne sont pas encore assez grands et on pense que l'on sera mieux quand ils le seront. On est alors convaincu que l'on sera plus heureux quand ils auront passé cette étape. On se dit que notre vie sera complète quand les choses iront mieux pour notre conjoint, quand on possédera une plus belle voiture ou une plus grande maison, quand on pourra aller en vacances, quand on sera à la retraite...

La vérité est qu'il n'y a pas de meilleur moment pour être heureux que le moment présent. Si ce n'est pas maintenant, quand serait-ce? La vie sera toujours pleine de défis à atteindre et de projets à terminer. Il est préférable de l'admettre et de décider d'être heureux maintenant qu'il est encore temps.

Pendant longtemps, j'ai pensé que ma vie allait enfin commencer, "La vraie vie"! Mais il y avait toujours un obstacle sur le chemin, un problème qu'il fallait résoudre en premier, un thème non terminé, un temps à passer, une dette à payer. Et alors la vie allait commencer !  Jusqu'à ce que je me rende compte que ces obstacles étaient justement ma vie.

Cette perspective m'a aidé à comprendre qu'il n'y a pas un chemin qui mène au bonheur. Le bonheur est le chemin...


Ainsi passe chaque moment que nous avons et plus encore: quand on partage ce moment avec quelqu'un de spécial, suffisamment spécial pour partager notre temps et, que l'on se rappelle que le temps n'attend pas.

Alors, il faut arrêter d'attendre de terminer ses études, d'augmenter son salaire, de se marier, d'avoir des enfants, que ses enfants partent de la maison ou, simplement, le vendredi soir, le dimanche matin, le printemps, l'été, l'automne ou l'hiver, pour décider qu'il n'y a pas de meilleur moment que maintenant pour être heureux.

Le bonheur est une trajectoire, et non pas une destination !

Il n'en faut pas beaucoup pour être heureux. Il suffit juste d'apprécier chaque petit moment et de le sacrer comme l'un des meilleurs moments de sa vie:

- Tomber amoureux,
- Rire jusqu'à en avoir mal au ventre, ou des crampes aux mâchoires,
- Trouver un tas de nouveaux méls sur sa boîte quand on revient de vacances,
- Conduire vers des paysages magnifiques en terre inconnue,
- Se coucher dans son lit en écoutant la pluie tomber dehors,
- Sortir de la douche et s'essuyer avec une serviette toute chaude,
- Réussir son dernier examen,
- Avoir une conversation intéressante,
- Retrouver de l'argent dans un pantalon que l'on n'a pas porté depuis des lustres,
- Rire de soi-même,
- Rire sans raison particulière,
- Entendre accidentellement quelqu'un dire quelque chose de bien sur soi,
- Se réveiller en pleine nuit en se rendant compte que l'on peut encore dormir quelques heures,
- Écouter une chanson qui nous rappelle un moment chéri,
- Se faire de nouveaux amis,
- Voir contents les gens que l'on aime,
- Rendre visite à un vieil ami et se rendre compte que les choses n'ont pas changé entre vous,
- Admirer un coucher de soleil,
- Se faire tranquillement masser le dos et s'endormir paisiblement,
- Sentir un vent doux et frais nous caresser la joue,
- Entendre dire que l'on nous aime et vivre paisiblement tous les petits moments qui nous réchauffent le cœur et l'âme.

Texte anonyme issu de la Sagesse Internet