mardi 27 mai 2014

Le plaisir et la sagesse de douter

Le doute maintient les sens et l'esprit toujours disposés à accueillir et concevoir la nouveauté. La certitude est une fermeture à l’évasion, un blocage de l’imagination. Il est parfois préférable de reculer devant l’affirmation. Car le doute implique-t-il nécessairement une résolution qui le dépasse ? Ce peut être un plaisir et une sagesse que de s’arrêter sur un doute. Dans la culture, toutes les disciplines s’interpénètrent. À l’égard du doute et même de l’erreur, des penseurs et non des moindres ont donné au doute une place centrale dans leurs spéculations, jusqu’à en faire, comme eux, une fin en soi.

Vers le VIe siècle avant notre ère est né au pied de l’Himâlaya un prince, Siddhârtha Gautama du clan des Shâkya, qui a renoncé à tous les privilèges royaux et a vécu une vie austère de religieux errant, pour se faire non pas philosophe, mais « médecin de la douleur des hommes ». Il est alors le Buddha « l’Éveillé ». À la manière d’un médecin il a reconnu la violence et tous les maux de la vie ordinaire comme symptômes extérieurs d’un mal plus profond qu’il définit comme un cycle incessant de phénomènes psychologiques s’enchaînant les uns aux autres, dont le premier moteur est le désir et qui détermine indéfiniment naissance et renaissance. Si c’est dans l’esprit des hommes que naît la douleur de l’expérience, le remède est la discipline de l’esprit. Dans le cycle des opérations psychologiques, on peut agir sur le désir, le contrôler en dépréciant les objets qui le suscitent. On peut aussi agir sur les opérations de la connaissance, assurer la perfection d’une connaissance en la mettant à sa place dans ses limites, en éludant les fausses certitudes.

Et dans son enseignement le Buddha a effectivement éludé l’affirmation comme la négation, s’est placé à l’écart des grandes controverses philosophiques, s’est tenu à égale distance des thèses opposées. Il a ainsi fondé une « voie du milieu », destinée à un immense développement tout au long de l’histoire. C’est ce qu’on appelle le Madhyamakashâstra « la science du milieu », une discipline à part entière. 

Le grand docteur bouddhiste, Nâgârjuna qui a vécu vers le IIIe siècle de notre ère dans le sud de l’Inde, a porté sur le plan métaphysique le doute sur les opinions divergentes et l’attitude de ne prendre parti pour aucune. Mais, si l’on reste au niveau du doute sans opter pour l’une ou l’autre de deux alternatives, quel est le moyen terme où s’engager ?  Pour Nâgârjuna le « milieu » est de proclamer l’inanité des deux alternatives. C’est la célèbre « vacuité d’être » propre du bouddhisme. 

On ne prendra pas cette démarche comme une méthode de recherche de la vérité. Elle ne mène pas, elle ne doit pas mener à une décision sur une vérité. Elle est une discipline pour se pénétrer de l’impermanence des choses, de l’infirmité du psychisme de l’homme à accéder à la vérité absolue. Le but final est de se dégager de l’attachement aux choses du monde en prenant conscience de leur absence de valeur absolue. Cela traduit l’idée d’une ignorance métaphysique, celle de la vacuité. Dans l’expérience pratique le connaissable accessible à l’homme peut être pris pour une réalité, mais cette réalité est une couverture d’une réalité ultime qui est la vacuité. Or c’est dans l’expérience de cette réalité empirique, seconde, dite « de recouvrement », que l’homme rencontre inévitablement la douleur. L’issue hors du mal de vivre est de mettre à leur place de vérité seconde les connaissances qui nous sont accessibles.

Vers la même époque que le Bouddha, dans la même plaine du Gange est né un autre prince, Vardhamâna Mahâvîra, qui de la même façon a renoncé aux privilèges de la noblesse et partant des mêmes principes a vécu une semblable règle de vie. On leur a donné à tous deux le titre de Jina « le Vainqueur », parce qu’ils avaient vaincu leurs passions. L’histoire a cependant fait diverger profondément les religions qu’ils ont fondées. Le bouddhisme a quitté son pays d’origine pour conquérir toute l’Asie orientale. 

Le jainisme est resté indien. Il concoit la destinée humaine comme affectée par un lien aux actes, servitude dont on se dégage par une connaissance transcendantale, apanage des âmes délivrées, telles que ceux qu’on appelle les Tîrthankara « Passeurs de gué », suprêmes guides vers la transcendance. À la connaissance parfaite s’oppose la connaissance empirique et il importe de prendre conscience du caractère relatif de cette dernière. A cette fin les logiciens jaina qui n’ont pas connu de limites à la subtilité, ont édifié une théorie du doute qu’ils ont appelée anekânta-vâda « doctrine des multiples points de vue ». Les choses ont une infinité de propriétés. L’être non-omniscient qu’est tout homme en ce monde ne peut en toute conscience faire d’affirmation absolue à partir d’un seul aspect des choses. 

Les logiciens jaina ont synthétisé la prise de conscience de la diversité des points de vue en lui donnant une forme verbale dans une série de sept formules. 

Ils l’appellent saptabhangî « les sept inflexions » de la connaissance, ou encore syâd-vâda « doctrine du peut-être ». Chaque formule comporte le mot sanscrit syât qui est le potentiel du verbe asti « être ». Il se traduit littéralement par « peut-être ». On pourrait traduire l’idée qu’il contient par « d’une certaine façon ». Il s’agit dans toute proposition affirmative ou négative de réserver la possibilité de tout autre point de vue, voire de déclarer son indétermination. Voici donc les sept inflexions jaina de la connaissance :

- syâd asty eva « peut-être existe-t-on », c’est-à-dire que l’on existe d’une certaine façon, par exemple en tant qu’homme, sur cette terre, en tel temps, mais pas autrement ;

- syân nâsty eva « peut-être n’existe-t-on pas », négation qui réserve la possibilité des points de vue précédents ;

- syâd asty eva syân nâsty eva « peut-être existe-t-on, peut-être n’existe-t-on pas », d’un certain point de vue, la durée de la vie humaine par exemple, existence et non-existence se succèdent ;

- syâd avaktavyam eva  « peut-être est-ce non-exprimable », d’un autre point de vue, on ne peut parler d’existence et inexistence simultanées ;

- syâd asty eva syâd avaktavyam eva « peut-être existe-t-on et peut-être est-ce non-exprimable » ;

- syân nâsty eva syâd avaktavyam eva « peut-être n’existe-t-on pas et peut-être est-ce non-exprimable» ;

- syâd asty eva syân nâsty eva syâd avaktavyam eva « peut-être existe-t-on, peut-être n’existe-t-on pas et peut-être est-ce non-exprimable ».


Tout ceci est un entrainement à considérer la multiplicité des vues possibles sur les choses, une invitation à s’arrêter sur la relativité des connaissances. On a parfois interprété la vacuité bouddhique comme un nihilisme, le doute jaina comme un scepticisme. Cette discipline de doute ne dissout pas, ni ne relativise pas la réalité empirique en tant que telle. Elle renseigne seulement sur la fragilité des certitudes, la vacuité des affrontements d’opinions, la vertu de la pratique des multiples points de vue et leur inspirent la tempérance des jugements et le respect de l’opinion d’autrui. La pratique du doute présente les vertus idéales à opposer aux tensions, aux heurts, à la violence. Le doute présente des vertus ancrées dans le respect d’autrui, la tolérance et la non-violence.

mercredi 14 mai 2014

Les cinq sens - Hans Makart (1840-1884)

Hans Makart - Les cinq sens, dans l'ordre: le toucher, l'ouïe, la vue, l'odorat, le goût (1872-79)
Hans Makart (28 mai  1840 - 3 octobre  1884) est un peintre et décorateur autrichien du XIXe siècle. Il est connu pour son influence sur Gustav Klimt et d'autres artistes autrichiens, mais en son temps, il était lui-même considéré comme un artiste important et une figure célèbre de la culture viennoise. Être reçu dans son atelier du centre historique de Vienne, une ancienne fonderie au décor surchargé de tableaux, tentures, tapis de fourrure, était considéré comme un "must".

Peintre d'histoire, Makart est l'un des plus brillants représentants de la grande peinture décorative en Europe autour de 1870. Après des débuts difficiles, il connut une carrière fulgurante interrompue par une mort prématurée. 

Faute de moyens, il dut interrompre ses études à l'académie des Beaux-Arts de Vienne. Le prince-évêque de Salzbourg s'intéressa à lui et l'envoya à Munich, où il devint, en 1861, élève de Piloty, peintre d'histoire dans la lignée de Delaroche, qui dominait alors l'école munichoise. Huit ans plus tard, il était appelé à Vienne, où un atelier lui était aménagé aux frais de l'État ; il devint en 1879 professeur de peinture d'histoire à l'académie des Beaux-Arts. En 1875-1876, il accompagne en Égypte le peintre Lenbach, avec qui il s'était lié dans l'atelier de Piloty. 

Hans Makart (1840-1884) - Autoportrait
Prodigieusement doué, trop sans doute pour savoir renoncer à la virtuosité d'un éclat tout superficiel, Makart a abordé un peu tous les genres de peintures, mais ce sont ses portraits, très déshabillés, de femmes du monde, qui ont fait certes scandale, mais contribuèrent aussi non seulement à sa renommée mais aussi à sa fortune.

 Hans Makart est un des précurseurs de l'art moderne, qualifié de "peintre des sens", en référence à ses tableaux grand format, à l'érotisme marqué. L’œuvre prolifique du peintre, aussi considéré comme le "chef-décorateur" de la société aristocrato-bourgeoise viennoise de la deuxième moitié du XIXème siècle a assuré sa renommée.

Adulé de son vivant, ses contemporains parlaient du "style Makart", puis, après sa mort, de "l'époque Makart".

lundi 5 mai 2014

Histoire de l'évolution

Ce diagramme représente toute l'histoire de l'évolution, depuis le big-bang jusqu'à aujourd'hui. 

Plus nous avançons dans le temps, plus l'évolution s'accélère, rendant nécessaire de zoomer dans l'échelle du temps. L'extrémité droite de la ligne est donc agrandie successivement, pour arriver à l'apparition de l'homme, dont la civilisation existe depuis 6000 ans, soit 0,00004% de l'histoire de l'univers.


jeudi 1 mai 2014

Isaac Cordal (1974-)

L’artiste Isaac Cordal (né en 1974 en Espagne) place des petits personnages miniatures dans des endroits étranges,souvent angoissants pour attirer notre attention sur la nature et et notre empreinte dessus.
Il loge ses petites créatures de béton dans les interstices des villes : la fissure d’un mur, la faille d’un trottoir, une flaque d’eau. Cordal invente une scénographie du minuscule, poétique et parfois inquiétante. Car ses personnages en costume, qui brandissent attaché-case et téléphones portables, semblent courir tout droit à des catastrophes (noyades, disparitions en tout genre) qui sont autant de symptômes d’une époque en crise. 






Interview de l'artiste (Source: Artistik rezo.com)

- Vous êtes passé par les Beaux Arts ?
- J’ai étudié la sculpture dans plusieurs écoles. C’est presque par accident que j’ai commencé à faire du street art, parce que camoufler mes sculptures dans le paysage urbain m’intéressait. Et puisque mes sculptures sont en ciment, qui est l’empreinte de l’homme contre la nature, la ville est leur habitat naturel.

- Pourquoi jouer sur les échelles ?
- Utiliser une très petite échelle, c’était faire de la ville un immense prétexte à scénario, un décor. J’avais aussi besoin de créer quelque chose de petit, que je pouvais facilement transporter dans un sac à dos et qui me permette de me déplacer. Mes sculptures sont devenues de plus en plus petites, j’imagine donc que la prochaine étape, c’est leur disparition...

- Vous aimez mettre en scène les catastrophes… Pourquoi ?
- Mais je réfléchis à ce qui nous entoure, et hélas, beaucoup des choses qui surviennent ne sont pas très agréables ! C’est une réflexion sur le progrès et ses effets secondaires dans notre société.
Le progrès a été globalisé au bénéfice de quelques-uns, le temps s’est accéléré, comme si la diversité des cultures devait s’effondrer au même rythme que les marchés financiers… J’espère qu’un changement va subvenir, et humblement, à travers mon travail, c’est ce que je demande.

- Vous avez le sentiment de commenter l’époque – la crise, par exemple ?
- L’art devrait être le miroir de la société. Le grand problème, c’est que c’est un miroir sur lequel peu de gens sont prêts à réfléchir. Mon travail se veut une réflexion sur notre modèle de vie. Cela m’intéresse de travailler sur différents problèmes liés aux valeurs actuelles, et à la façon dont les plus défavorisés sont frappés brutalement par la crise. Nous vivons une époque de crise, ce qui arrive quand l’ancien régime ne veut pas mourir mais que le nouveau n’est pas capable de s’imposer.

- Vous avez aussi investi des espaces naturels, comme la plage, dans le projet « Waiting for the Climate Change »… Cela modifie votre approche des lieux ?
- J’aime les deux types d’espace, urbain et naturel, pour moi ce qui change, ce sont moins les moyens que j’emploie que le sens du projet. Celui dont vous parlez avait été créé pour « Beaufort04 », un évènement sur la cote belge. J’avais fait une série de sculptures érigées sur des poteaux face à la mer. Cette installation représentait des personnages au bord d’un désastre possible mais complètement absorbés par leurs Smartphones. Il s’agissait de mettre en scène à la fois les paranoïas et les peurs alimentées par les médias et notre manque de conscience des problèmes environnementaux planétaires.

- Le street art, c’est un activisme ?
- Pour beaucoup, ce n’est pas le cas. Mais moi, oui, j’aime considérer le street art comme une forme de combat. Cela me plait d’y voir un dialogue entre un lieu et ses habitants, entre la société et ses leaders…

- Au-delà de cette dimension politique, vos personnages sont une façon d’explorer la condition humaine ?
- Ils sont aussi petits que l’univers lui-même. Avant, nous bâtissions d’immenses monuments pour nous mesurer aux dieux. Mais avec toutes ces statues équestres qui habitent les parcs il faut bien réduire l’échelle!

- Il y a une forme d’humour mélancolique dans votre travail…
- J’essaye d’utiliser l’ironie, mais il ne s’agit jamais d’une plaisanterie. L’humour est une façon d’habiller le drame. Je pense que nous avons besoin chaque jour d’une overdose d’humour pour survivre.

- Vous avez aussi sculpté des ombres, en photographiant celles que projetaient des passoires dont vous aviez fait des visages…
- C’est un vieux projet qui remonte à 2001, lors de ma première exposition solo. J’étais fasciné par ces ombres qu’on peut créer avec un simple objet en métal. Je voulais imiter les images en 3D des ordinateurs mais de la façon la plus simple possible, sans technologie.

- Les photographies sont une trace, ou bien une œuvre en elles-mêmes ?
- Au début, ce n’était pour moi qu’une façon de documenter mon travail. Mais petit à petit, c’est devenu un aboutissement en soi.

- Qui admirez-vous ?
- Dans les rues, j’aime ce que font Blu, Escif, Liqen, Brad Downey, entre autres. En dehors du street art, je n’ai pas d’artiste favori mais j’admire Maurizio Cattelan, Anthony Gormley, Ron Mueck, Medardo Rosso, les frères Chapman…

-Que représentent les galeries, pour vous ?
- Je m’efforce d’y montrer le travail que je fais dehors, sans pour autant transformer la galerie en simulacre de la rue. C’est aussi l’occasion de montrer d’autres types de travaux, que je ne pourrais pas mettre en œuvre dans la rue faute de temps ou de moyens.

- Et vos prochains projets ?
- J’ai des expositions et des voyages en prévision. J’espère que nous verrons tous le printemps une fois encore….

Propos recueillis par Sophie Pujas pour le site Artistik rezo.com





Le site de l'artiste :  www.isaac.alg-a.org