dimanche 25 mars 2012

Les Confessions d'un assassin financier - John Perkins (2005)

J. Perkins (1945-)

John Perkins (né en 1945 à Hanover dans le New Hampshire aux États Unis) est un économiste, un écrivain et un activiste social et écologiste. Révélations sur la manipulation des économies du monde par les États-Unis est la traduction en français du livre Confessions of an Economic Hit Man écrit par John Perkins et publié en 2004. Perkins y relate sa carrière dans la firme de consultants Chas. T. Main (en) de Boston.

Avant d'être engagé par la firme, l'auteur affirme avoir passé une entrevue pour un travail à la National Security Agency (NSA). Perkins affirme que cette entrevue a servi de test pour devenir ce qu'il nomme un "assassin économique" (economic hit man).

les assassins financiers, selon John Perkins, sont des professionnels grassement payés qui escroquent des milliards de dollars à divers pays du globe. leurs armes principales: les rapports financiers frauduleux, les élections truquées, les pots-de-vin, l'extorsion, le sexe et le meurtre.
John Perkins sait très bien de quoi il parle ... Il a été lui-même un assassin financier. Son travail consistait à convaincre certains pays stratégiquement importants pour les Etats Unis, comme le Panama ou l'Indonésie, d'accepter d'énormes prêts pour le développement de leurs infrastructures, et à s'assurer que tous les projets lucratifs étaient confiés à des entreprises américaines. Ainsi affligés de lourdes dettes, ces pays se retrouvaient alors sous le contrôle du gouvernement américain, de la Banque mondiale et d'autres organisations humanitaires dominées par les Etats Unis, qui se comportaient envers eux comme des usuriers, leur dictant les conditions de remboursement et forçant leurs gouvernements à la soumission.
Confessions d'un assassin financier - 2005
 Perkins soutient qu'une certaine élite aux États-Unis souhaite construire un empire global, défini par les présidents Lyndon Johnson et Richard Nixon. Pour ce faire, ils ont constitué un groupe de consultants qui utilisent les organisations financières internationales pour créer les conditions permettant d'assujettir des nations à cet empire par l'endettement économique auprès d'organismes comme le FMI et la Banque mondiale. La tâche de ces consultants est de justifier et d'argumenter la conclusion par des États d'énormes prêts internationaux dont l'argent finira, déduction faite des sommes destinées à la corruption des élites locales, sur les comptes en banques de grandes sociétés d'ingénierie et de construction américaines. Les besoins en liquidités ayant été au préalable surévalués par ces consultants, l'État se révèle incapable de payer sa dette et entre en sujétion vis-à-vis du créancier. Cette position de pouvoir permet ensuite au créancier d'exiger à l'état débiteur l'établissement de bases militaires, un vote favorable aux Nations unies ainsi qu'une loyauté politique en général ou l'accès à d'éventuelles richesses pétrolières et autres ressources naturelles. Perkins qualifie ces méthodes de mafieuses.

Parfois ces prêts prennent la forme pernicieuse d'une aide au développement, ce que critique Perkins, car
cette aide est motivée par la cupidité. Perkins s'attaque d'ailleurs au bien fondé de l'idéal du développement universel, se demandant si le monde entier peut vivre avec le même train de vie que les États-Unis, sachant que les ressources globales sont limitées. Il exprime des doutes sur la viabilité et le suprématisme du système dominant, si on considère sa piètre qualité de vie et les statistiques élevées de suicides, divorces, abus de drogues, dépressions et crimes divers.

Il explique que lorsque les « assassins financiers » comme lui échouent dans leurs plans, des tueurs à gages font leur apparition, les « chacals », et assassinent les personnes faisant obstacle aux ambitions américaines. Puis, en dernier recours, si les assassins échouent aussi, des soldats américains sont envoyés au combat, suivant une stratégie d'impérialisme classique.
Troupe américaine en Irak
Pour Perkins, l'invasion de l'Irak en 1990 fut décidé avec la libération du Koweït comme prétexte, non comme but, le but étant de détrôner Saddam Hussein qui n'avait pas accepté de jouer un rôle de marionnette de cette stratégie de sujétion à l'empire global à cause de son nationalisme.

Perkins s'oppose à l'idéologie de la Destinée manifeste visant à justifier l'expansionisme américain. Il nie tout apport aux Théories du complot, soutenant que nous ne pouvons jeter le blâme sur une conspiration quelconque car bien que l'empire global dépende de l'efficacité des banques, des compagnies et des gouvernements, c'est nous même qui en permettons l'existence étant donné que nous travaillons aussi pour ces sociétés et consommons les produits qu’elles commercialisent, bien qu'il soit plus facile de jeter le blâme sur un bouc émissaire. Pour lui l'élite qui travaille pour l'empire global est une simple association d'intérêts et de croyances communes, non de comploteurs maléfiques. Il soutient la vision politique du président américain Jimmy Carter, considéré comme le président américain le plus proche des idéaux des insurgés de 1776 et raille celle de Ronald Reagan qualifié " d'acteur habitué à se faire diriger". Il dénonce Robert McNamara comme étant l'homme qui a permis de transformer la Banque mondiale en un moyen d'asservissement du tiers monde à l'empire global.

Perkins écrit, "le livre à l’origine était dédié aux présidents de deux pays, des hommes qui avaient été mes clients et que j’ai respecté et que je tenais en estime - Jaime Roldos, président de l’Equateur, et Omar Torrijos, président du Panama. Les deux sont morts dans des crashs d’avion. Leurs morts n’était pas accidentelles. Ils ont été assassinés parce qu’ils s’opposaient à l’alliance entre les dirigeants des multinationales, les gouvernement et les banques dont l’objectif est de construire l’Empire Global.

Nous, les tueurs à gages économiques, n’avons pas réussi à retourner Roldos et Torrijos, alors un autre type de tueurs à gages, les chacals de la CIA, qui étaient toujours dans notre sillage, sont entrés en scène."

John Perkins écrit aussi : "on m’a convaincu de ne pas écrire le livre. Je l’ai commencé quatre fois au cours des vingt dernières années. A chaque fois, ma décision était motivée par des événements mondiaux : l’invasion du Panama par les Etats-Unis en 1980, la première Guerre du Golf persique, la Somalie, et la montée d’Oussama Ben Laden. Cependant, des menaces et des pots de vin m’ont toujours convaincu de m’arrêter."
La "corpocratie" selon J. Perkins


Citations

"La subtilité des moyens utilisés pour créer cet empire moderne ferait rougir de honte les centurions romains, les conquistadors espagnols et les puissances coloniales européennes (…) Aujourd'hui on ne porte plus l'épée. On ne porte ni armure ni costume distinctif (…) c'est ainsi que le système fonctionne. Ils commettent rarement des actes illégaux, car le système lui-même repose sur le subterfuge et est légitime par définition."

    Les Confessions d'un assassin financier., John Perkins, éd. Editions Alterre, 2005, p. 24
"Ce que ces hommes voulaient: une Amérique qui contrôlerait le monde et toutes ses ressources, un monde qui obéirait aux ordres de cette Amérique, une force militaire américaine qui ferait appliquer les règlements définis par l'Amérique, et un système banquier et commercial international qui soutiendrait l'Amérique comme PDG de l'empire global."

    Les Confessions d'un assassin financier., John Perkins, éd. Editions Alterre, 2005, p. 176


"Nous préférons croire au mythe selon lequel la société humaine, après des milliers d'années d'évolution, a finalement créé un système économique idéal, plutôt que de reconnaître qu'il s'agit simplement d'une idée fausse érigée en parole d'évangile."

    Les Confessions d'un assassin financier., John Perkins, éd. Editions Alterre, 2005, p. 247


"Je dirais simplement que depuis la Seconde Guerre mondiale, nous, les tueurs économiques, avons réussi à créer le premier empire véritablement mondial. Cela s'est fait sans l'armée, contrairement aux autres empires à travers l'histoire, mais par une utilisation très subtile de l'économie."

    Entrevue de John Perkins par Amy Goodman, Nexus, nº 54, janvier-février 2008, p. 52

mardi 20 mars 2012

Le phénomène Wikipédia, une utopie en marche

Logo de Wikipédia
Lancée en janvier 2001, l’encyclopédie Wikipédia était riche six ans plus tard de quelque sept millions d’entrées rédigées en plus de deux cents langues, résultat de la collaboration de millions de bénévoles. 

Cette réussite, d’autant plus spectaculaire qu’elle défie les lois du marché, suscite son lot de controverses et celles-ci refont surface avec une régularité d’autant plus prévisible qu’elles confortent tous ceux qui, pour des raisons diverses, sont intéressés à voir échouer ce projet.

Certes, il faut d’emblée reconnaître que cette encyclopédie est loin d’être parfaite – Wikipédia est d’ailleurs la première à l’admettre dans ses "Avertissements généraux". On serait en effet fondé à se méfier a priori d’une publication dépourvue de comité de lecture et qui laisse tout un chacun rédiger des articles sur n’importe quel sujet et même modifier des articles existants. 

Ce laxisme apparent a entraîné des abus qui ont été largement publicisés.

Les problèmes de ce genre ont réjoui les Cassandres des blogs conservateurs qui y voient la confirmation qu’une entreprise fondée sur une conception idéaliste de la nature humaine ne peut qu’échouer, surtout si elle n’est pas encadrée par la logique capitaliste du profit. 

En outre, comme la formule même de Wikipédia encourage les contributions de type factuel plutôt que les textes de synthèse originaux, beaucoup d'articles sont constitués de données éparses, sans vision d’ensemble, se gonflant tantôt de façon anarchique ou ne faisant qu’énumérer des clichés. 

Souvent, les informations n’y sont pas équilibrées et, dans un article d’ordre général, un élément secondaire pourra être longuement développé au détriment des autres aspects, pour la simple raison qu’un contributeur y aura trouvé matière à développer son sujet favori. Parfois même, des informations fondamentales seront ignorées au profit d’une accumulation de détails spécialisés. Les entrées les moins satisfaisantes sont souvent celles sur lesquelles tout un chacun croit posséder des informations pertinentes.

Des articles peuvent aussi être parasités par des hyperliens visant à diriger le trafic vers des sites externes - un problème qui s’est résorbé depuis que Wikipédia a adopté le protocole "no follow" qui indique aux robots des moteurs de recherche de ne pas indexer les sites signalés par les liens en question.

De même, des informations peuvent provenir de personnes ou de sociétés qui se servent de cet outil pour assurer leur propre publicité ou modifier anonymement les données objectives qui les concernent, selon le principe qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Ces actions sont toutefois devenues visibles depuis la mise au point en août 2007 du WikiScanner, qui permet d’établir un lien entre des modifications faites à des articles et les ordinateurs des organisations où elles ont été effectuées, qu’il s’agisse d’une grande entreprise, d’un parti politique, de la CIA ou du Vatican.

Parfois aussi, les références bibliographiques posent d’autres problèmes et servent à biaiser sournoisement le contenu d’un article en renvoyant à une source qui développe un point de vue résolument trompeur. 

 
"N'est fait que pour les ignorants."

En dépit de ces faiblesses, cette encyclopédie ne cesse de gagner en crédibilité, particulièrement dans les milieux scientifiques – qui témoignent à cet égard d’une bien moindre frilosité que leurs collègues de lettres et sciences humaines.

En décembre 2005, Jim Giles a ainsi publié dans la revue Nature une étude comparée de Wikipédia et de la vénérable Encyclopaedia Britannica, fondée sur quarante-deux articles de nature scientifique évalués par des experts, selon une procédure en aveugle. Loin d’être aussi tranchés qu’on aurait pu le croire, les résultats placent les deux ouvrages à peu près sur le même plan, avec chacun quatre sérieuses erreurs et respectivement 162 omissions pour Wikipédia contre 123 pour la Britannica. En outre, sur mille scientifiques consultés, plus de 70 % disent consulter régulièrement Wikipédia sur des sujets scientifiques.

L’étude de Giles aboutit aux mêmes résultats qu’une étude allemande de 2004 qui avait comparé Wikipédia à trois encyclopédies numériques en langue allemande. Elle sera également corroborée en 2006 par l’historien américain Roy Rosenzweig qui, au terme d’une étude très fouillée des articles de sa spécialité, ne trouvera que quatre erreurs de détail dans vingt-cinq biographies, ce qui est minime et se compare très avantageusement aux ouvrages du même genre. L’historien déplore assurément que l’écriture soit souvent de piètre qualité, mais il constate que ce défaut affecte surtout les entrées les plus récentes et les moins retravaillées. En revanche, Wikipédia est d’une étonnante précision en matière de noms, dates et événements de l’histoire des États-Unis. L’historien souligne aussi l’intérêt supplémentaire que présente le fait que, contrairement à beaucoup d’autres contenus accessibles en ligne, la totalité du contenu de cette encyclopédie peut être téléchargée, manipulée et cherchée par des outils informatiques. En conclusion, il souhaite que les historiens s’intéressent sérieusement à Wikipédia et même y contribuent pour la simple et bonne raison que leurs étudiants s’en servent.

 
Animation Wikipédia au CDI, Lycée Jean Rostand, Mantes-la-Jolie (78)


Compte tenu de ces études, il y a lieu de s’interroger sur l’hostilité que Wikipédia continue de susciter en France, particulièrement dans les milieux pédagogiques. On est même allé jusqu’à écrire au printemps 2007 que "Wikipédia ne peut avoir une présence reconnue dans l’enseignement en France, ses principes mêmes (neutralité) n’étant pas compatibles avec les valeurs de l’école laïque et républicaine française, valeurs qui conduisent à privilégier certains points de vue et à en interdire d’autres".

Ce qui frappe dans cette condamnation, c’est à la fois son radicalisme – comment peut-on rejeter en bloc un ouvrage aussi considérable ? – et le fait qu’elle ne repose pas sur une étude attentive du contenu. Ces condamnations rituelles ne manquent pas d’évoquer les clichés qui circulaient au XIXe siècle sur les dictionnaires et encyclopédies, et dont Flaubert s’est fait l’écho dans son Dictionnaire des idées reçues: "Dictionnaire : En dire "N'est fait que pour les ignorants." Encyclopédie : En rire de pitié, comme étant un ouvrage rococo, et même tonner contre." 

Pendant longtemps, l’École avait été protégée de la concurrence des encyclopédies par le coût, la relative rareté et la difficulté d’accès de ces ouvrages. L’apparition d’encyclopédies en ligne a changé la donne et met l’élève en mesure de comparer presque en temps réel les informations données par le maître et celles provenant d’autres sources. Malgré cela, une encyclopédie ne saurait constituer une menace pour l’"école républicaine", car on voit mal en quoi des notices tirées d’une encyclopédie pourraient se substituer au travail de recherche et de réflexion personnelle qu’exige en principe une dissertation au lycée ou un mémoire universitaire.

Au lieu d’élever un pare-feu autour de Wikipédia, l’École aurait donc tout intérêt à s’en servir comme d’un outil pédagogique. Outil d’éducation pour apprendre à respecter le bien public et à ne pas vandaliser des articles ; outil de formation à la lecture critique, surtout, afin d’apprendre à ne pas prendre pour argent comptant tout ce qui s’écrit: en vérifiant la présence de sources crédibles, en comparant divers états d’un article, en comparant la version française avec des versions rédigées dans d’autres langues, en faisant des recherches complémentaires dans d’autres sources, numériques ou imprimées. 

Une telle attitude critique est plus nécessaire que jamais, alors que le mensonge et la dissimulation s’épanouissent dans la culture anonyme du web et que les plus hautes sphères de l’administration de pays qui se présentent comme des modèles de démocratie pratiquent la désinformation à grande échelle, comme on l’a vu lors de la campagne qui a conduit les États-Unis à envahir l’Iraq.

Comme Wikipédia donne accès à l’historique des articles, il est possible d’évaluer le degré de maturité d’une entrée donnée en fonction du nombre de collaborateurs qui y ont travaillé (vingt-quatre en moyenne, du côté francophone) et, en comparant des versions antérieures, d’identifier éventuellement des points en litige et d’apprécier les nuances du travail de réécriture. 

Pour sa part, Roy Rosenzweig estime que le processus de création de Wikipédia apprend à apprécier les habiletés et les savoirs que vise précisément à enseigner la discipline historique: citer ses sources, vérifier les faits et se souvenir que la "vérifiabilité" est une politique officielle de Wikipédia. En outre, les participants au processus de rédaction apprennent souvent une des leçons les plus complexes du métier d’historien, à savoir que "les faits du passé et la façon dont ces faits sont organisés et racontés sont souvent hautement contestés".

En mars 2007, passant de la théorie à la pratique, une professeure de sciences politiques à l’université d’East Anglia (Royaume-Uni) a choisi de développer l’esprit critique de ses étudiants d’études supérieures en les faisant contribuer à la rédaction d’articles pour Wikipédia afin qu’ils puissent bénéficier d’un processus instantané et permanent de contrôle par les pairs – le peer review process étant essentiel dans une carrière universitaire.

Cette démarche est assurément plus constructive que celle à laquelle se sont livrés en France des étudiants de Sciences Po et qui a bénéficié d’une remarquable publicité en juillet dernier. On apprenait ainsi que, sous la direction de Pierre Assouline, décidément devenu détracteur en chef de Wikipédia en France, un groupe d’étudiants s’était donné pour tâche de "démonter le mécanisme" de Wikipédia et, pour ce faire, avait systématiquement introduit des erreurs factuelles dans divers articles afin de tester le temps qu’il faudrait avant qu’elles ne soient décelées et corrigées. Il est assez étonnant et tout à l’honneur de Wikipédia que ces erreurs aient été décelées et corrigées moins de deux semaines après avoir été mises en ligne. 

Il n’en reste pas moins que le recours au vandalisme dans cette étude est troublante: c’est comme si un professeur d’éducation civique demandait à ses élèves de disséminer des détritus dans les parcs publics et de couvrir de graffitis les statues qui s’y trouvent afin de tester le temps nécessaire aux équipes de nettoyage pour faire place nette. Le manque d’éthique du procédé a choqué de nombreux internautes. Cette démarche de potaches était assurément plus médiatique et moins exigeante qu’une étude longitudinale sur la façon dont des entrées importantes ont évolué au fil des ans.

En raison de la grande visibilité médiatique de Wikipédia, toute nouvelle controverse a pour effet de hausser le niveau d’exigence du public et de renforcer la vigilance des contributeurs dont beaucoup surveillent quotidiennement les modifications faites à leurs articles d’élection et s’engagent dans d’inlassables discussions sur le bien-fondé de telle ou telle affirmation. C’est ainsi que, en pointant des faiblesses réelles, les critiques ont permis à cette entreprise collective de raffiner ses procédés techniques de surveillance et d’édition, de préciser ses protocoles de collaboration et d’améliorer de façon continue la qualité des articles, notamment en plaçant des avis et mises en garde sur les entrées peu étoffées, au contenu discutable ou insuffisamment référencé. 

Il faut savoir aussi que, lors de la rédaction d’un article, le wikipédien peut cocher une case de suivi, ce qui lui permet d’être immédiatement averti par courriel à la moindre modification subséquente. Il se développe ainsi un sentiment de "paternité" à l’égard d’un certain nombre d’articles, et ce sentiment partagé crée une véritable communauté d’usagers.

Diderot se serait certainement senti à l’aise dans cette communauté, lui qui dans le très long article intitulé "Encyclopédie" écrit que son grand projet est un "Ouvrage qui ne s'exécutera que par une société de gens de lettres et d'artistes, épars, occupés chacun de sa partie, et liés seulement par l'intérêt général du genre humain, et par un sentiment de bienveillance réciproque". 


Le jeu omniprésent des hyperliens l’aurait aussi très certainement fasciné, car il concevait le texte comme une entité organique et il avait élaboré une hiérarchie très raffinée de renvois visant à enchaîner la lecture d’un article à un autre. Grâce à une amélioration constante de la qualité et de la richesse de son contenu, Wikipédia est devenu un des vingt sites les plus fréquentés au monde et il n’est probablement pas un internaute – même parmi ses détracteurs – qui n’y ait recours occasionnellement pour obtenir ou vérifier une information quelconque.

Sans cet ouvrage de référence encyclopédique, on se retrouverait devant le chaos primitif du web de la fin des années 1990, où pullulaient les sites aux informations fantaisistes ou carrément biaisées, sur la véracité desquelles l’usager n’avait aucun moyen de contrôle – une réalité souvent ignorée ou oblitérée par les détracteurs de Wikipédia. 

Dans le passé, loin de rendre obsolète le projet encyclopédique, l’expansion de l’imprimerie et des bibliothèques l’avait au contraire stimulé. De même, l’existence sur le web de milliards de pages qu’indexent de puissants moteurs de recherche a paradoxalement rendu plus nécessaire que jamais la création d’une encyclopédie d’accès libre où chacun puisse trouver rapidement des informations qui répondent précisément à une question donnée.

Là, toutefois, ne se limite pas l’intérêt de ce "projet d'encyclopédie librement distribuable que chacun peut améliorer" - ainsi que Wikipédia se définit elle-même. Ce grand chantier encyclopédique étend aussi ses effets aux plans pédagogique, culturel et social.




Impact pédagogique

Ainsi que l’ont déjà perçu certains enseignants, l’impact de Wikipédia se fait d’abord sentir sur ses collaborateurs, soit les milliers de rédacteurs anonymes qui consacrent parfois le plus clair de leur temps libre à augmenter le nombre d’entrées ou à améliorer les entrées existantes. Il s’agit là d’une formidable entreprise d’éducation mutuelle en ce sens que les wikipédiens apprennent à respecter les entrées des autres et à exprimer leur point de vue de façon à le faire entendre dans le concert des autres points de vue. Surtout, ils apprennent à rédiger des textes d’information pour un public universel. Les principes fondateurs de Wikipédia leur donnent des balises qui doivent orienter leur contribution : respecter la nature encyclopédique du projet, adopter un point de vue neutre, publier un contenu libre, respecter les règles de savoir-vivre, être inventif et audacieux.

Le plus important de ces principes est sans doute celui qui vise à protéger contre les dérapages de la subjectivité, en imposant la norme de neutralité en vigueur dans les articles scientifiques. Cette dernière ne s’est établie que très lentement, une des grandes dates étant le bannissement des figures de rhétorique par la Royal Society de Londres en 1666 pour les textes destinés à sa revue Philosophical Transactions.

De cette façon, on réduisait le risque que les textes de réflexion soient envahis par l’émotivité naturelle, si facilement enclenchée par le jeu de la comparaison, de la métaphore, de l’ironie ou de l’hyperbole. En exigeant un point de vue neutre, Wikipédia crée les conditions favorables à un débat civilisé et placé sous le signe de la rigueur intellectuelle.

Certes, on est loin ici de l’esprit qui animait Diderot et d’Alembert, pour qui l’Encyclopédie était une formidable machine de guerre contre l’obscurantisme religieux, mais cette forme d’encyclopédie de combat n’est assurément plus lisible aujourd’hui. Au contraire, la meilleure façon de mener le combat contre l’obscurantisme, même dans l’"école républicaine", ne peut passer que par une rigoureuse neutralité dans l’exposé des faits, afin de permettre une adhésion raisonnée des esprits. 

En fait, la simple présentation objective des données scientifiques est déjà tellement insupportable pour les intégristes de toute obédience qu’un groupe de conservateurs américains a récemment lancé Conservapedia, qui vise à faire concurrence à Wikipédia. La page d’accueil en est parsemée de citations bibliques et de liens à des articles sur le concept antidarwinien d’intelligent design. La devise en est: "A conservative encyclopedia you can trust", écho direct aux controverses sur Wikipédia savamment entretenues par la droite la plus conservatrice. Inutile de dire que la neutralité de point de vue ne fait pas partie de leur éthique rédactionnelle, pas plus que la recherche d’un consensus éclairé par la raison.

Enfin, si dans Wikipédia les non-scientifiques apprennent à rédiger de façon neutre, les scientifiques pour leur part apprennent à échanger avec des non-spécialistes. L’expérience peut certes s’avérer frustrante, mais elle peut aussi parfois être d’un grand intérêt. 

Jim Giles rapporte ainsi les commentaires du neuropsychologue londonien Vaughan Bell qui a retravaillé l’entrée de Wikipédia sur la schizophrénie durant deux ans. Or, en même temps que lui, travaillaient à cette entrée au moins cinq autres personnes, dont la plupart n’avaient aucune formation universitaire, ce qui ne facilitait pas toujours le dialogue. Une section postée par l’un de ceux-ci sur les rapports entre schizophrénie et violence lui avait d’abord paru sans fondement, mais cela l’avait ensuite amené à revoir les publications sur la question et à modifier sa position. Il en avait conclu que l’expérience s’était révélée positive, même pour un spécialiste.

Impact culturel

Le mode de rédaction pleinement collaboratif de cette encyclopédie invite les volontaires à contribuer dans la mesure de leurs talents - que ce soit en traduisant des articles rédigés dans une version étrangère, en réorganisant la structure d’un article, en ajoutant des illustrations, en corrigeant des fautes d’orthographe ou en patrouillant l’encyclopédie pour repérer et corriger des actes de vandalisme. Le collégien peut ainsi contribuer au projet, tout comme le professeur d’université.

Même si chaque article est le fruit des contributions d’une communauté de rédacteurs, qui en surveillent les développements et suivent de près les modifications qui y sont apportées, bien des universitaires, particulièrement dans le domaine des lettres et sciences humaines, sont extrêmement critiques envers cette formule et continuent à croire que seul un article dûment signé peut avoir quelque autorité. Or, en regard de l’extraordinaire vitalité de cette entreprise de construction collective du savoir, l’exigence de signature apparaît de plus en plus comme le résidu fossile du discours d’autorité qui a régné durant des millénaires dans le domaine scientifique et fut un frein à son développement.

Qu’il suffise de rappeler que l’autorité d’Aristote a été invoquée pour contrer les observations de Kepler, celle de Galien pour discréditer les travaux des premiers anatomistes ou celle de la Bible pour rejeter les théories de Darwin. Pour que les sciences prennent véritablement leur essor, il a fallu qu’elles se débarrassent de la notion d’autorité et se centrent plutôt sur la reproductibilité des procédures suivies pour étayer une hypothèse de travail. 

Michel Foucault a relevé dans L’Ordre du discours la singulière évolution croisée qui a conduit le discours scientifique à progressivement abandonner, depuis le XVIIe siècle, la règle ancienne d’attribution à un auteur, qui fonctionnait comme un "index de vérité", alors que "dans l’ordre du discours littéraire, et à partir de la même époque, la fonction de l’auteur n’a pas cessé de se renforcer". Le domaine des lettres a ainsi récupéré le prestige de la signature, qui triompha avec le culte romantique du génie individuel.

Aujourd’hui, l’exigence de signature, qui s’était beaucoup développée avec le média imprimé et la notion de copyright, montre son inadéquation au nouveau monde médiatique - où les frontières entre auteurs et lecteurs se sont abolies dans le continuum de la communication numérique en réseau - et est difficilement compatible avec le travail de rédaction collaborative exigé par Wikipédia. En effet, on peut mal imaginer comment un tel projet aurait pu réussir autrement. L’anonymat des articles facilite la prise de parole en levant les inhibitions que suscite inévitablement, même chez le spécialiste, l’idée de tenir un discours d’autorité sur une question donnée. Grâce à la protection que lui offre un pseudonyme, le premier venu peut ainsi, sans crainte de se ridiculiser, prendre le risque de développer un article existant ou d’ouvrir une entrée à titre de simple ébauche, et qui servira d’appel auprès de diverses catégories de contributeurs. Surtout, il faut considérer que la signature des articles aurait pour conséquence d’en interdire la révision par des tiers et donc d’en figer l’évolution, chaque auteur pouvant exiger le respect de son texte. 

Considérant les inconvénients liés à la signature, la situation présente est sans doute encore la moins mauvaise. Elle contribue à étendre l’idéal du dialogue démocratique au discours du savoir. Il ne s’agit évidemment pas de soumettre les textes au vote de la majorité, car il n’y a pas de procédure de vote et il se peut très bien qu’une opinion minoritaire au départ finisse par s’imposer au terme d’un débat argumenté et raisonné. 

De même, il s’était trouvé au XIXe siècle nombre d’esprits hostiles au suffrage universel, qui prédisaient le chaos si les masses de paysans illettrés (et de femmes !) se voyaient octroyer le droit de vote. Ces craintes nous paraissent aujourd’hui ridicules. Contrairement aux affirmations des esprits chagrins, la masse des ignorants n’est pas à même de dicter le contenu des articles de Wikipédia et cette entreprise ne conduit pas à un nivellement par le bas, bien au contraire. 

En fait, sauf exceptions, les "ignorants" ne se permettent guère de corriger des articles sur lesquels ils n’ont aucune compétence. Au contraire, engagés dans une production écrite qui doit nécessairement déboucher sur un consensus, fût-il temporaire, les collaborateurs du projet Wikipédia apprennent à enrichir l’édifice commun en faisant fond sur leurs talents et savoirs particuliers. Par son modèle de fonctionnement, Wikipédia oblige donc à réévaluer des attitudes et des pratiques jusqu’ici solidement établies et dont les conséquences sont de longue portée.


Cette révolution copernicienne s’accompagne d’un éclatement des cloisons nationales qui ont longtemps ralenti l’élaboration du savoir. On a vu que chaque langue peut avoir sa propre version de Wikipédia. Si la version française fut la première à apparaître, deux mois après la version anglaise, de nombreuses autres langues ont rapidement suivi. 

Outre qu’est ainsi affirmée la possibilité de maintenir côte à côte des versions multilingues des connaissances humaines, les liens hypertextuels permettent au lecteur de passer en un clic de souris d’une version à une autre afin de comparer pour une entrée donnée le traitement qui en est fait dans d’autres langues. À titre d’exemple, on peut ainsi circuler entre l’entrée « Spanish-American War » et son pendant « Guerra Hispano-Estado unidense » afin d’examiner comment l’histoire américaine rencontre celle de l’Espagne et de Cuba. Il est difficile d’imaginer outil plus puissant et plus universel pour favoriser le dialogue interculturel. 

La comparaison de diverses versions linguistiques permet aussi de faire apparaître la prégnance des traditions nationales dans le traitement du savoir. Il apparaît ainsi que les articles de la version anglaise sont souvent orientés de façon plus concrète que ceux de la version française, plus cartésienne et plus attachée au respect des taxinomies.

En outre, les petites cultures ont trouvé dans ce nouvel espace un ballon d’oxygène et se font un point d’honneur de créer leur propre version : elles voient dans cette réalisation une façon d’affirmer publiquement leur existence et un espoir de renaissance de leur langue (wallon, occitan, breton, lingala, etc.). Bien plus qu’un statut purement symbolique, il faut voir dans cette diversité linguistique une confiance nouvelle dans la possibilité d’assurer l’expansion et la préservation de la diversité culturelle au sein même d’un vaste mouvement de mise en contact des idées et des conceptions du monde.

Étant totalement délocalisée, Wikipédia peut ainsi donner toute leur place à des personnages historiques considérés comme mineurs dans la sphère nationale dominante, mais importants pour une collectivité partageant la même langue. Une entreprise pleinement collaborative et ouverte comme Wikipédia peut aussi plus facilement tenir compte des sensibilités propres à des groupes peu représentés dans la culture dominante et éviter les biais les plus subtils et les plus inconscients. 
Enfin, Wikipédia est à même d’offrir sur des questions d’actualité des mises à jour précises et détaillées. Cette extrême rapidité de réaction est particulièrement utile pour les termes techniques et innovations qui surviennent presque quotidiennement ou pour la portée juridique de certains termes selon les pays où ils sont utilisés.

Le processus de rédaction de Wikipédia partant de la base, le choix de créer une entrée est laissé à l’initiative de chacun. On a donc des chances d’y trouver des articles sur un large éventail de sujets, qu’il s’agisse des personnages des dialogues de Platon, des interprétations suscitées par Les Aventures d’Arthur Gordon Pym, de la junte au pouvoir au Myanmar, des soixante-douze noms gravés sur les poutrelles de la tour Eiffel ou de la liste de quelque trois cent cinquante cathédrales dans le monde, avec liens à leurs pages respectives. De plus en plus, on est assuré de trouver dans cet ouvrage réponse aux questions de toute nature que l’on peut se poser sur les réalités du monde.

Cela ne va certes pas sans aléas. Chaque usager étant habilité à ouvrir une nouvelle entrée – il s’en créait en moyenne 559 par jour en mai dernier dans la version française-, il appartient aux administrateurs de décider au cas par cas s’il convient de supprimer une entrée controversée. Et le débat est permanent entre ceux qui favorisent une synthèse des connaissances et les partisans d’une large couverture du réel exploitant les possibilités d’expansion illimitée offertes par le numérique. 

Chose certaine, Wikipédia amène à redéfinir le concept d’encyclopédie. Plutôt qu’une synthèse finie des connaissances, il s’agit d’un outil qui aide à comprendre le monde et à circuler harmonieusement dans l’empire des signes, quel que soit le domaine auquel ils appartiennent.

En outre, le format de la base de données est parfaitement adapté à la démarche de lecture pratiquée sur écran, où le lecteur lira plus volontiers des textes courts et centrés sur un point précis plutôt que des textes continus de grande ampleur. Les nombreux liens hypertexte sont aussi à même de satisfaire instantanément tout besoin d’information complémentaire que pourrait éprouver le lecteur. Par la richesse de ses informations et leur accessibilité immédiate, sans pollution publicitaire, Wikipédia est ainsi en train de développer un nouveau rapport au savoir. 

Dans le passé, les individus tentés par l’acquisition de connaissances se regroupaient dans des communautés partageant les mêmes goûts et préoccupations. Certaines villes sont ainsi devenues des phares intellectuels et de hauts lieux du savoir, attirant les plus grands esprits de leur temps précisément parce que ceux-ci savaient qu’ils s’y trouveraient en compagnie d’esprits semblables. Cela explique la fascination culturelle exercée par Athènes, Alexandrie ou Rome dans l’Antiquité, les monastères au Moyen-Âge, les universités à la Renaissance. Puis ce furent les bibliothèques et les encyclopédies.

Aujourd’hui, en offrant un libre accès à un large éventail d’informations généralement fiables et présentées de façon synthétique, Wikipédia crée un nouvel écosystème cognitif qui devrait encourager une extension de la curiosité intellectuelle dans toutes les couches de la population et dans toutes les aires linguistiques.

En ce sens, Wikipédia peut à bon droit être considéré comme un outil indispensable à une société du savoir. C’est l’argument que mirent de l’avant les intellectuels chinois qui protestèrent en 2006 contre le blocage du site en Chine en raison d’articles jugés illégaux par le pouvoir en place. Il faut souligner en l’occurrence que les demandes de censure provenant des autorités chinoises se sont heurtées à une fin de non-recevoir de la part de Jimmy Wales et de la fondation Wikimédia. Cette cohérence et fermeté dans les principes est assurément exemplaire et constitue un jalon dans le respect universel de la liberté d’expression.

Projets Wikimedia Foundation

Impact social

Enfin, Wikipédia met en question le mouvement de marchandisation généralisée qui caractérise notre époque. L’avènement du numérique avait ouvert la possibilité de tarifer les formes d’interactions entre les personnes et, en débitant la carte de crédit de l’usager pour toute activité effectuée en ligne, de faire entrer la presque totalité du temps humain dans le champ économique. Or, une forte proportion de la société résiste à entrer dans ce modèle, particulièrement en Amérique du Nord, où le Minitel n’a jamais réussi à s’implanter.

Paradoxalement, la terre d’élection du capitalisme possède aussi une culture du don solidement enracinée. Le mode de fonctionnement de Wikipédia aurait certainement été qualifié de naïve utopie s’il avait été proposé avant l’apparition du web. Aucun bénéfice personnel ne peut en effet justifier que des individus consacrent une fraction parfois considérable de leur temps libre à collaborer à une entreprise de ce type.

Parfaitement anonymes, les collaborateurs ne recueillent même pas une quelconque notoriété du fruit de leur travail. Et, pourtant, le modèle collaboratif se porte très bien, de toute évidence, si l’on considère le succès de Wikipédia et de ses produits annexes – Wiktionary, Wikiquote, Wikibooks, Wikiversity. Loin d’être unique, le phénomène Wikipédia se situe aussi dans la foulée de ces autres réussites collaboratives spectaculaires qui font du logiciel libre un domaine florissant et où certains voient à juste titre le "laboratoire d’une éthique de la
créativité et de la communication".

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Ces outils développés grâce au réseau Internet révèlent un énorme gisement de ressources prêtes à se consacrer bénévolement à une cause et qui relèvent d’une motivation purement interne. Mettant en lumière les aspects les plus positifs de l’être humain, celle-ci repose sur le principe fondamental du don, que l’anthropologie a mis en évidence dans les sociétés humaines depuis les travaux de Marcel Mauss. 

Comme le montre Jacques T. Godbout, le don a pour but de favoriser l’établissement d’un lien entre les êtres, à la différence de l’échange économique, où le lien humain est annulé par l’échange de numéraire. En extrapolant à partir de ces travaux, je risque l’hypothèse selon laquelle la couche d’abstraction supplémentaire introduite dans les rapports humains par les technologies de l’information a conduit à renforcer en contrepartie le besoin des individus de se sentir reliés dans une entreprise commune (au moins dans un premier temps). En outre, la fluidité nouvelle que le numérique introduit dans les échanges de données symboliques se rapproche de celle qui caractérise les échanges verbaux, qui sont par essence gratuits.
Il ne fait pas de doute que cet engagement actif en faveur d’une économie du don constitue aussi une réponse - et vise à faire échec - au renforcement des lois du copyright et des brevets auquel on assiste depuis une dizaine d’années, sous la pression des conglomérats du show business. En s’engageant activement dans une vaste production gratuite de contenus, les contributeurs de Wikipédia ne sont pas seulement guidés par un altruisme désintéressé, mais sont probablement conscients de la profonde réciprocité de l’enjeu: en faisant bénéficier autrui de leurs connaissances et de leur savoir-faire, ils savent pouvoir bénéficier à leur tour d’un semblable don fait par d’autres et trouver un jour dans Wikipédia réponse à une interrogation. La richesse du web vient de ce que des millions de personnes de par le monde font le même raisonnement.

Cette culture de la gratuité sur laquelle est fondée Wikipédia ne fait certes pas l’affaire de tout le monde. Les détracteurs invétérés de cette encyclopédie ont comme position de principe qu’une entreprise fondée sur la collaboration gratuite ne peut pas fonctionner ou qu’elle ne peut déboucher que sur des réalisations insignifiantes. Ce discours est devenu de plus en plus courant ces dernières années sous la pression des puissants lobbies de gestion de droits d’auteur ou sous les récriminations intéressées de détaillants de "produits culturels" qui confondent marge bénéficiaire et vigueur de la culture, en dévoyant ce dernier terme de sa signification fondamentale. 

Ceux-ci clament ainsi partout (et surtout à l’oreille des gouvernants) que la gratuité met en danger la culture nationale parce qu’elle tuerait la création. A les croire, tout créateur culturel serait motivé par le profit et ne se mettrait à créer que poussé par la perspective de plantureux bénéfices. Cette thèse, qui témoigne d’un degré avancé de corruption des mentalités, aurait certes fait bondir Cicéron, pour qui "les honneurs sont l’aliment des arts et c’est pour la Gloire que tout un chacun brûle d’étudier".

Ce n’est pas le moindre mérite de Wikipédia que de rappeler qu’il n’existe pas de lien nécessaire entre la qualité de la création et l’importance de la rétribution financière. Le profit est une conséquence possible de l’impulsion créatrice, il ne saurait en être la source. La réussite de Wikipédia et du logiciel libre en général laisse entrevoir, après un intermède ultralibéral, la consolidation du domaine public, dans la perspective de Lawrence Lessig, selon qui l’Internet a ouvert un nouvel espace d’innovation. 

Les divers usagers peuvent y mettre en commun des ressources pour la production desquelles ils trouvent suffisamment d’incitatifs et dont la consommation n’entraîne pas la disparition, mais permet au contraire la création de nouveaux produits qui peuvent avoir une sérieuse valeur économique. Tout comme, dans le monde physique, il est depuis toujours reconnu nécessaire de ménager des lieux ouverts à tous (places, parcs, églises, théâtres, équipements sportifs), de même une culture a-t-elle besoin, pour rester vivante et créatrice, de donner largement accès au savoir et au patrimoine accumulé.

Les derniers siècles avaient vu s’épanouir ces grandes entreprises que furent Grosses vollständiges Universal-Lexicon aller Wissenschafften und Künst en Allemagne (1732), Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751), Espasa Calpe en Espagne (1908), Encyclopaedia Britannica (1911), Enciclopedia italiana (1933), Encyclopaedia universalis (1968) et bien d’autres. Il s’agissait chaque fois d’entreprises nationales qui ne pouvaient être mises en œuvre qu’en s’appuyant sur des structures éditoriales puissantes et sophistiquées. Avec l’arrivée de Wikipédia, le défi encyclopédique a franchi un pas supplémentaire en se libérant des contraintes physiques et des frontières nationales.

Tel qu’il est maintenant bien établi, ce projet permet de répondre aux besoins d’un monde où, les moyens de communication ayant aboli les distances, les échanges entre les cultures doivent pouvoir s’appuyer sur des outils multilingues et qui transcendent les frontières. 

Par la richesse de son contenu, son actualisation permanente et la souplesse de la formule copyleft, Wikipédia est d’ores et déjà au cœur de nombreux dispositifs essentiels à une meilleure appréhension de notre environnement. On en a déjà un exemple avec les mashups ou applications composites qui fusionnent des cartes de Google Earth avec des données géographiques de Wikipédia ("geotag"): à terme, on peut s’attendre à ce que la totalité de la carte géographique soit intégrée à des notes de type encyclopédique. 

Devant le dynamisme de la version anglaise de Wikipédia (qui compte déjà plus de deux millions d’entrées), il importe que le monde francophone investisse pleinement cet outil et contribue à le perfectionner, afin d’éviter une marginalisation de notre espace linguistique. En effet, tout comme l’ouvrage de Diderot et d’Alembert avait eu un impact considérable sur les mentalités du temps, il y a tout lieu de penser que Wikipédia contribuera de façon significative à modeler la culture virtuelle qui s’élabore en cette aube du XXIe siècle dans un monde globalisé.


Source: Extraits de l'article de Christian Vandendorpe (1943-), professeur retraité de l'Université d'Ottawa, publié dans "Le Débat", n° 148, janvier-février 2008. Ce texte reprend et développe une conférence d'abord donnée à la Bibliothèque d'Alexandrie en mars 2006 puis reprise et développée en mars 2007 à l'Université de Sherbrooke.
  

vendredi 16 mars 2012

Henry David Thoreau (1817-1862)


Henry David Thoreau (1817-1862)
Henry David Thoreau, né David Henry Thoreau le 12 juillet 1817 à Concord (Massachusetts) où il est mort le 6 mai 1862, est un essayiste, enseignant, philosophe, naturaliste amateur et poète américain.

Son œuvre majeure, Walden ou la vie dans les bois, publiée en 1854, délivre ses réflexions sur une vie simple menée loin de la société, dans les bois et suite à sa "révolte solitaire".

Le livre "La Désobéissance civile" (1849), dans lequel il avance l'idée d'une résistance individuelle à un gouvernement jugé injuste, est considéré comme à l'origine du concept contemporain de "non-violence".

Opposé à l'esclavagisme toute sa vie, faisant des conférences et militant contre les lois sur les esclaves évadés et capturés, louant le travail des abolitionnistes et surtout de John Brown, Thoreau propose une philosophie de résistance non violente qui influence des figures politiques, spirituelles ou littéraires telles que Léon Tolstoï, Gandhi et Martin Luther King.

Les livres, articles, essais, journaux et poésies de Thoreau remplissent vingt volumes. Thoreau se veut un observateur attentif de la nature et ce surtout dans ses dernières années durant lesquelles il étudie des phénomènes aussi variés que les saisons, la dispersion des essences d'arbres ou encore la botanique. Les différents mouvements écologistes ou les tenants de la décroissance actuels le considèrent comme l'un des pionniers de l'écologie car il ne cesse de replacer l'homme dans son milieu naturel et appelle à un respect de l'environnement.
   

jeudi 8 mars 2012

Antoine de Saint Exupéry (1900-1944)

Antoine de Saint Exupéry (1900-1944)
Antoine Marie Jean-Baptiste Roger de Saint-Exupéry, né le 29 juin 1900 à Lyon et disparu en vol le 31 juillet 1944, Mort pour la France, est un écrivain, poète et aviateur français.

1900: Antoine de Saint-Exupéry naît le 29 juin à Lyon, 8 rue du Peyrat (rue Alphonse Fochier). Il est le troisième d'une famille de cinq enfants. Ses parents sont le Comte Jean-Marie de Saint-Exupéry et Marie Boyer de Fonscolombe. Il a deux sœurs aînées: Marie-Madeleine (1898) et Simone (1899).
1903: Naissance de son frère François (1903) et  de sa sœur Gabrielle (1904). A la mort de son père, Antoine de Saint-Exupéry reste très proche de sa mère. Il est influencé par sa sensibilité et sa culture et il entretiendra avec elle, toute sa vie, une volumineuse correspondance.
Dés 1905, jusqu'à l'âge de dix ans, Antoine de Saint-Exupéry passe son enfance entre le château de la Môle (Var), propriété de sa grand-mère maternelle et le château de Saint Maurice de Remens (Ain), propriété de l'une de ses tantes. 

En 1909, sa famille s'installe au Mans, région d'origine de son père. Il suit alors ses études au Collège Notre Dame de Sainte-Croix. C'est un élève mi-rêveur, mi-dissipé. La discipline y est stricte et Antoine de Saint-Exupéry est souvent puni pour sa nonchalance ou son désordre.
1912: Antoine de Saint-Exupéry passe les grandes vacances à Saint-Maurice-de-Remens. Il est fasciné par l'aérodrome d'Ambérieu, situé à quelques kilomètres à l'est de Saint-Maurice-de-Rémens. Antoine s'y rend à vélo et y reste des heures à interroger les mécaniciens sur le fonctionnement des avions. Un jour, il s'adresse au pilote Gabriel Salvez en prétendant que sa mère l'a autorisé à prendre le baptême de l'air. Il fait donc son baptême de l'air sur un Bertaud-Wroblewski, avion fabriqué à Villeurbanne par l'industriel lyonnais Berthaud sur des plans de Pierre et Gabriel Wroblewski. C'est le jeune Gabriel Wroblewski, lui-même, qui aurait piloté l'avion. Cette expérience émeut Antoine de Saint-Exupéry. Sa passion pour les avions ne le quittera plus. A l'automne, il rentre en classe de 4ème.
1914: En juin, il obtient, lors de la distribution des prix, le prix de narration pour l'une de ses rédactions. Pendant la première guerre mondiale, sa mère, est nommée infirmière-chef de l'hôpital installé dans la gare d'Ambérieu. Elle fait venir ses enfants prés d'elle et les inscrit, en octobre, au Collège Notre Dame de Montgré.
1915: En février, Antoine et son frère François reviennent à Sainte-Croix, au Mans, mais, sa santé fragile le force à rentrer chez lui avant la fin de l'année scolaire. Après les vacances d'été, les deux frères font leur rentrée à Fribourg, en Suisse dans un collège tenu par les marianistes.
1917: Antoine de Saint-Exupéry obtient son baccalauréat. La fin de ses études à la villa Saint-Jean est attristée par la maladie de son frère François (rhumatismes articulaires aggravés de complications cardiaques). François meurt fin juillet. Antoine de Saint-Exupéry entre au Lycée Saint-Louis, pour préparer le concours d'entrée de l'Ecole Navale.
1918: Au printemps les élèves du Lycée Saint-Louis sont évacués vers le Lycée Lakanal. Il fait la connaissance de Louise de Vilmorin. En janvier 1919, il suit toujours ses cours à Saint-Louis, mais il est en pension à l'Ecole Bossuet, chez les jésuites. Ses résultats dans les branches scientifiques sont très bons, mais ceux des branches littéraires insuffisants: il n'est pas accepté. Il commence alors l'Ecole des Beaux-Arts dans la section architecture. Pendants quinze mois, il va suivre les cours de l'Ecole des Beaux Arts comme auditeur libre.

1920: Antoine, qui doit faire face aux faibles ressources financières de sa mère, bénéficie de l'hospitalité de sa cousine Yvonne de Lestrange. Il accepte également plusieurs petits boulots pour gagner quelque argent de poche: avec son ami Henry de Ségogne, il sera notamment figurant durant plusieurs semaines dans "Quo Vadis", un opéra de Jean Noguès.
1921: Au printemps, Antoine effectue son service militaire à Strasbourg dans l'armée de l'air. Il est d'abord affecté à l'atelier de réparation; il rêve toujours de devenir pilote. Ayant réalisé des économies pour prendre des leçons, il effectue ses premiers vols en double commande. Puis après vingt heures d'entraînement il monte seul à bord d'un avion. Lors de l'un de ces vols en solitaire, il réussit à se poser de justesse, alors que l'appareil est en flammes. Ce grave incident permet de révéler son sang froid et sa maîtrise. Après trois mois, il rejoint le 37ème Régiment d'Aviation de Chasse, à Casablanca au Maroc. C'est là qu'il obtient son brevet civil.
1922: En janvier, il est à Istres comme élève officier de réserve. il est reçu pilote militaire et promu caporal. En octobre, il est promu sous-lieutenant de réserve, et il choisit son affectation au 34ème Régiment d'Aviation, au Bourget.

1923: Il se fiance à Louise de Vilmorin. Au printemps, il a son premier accident d'avion au Bourget : fracture du crâne. Après ce grave accident , il est démobilisé. Saint-Exupéry envisage toujours pourtant d'entrer dans l'armée de l'air, comme l'y encourage le général Barés. Mais la famille de sa fiancée s'y oppose. Commence pour lui une longue période d'ennui : Il se retrouve dans un bureau comme contrôleur de fabrication au Comptoir de Tuilerie, une filiale de la Société Générale d'Entreprise. En septembre, rupture des fiançailles avec Louise de Vilmorin.
1924: Saint-Exupéry travaille dans l'Allier et la Creuse comme représentant de l'Usine Saurer qui fabrique des camions (il n'en vendra qu'un seul en une année et demie). C'est une époque assez triste pour Saint-Exupéry, qui se console en volant aussi souvent que possible.
1925: Saint-Exupéry rencontre Jean Prévost chez sa cousine Yvonne de Lestrange (c'est chez elle qu'il aura l'occasion de rencontrer plusieurs écrivains). Jean Prévost est secrétaire de rédaction dans la revue Le "Navire d'Argent".
1926: En avril, il publie une de ses nouvelles, L'Aviateur, dans la revue Le Navire d'Argent. Il quitte la maison Saurer pour un poste de moniteur à la Compagnie Aérienne Française. En juin, Saint-Exupéry perd sa sœur aînée, Marie-Madeleine, frappée de tuberculose. En octobre, l'abbé Sudour, son ancien directeur de l'Ecole Bossuet avec lequel il entretenait des relations d'amitié, le présente à Beppo de Massimi, Directeur Général de la Compagnie d'Aviation Latécoère. Cette compagnie assure le transport du courrier entre Toulouse et Dakar. Beppo de Massimi l'engage comme pilote. Comme tous les pilotes de la compagnie, Saint-Exupéry va d'abord passer quelques mois dans les ateliers avant de se voir confier un avion. Puis il assurera la ligne Toulouse Casablanca, et ensuite la ligne Casablanca Dakar.
1927: En octobre, Saint-Exupéry est nommé chef d'escale de Cap Juby, dans le sud marocain. C'est dans ces régions d'Afrique du Nord qu'il fait la connaissance d'autres aviateurs pionniers, comme Guillaumet ou Mermoz qui deviendront ses amis.
1928: En tant que chef d'escale de Cap Juby Saint-Exupéry est chargé d'aller sauver les pilotes tombés en panne dans le désert ou encore aux mains des Maures. Il passe ses nuits à écrire Courrier Sud.
1929: Saint-Exupéry rentre en France et présente le manuscrit de Courrier Sud à l'éditeur Gaston Gallimard. Celui-ci accepte son manuscrit et lui propose un contrat d'édition pour d'autres romans. Quelques mois plus tard, en compagnie de Mermoz et Guillaumet, Saint-Exupéry part pour l'Amérique du Sud afin d'y étudier la possibilité de créer de nouvelles lignes aériennes. En octobre, Saint Exupéry arrive à Buenos-Aires et est nommé Directeur de Aéropostal Argentina. Il crée la ligne qui relie l'Argentine à la Patagonie (Buenos-Aires à Punta Arenas). Saint-Exupéry commence à écrire Vol de Nuit. Publication de Courrier Sud.
1930: Le 7 avril, Saint-Exupéry est nommé chevalier de la Légion d'honneur au titre de l'aéronautique civile, pour les exploits qu'il a réalisés à Cap Juby. En juin, Guillaumet est pris dans une tempête de neige lors de sa vingt-deuxième traversée des Andes. Saint-Exupéry effectue des recherches pendant cinq jours en vain. Guillaumet sera finalement retrouvé vivant une semaine après son accident. Benjamin Crémieux, qui donne une série de conférences en Amérique du Sud, le présente à Consuelo Suncin, veuve d'un journaliste. Elle s'embarquera pour la France peu après, et il la rejoindra lors d'un congé de deux mois au début de l'année 1931.
1931: En janvier, il rentre à Paris. En mars, il épouse Consuelo Suncin. Le 31 mars, l'Aéropostale est en liquidation judiciaire. Le directeur démissionne, Didier Daurat abandonne son poste de directeur d'exploitation, et Saint-Exupéry, par solidarité envers Daurat, renonce à retourner en Amérique du Sud. De mai à décembre, Saint-Exupéry est pilote sur des vols de nuit entre Casablanca et Port Etienne. En décembre, "Vol de Nuit", préfacé par André Gide, obtient le prix Fémina. Ce roman aura un immense succès. Saint-Exupéry a des problèmes financiers. La parution de son roman les allège momentanément mais ne les résout pas totalement.

En 1932, Saint-Exupéry passe le brevet d'hydravion et assure la liaison Marseille-Alger. En 1933, toutes les compagnies d'aviation se regroupent au sein d'une même compagnie: Air France. Des ingénieurs hostiles à Daurat et à ses amis empêchent Saint-Exupéry d'y entrer. Il devient pilote d'essai dans la Société de Constructions Latécoère. Il est victime d'un nouvel accident (hydravion) à Saint-Raphaël .

1934: En avril, il parvient à entrer chez Air-France: il est chargé de réaliser des voyages d'études et des conférences. Son salaire élevé lui permet d'en finir avec ses problèmes financiers. En juillet, aller et retour Marseille-Saïgon.
1935: Saint-Exupéry donne des conférences en Méditerranée avec Conty, organisateur du voyage, et Prévot, mécanicien : Escales à Casablanca, Alger, Tunis, Tripoli, Benghazi, Le Caire, Alexandrie, Damas, Beyrouth, Istambul et Athènes. En décembre Saint-Exupéry essaye de battre le record de Paris-Saïgon. Il décolle le 29 décembre à 23 heures. Quatre heures plus tard, son avion s'écrase dans le désert de Lybie. On ne le retrouvera que le premier janvier, à 18 heures.
1936: De retour à Paris, il publie le récit de son aventure dans "L'Intransigeant", puis il enregistre, pour la radio, "Atterrissage forcé dans le désert". Durant l'été Saint-Exupéry est envoyé par le journal L'Intransigeant en Espagne pour faire un reportage sur la guerre civile qui s'y déroule. En décembre, Mermoz, qui avait acquis une grande renommée avec ses exploits aéronautiques, disparaît en mer alors qu'il effectue la traversée Dakar-Natal (Amérique du Sud). Saint-Exupéry va lui consacrer une série d'articles, dans la presse, et de reportages, à la radio.

1937: Saint-Exupéry étudie la possibilité, pour Air France, d'établir la ligne Casablanca - Tombouctou - Bamako - Dakar - Casablanca. Il retourne En Espagne , envoyé cette fois par "Paris-Soir". Il se rend aussi en Allemagne, où il constate les effets de la montée du nazisme.

1938: En janvier, départ pour New-York. Il tente un raid de New-York à la Terre-de-Feu, mais son avion s'écrase au Guatemala. Il reste 5 jours dans le coma, et souffre, entre autres, de sept fractures du crâne. La convalescence qui s'ensuit lui permet d'avancer dans la rédaction du manuscrit de "Terre des Hommes", qui paraît en 1939. Il rentre le 28 mars à New-York où il passe de longs mois de convalescence dans la demeure du Général Donovan. Revenu en France, il séjourne à Agay, puis en Suisse.

1939: Saint-Exupéry est promu Officier de la Légion d'Honneur. Parution, en février, de "Terre des Hommes". Il obtient en décembre le Grand Prix du Roman de l'Académie française. Sous le nom anglais de Wind, Sand ans Stars, ce roman obtient le National Book Award. Il effectue un second voyage en Allemagne; à Berlin, on lui fait visiter des Ecoles militaires. Ecœuré de tout ce dont il est témoin, Saint-Exupéry refuse une invitation de Goering et rentre précipitamment à Paris. En août, il séjourne à New-York et, le 26, il rentre au Havre.
Le 2 septembre, c'est la déclaration de guerre. Le 4 septembre, il est convoqué à Toulouse et devient moniteur de pilotes. Il est déclaré inapte aux missions de guerre, à cause de son mauvais état général dû à ses nombreux accidents.Le 3 novembre, on l'affecte au groupe de grande reconnaissance 2/33, établi d'abord en France, puis déplacé à Alger. Durant ce premier hiver de la seconde guerre mondiale, il commence à écrire Le "Petit Prince".

1940: Saint-Exupéry réalise plusieurs missions : vols de reconnaissance au-dessus de l'Allemagne et sur Arras qui lui vaudront une citation et la Croix de Guerre. Le 9 juin, dernière mission de guerre. Démobilisé en août 1940, Saint-Exupéry décide de retourner aux Etats-Unis en passant par Lisbonne, mais les Espagnols lui interdisent de traverser leur territoire à cause des articles qu'il avait écrit pendant la guerre civile. Le 16 novembre, il parvient à se rendre à Lisbonne ou il embarque pour New York. Il fait la traversée en compagnie du cinéaste Jean Renoir.  

1941: Saint-Exupéry réside à New-York puis en Californie. il y commence "Pilote de Guerre".
1942: Le 20 février parait "Pilote de Guerre" (Edition américaine Flight To Arras). Ce roman sera best-seller aux Etats-Unis pendant six mois. En mai, il voyage au Canada où il donne plusieurs conférences. En novembre, il publie dans le New York Times Magazine et dans Le Canada de Montréal: "An open Letter To Frenchmen Everywhere".

1943: En février, il publie: "Lettre à un Otage" (qui était à la base une lettre adressée à Léon Werth). Le 6 avril parait "Le Petit Prince". "Pilote de Guerre" est interdit en France par les Allemands. Le 15 mars, il reçoit sa feuille d'embarquement pour l'Afrique du Nord. Il remplit une première mission, puis les autorités américaines profitent d'un petit incident lors de sa deuxième mission pour lui rappeler que la limite d'âge est de trente-cinq ans et le mettre en réserve.

1944: A force d'insistance pour reprendre du service, il obtient d'être réintégré dans le groupe 2/33 qui se trouve maintenant en Corse, à condition de ne pas accomplir plus de cinq missions. Il écrit sa "Lettre à un Américain". Le 14 juin, il effectue une première mission, puis malgré les limites qu'on lui a fixées, enchaîne les missions les unes à la suite des autres. Ses chefs veulent essayer de le "protéger" en lui confiant le secret du débarquement, mais il part pour une neuvième mission un jour avant d'être mis au courant. Le 31 juillet, il s'envole pour une mission de reconnaissance sur Grenoble et Annecy: Il décolle à 8h45 et dispose de 6 heures d'autonomie d'essence. A 14h45, il n'est toujours pas rentré ... On présume que son avion a été abattu, mais on ne l'a jamais retrouvé. 


Le Petit Prince

Le Petit Prince est un conte illustré pour enfants qui est aussi une sorte de fable universelle pour les adultes. Ce petit ouvrage délicat est devenu un grand classique de la littérature de jeunesse et l'un des livres les plus vendus au monde avec la Bible et le Capital. Héros d’un livre au message universel, Le Petit Prince est aujourd’hui un personnage mythique, symbole d’une humanité responsable et généreuse, porteur d’un message d’espoir et de fraternité, emblème d’une spiritualité qui cherche l’essence des choses, ce qui dure, ce qui donne du sens. Avec l’air de parler aux enfants, l’auteur du Petit Prince s’adresse à nous tous et son texte offre des niveaux de lecture divers et surprenants, du conte de fée au récit philosophique.



Comprendre Le Petit Prince

"L’essentiel est invisible pour les yeux", dit le renard. Le petit prince répète la phrase pour s’en souvenir, un moyen, pour l’auteur, de nous indiquer son importance pour la compréhension de l’histoire. Il l’avait déjà fait en commençant son texte avec les dessins de serpent boa "ouvert" et "fermé", susceptibles de nous indiquer que chaque chose, chaque être cache un trésor, un mystère que nous devons percer. Au-delà des apparences, il y a l’esprit qu’il faut découvrir avec le cœur.

L’esprit

L’esprit rend les choses uniques. Il est l’aboutissement de nos choix, de nos efforts, de l’amitié, de l’amour. Mille roses dans un jardin ressemblent à celle que le petit prince a laissée sur sa planète, mais celle-ci est unique parce qu’il l’a arrosée, parce qu’il l’a protégée, parce qu’il l’a "apprivoisée", pour reprendre les mots du renard qui ajoute: "Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé". 

L’esprit crée des liens. Grâce à lui, le monde se peuple de signes: tel champ de blé rappelle les cheveux dorés du Petit Prince, les étoiles sont des grelots qui rappellent son rire, le ciel est habité de planètes où grincent de vieux puits parce que sur l’une d’entre elle vit un ami aviateur qui en avait trouvé un dans le désert. La vie véritable est dans l’esprit qui, au besoin, se passe bien de la matière, de "l’écorce": pour retrouver sa rose, Le Petit Prince sacrifie son corps de chair, il se fait mordre par le serpent venimeux: "J’aurai l’air d’être mort et ce ne sera pas vrai…", nous dit-il comme dernier message.

Les "grandes personnes"

Hélas, avec l’âge, les enfants perdent le don qui leur permet de vivre naturellement en rapport avec l’esprit. Ils deviennent des "grandes personnes" dont la seule préoccupation est l’utile. Piégées par le côté matériel, vulgaire de l’existence, victimes de leur vanité, de leur cupidité ou de leur paresse intellectuelle, les "grandes personnes" jugent le propos de quelqu’un d’après son costume (c’est le cas de l’astronome turc), évaluent la beauté d’une maison d’après son prix et croient connaître un jeune ami d’après les revenus de son père. Pourtant l’enfant d’autrefois n’est pas mort: il est seulement enseveli et une expérience telle que la rencontre de l’aviateur (qui a "un peu vieilli") avec Le Petit Prince lui permet de ressusciter.

La sollicitation

Puisque l’esprit, que l’on ne voit pas avec les yeux, est l’effort d’apprivoiser, de créer des liens, puisqu’il est, somme toute, la part d’imagination et d’amour que nous mettons dans les choses, la lecture du texte devrait suffire pour lui donner naissance. Au fil des pages, Le Petit Prince devient notre ami parce que nous lui accordons notre temps, parce que nous l’apprivoisons. Le conte de Saint-Exupéry n’est pas une leçon mais une sollicitation.


Portrait d'Antoine de Saint Exupéry réalisé par Pierrick Levé


Citations d’Antoine de Saint Exupéry

"Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple: on ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux."

"Aimer, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction."

"Avec l'avion, nous avons appris la ligne droite."

"C'est l'esprit qui mène le monde et non l'intelligence."

"Ce pour quoi tu acceptes de mourir, c'est cela seul dont tu peux vivre."

"Ce qui est important, ça ne se voit pas."

"Ce qui fait la beauté des choses est invisible."

"Chacun est seul responsable de tous."

"Dans la vie, il n'y a pas de solutions. Il y a des forces en marche: il faut les créer, et les solutions suivent."

"Droit devant soi, on ne peut pas aller bien loin."

"Fais de ta vie un rêve, et d'un rêve, une réalité."

"Fruits et racines ont même commune mesure qui est l'arbre."

"Il est bien plus difficile de se juger soi-même que de juger autrui. Si tu réussis à bien te juger, c'est que tu es un véritable sage."

"Il est quelquefois sans inconvénient de remettre à plus tard son travail."

"Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner. L'autorité repose d'abord sur la raison."

 "La contrainte te délivre et t'apporte la seule liberté qui compte."

"La grandeur de la prière réside d'abord en ce qu'il n'y est point répondu et que n'entre point dans cet échange la laideur d'un commerce."

"La perfection est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer."

"La pierre n'a point d'espoir d'être autre chose que pierre. Mais de collaborer, elle s'assemble et devient temple."

"La vérité de demain se nourrit de l'erreur d'hier."

"La vérité, c'est ce qui simplifie le monde et non ce qui crée le chaos."

"Le disparu, si l'on vénère sa mémoire, est plus précieux et plus puissant que le vivant."

"Les enfants doivent être très indulgents envers les grandes personnes."

"Les enfants seuls savent ce qu'ils cherchent."

"Je n'aime pas les sédentaires du cœur. Ceux-là qui n'échangent rien ne deviennent rien."

"Je ne dirai pas les raisons que tu as de m'aimer. Car tu n'en as point. La raison d'aimer, c'est l'amour."

"Je remontais dans ma mémoire jusqu'à l'enfance, pour retrouver le sentiment d'une protection souveraine. Il n'est point de protection pour les hommes. Une fois homme on vous laisse aller."

"L'eau n'est pas nécessaire à la vie, elle est la vie."

"L'homme se découvre quand il se mesure avec l'objet."

 "L'illumination n'est que la vision soudaine, par l'Esprit, d'une route lentement préparée."

"L'occasion manquée est celle-là même qui compte."

"Chacun est responsable de tous. Chacun est seul responsable. Chacun est seul responsable de tous."

"On n’est jamais content là où on est."

"Tu es responsable de ce que tu as apprivoisé."

"Etre homme, c'est précisément être responsable. C'est sentir, en posant sa pierre, que l'on contribue à bâtir le monde."

"Une fois pris dans l'événement, les hommes ne s'en effraient plus. Seul l'inconnu épouvante les hommes."

"La grandeur de la prière réside d’abord en ce qu’il n’y est point répondu."

"Il faut autour de soi, pour exister, des réalités qui durent."

"Ce n'est point dans l'objet que réside le sens des choses, mais dans la démarche."

"L’intelligence ne vaut qu’au service de l’amour."

"N’espère rien de l’homme s’il travaille pour sa propre vie et non pour son éternité."

"J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence…"

"Le règlement est semblable aux rites d’une religion, qui semblent absurdes, mais qui façonnent les hommes."

"Ce qui importe, ce n'est pas d'arriver, mais d'aller vers."

"La vérité, ce n'est point ce qui se démontre, c'est ce qui simplifie."

"Que m'importe que Dieu n'existe pas ! Dieu donne à l'homme de la divinité."

"Ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort."

"La terre nous en apprend plus long sur nous que tous les livres. Parce qu'elle nous résiste. L'homme se découvre quand il se mesure avec l'obstacle."

"Voyez-vous dans la vie, il n'y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions les suivent."

"La vie crée l'ordre, mais l'ordre ne crée pas la vie."

"Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants, mais peu d’entre elles s’en souviennent."

"La guerre n'est pas une aventure. La guerre est une maladie. Comme le typhus."

"Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis."

"On ne connaît que les choses qu’on apprivoise."

     

jeudi 1 mars 2012

Jean Jaurès (1859-1914)

Jean Jaurès (1859-1914)

Jean Jaurès est un homme politique français, né à Castres (Tarn) le 3 septembre 1859 et mort assassiné à Paris le 31 juillet 1914 par Raoul Villain. Orateur et parlementaire socialiste, il s'est notamment illustré par son pacifisme et son opposition au déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Jean Jaurès, formé intellectuellement durant la difficile naissance de la IIIe République, entre en politique à 25 ans comme candidat républicain aux élections législatives de 1885. Il est élu et siège à l'assemblée nationale parmi les républicains "opportunistes" où il soutient le plus souvent Jules Ferry. En 1889, Jean Jaurès n'est pas réélu.

Privé de son mandat de député en 1889, Jean Jaurès reprend son enseignement à la faculté de Toulouse. Il est reçu docteur en philosophie en 1892 avec sa thèse principale De la réalité du monde sensible et sa thèse secondaire en latin,

Des origines du socialisme allemand chez Luther, Kant, Fichte, et Hegel. Jean Jaurès continue également son activité politique.

A partir de 1887, il collabore au journal la Dépêche du Midi de tendance radicale. Il devient conseiller municipal sur les listes radicales-socialistes, puis maire adjoint à l'instruction publique de Toulouse (1890-1893).

Les mineurs de Carmaux

Jean Jaurès, qui a désormais pris clairement conscience de la lutte des classes par ses travaux philosophiques, rejette les valeurs de sa classe d'origine pour embrasser la cause ouvrière. En 1892, il soutient activement la grande grève des mineurs de Carmaux qui protestent contre le licenciement d'un ouvrier syndicaliste qui était aussi maire de la ville. Dans ses articles remarqués de La Dépêche du Midi, il dénonce la collusion du pouvoir avec les milieux capitalistes. Sous la pression, le gouvernement doit finalement arbitrer le conflit et donner raison aux mineurs.


L'affaire Dreyfus

Au début de l'affaire Dreyfus, Jaurès est convaincu de la culpabilité du capitaine Dreyfus. Jaurès utilise même la sentence de déportation, qu'il juge clémente, pour dénoncer l'incohérence de la justice militaire dans un discours à l'assemblée11. Face à la campagne de révision, Jaurès reste donc au départ en retrait. Mais, en 1898, Jean Jaurès est convaincu de l'innocence de Dreyfus par le J'accuse de Zola et par ses conversations avec la jeune promotion normalienne (en particulier Lucien Herr) et avec des militants allemanistes (socialistes révolutionnaires) qu'il estime.

Jean Jaurès s'engage alors avec passion dans la défense de Dreyfus. Pour lui, l'affaire est non seulement un problème de justice individuelle, mais surtout de respect de l'humanité elle-même. En effet, elle pose le problème du mensonge et de l'arbitraire des grandes institutions, notamment de l'armée qui entend avoir une "justice" séparée. En outre, elle est utilisée par les droites catholique et nationaliste pour renverser la République. Il s'oppose alors à certains autres socialistes, dont Jules Guesde pour qui Dreyfus est un officier bourgeois dont la défense ne serait pas prioritaire (le souvenir de la répression sanglante de la Commune de Paris, et d'autres révoltes ouvrières, est pour beaucoup dans la défiance de militants ouvriers envers la cause d'un officier).

Mais pour Jaurès, l'accablement de malheurs et d'injustices dont Dreyfus est victime font de lui un homme qui souffre des persécutions de la caste militaire, qui est le "gardien armé du Capital", et donc l'ennemi du prolétariat. Avec l'affaire Dreyfus, Jaurès devient un homme politique à l'influence nationale.

Battu aux élections de 1898 (l'installation de la Verrerie ouvrière à Albi et son ardente défense de Dreyfus ont provoqué sa défaite), Jaurès se consacre au journalisme et devient co-directeur de La petite république un journal socialiste républicain. C'est dans les colonnes de ce journal qu'il publie Les preuves relatives à l'affaire Dreyfus. Par ses articles, il soutient le gouvernement Waldeck Rousseau de Défense républicaine, qui associe à son action, pour la première fois dans l'histoire de la République, un socialiste, Alexandre Millerand, nommé au commerce et à l'industrie. Parallèlement, il dirige une Histoire socialiste de la France contemporaine (Éditions Rouff) pour laquelle il rédige les volumes consacrés à la Révolution française (1901-1903).

En 1902, Jean Jaurès participe à la fondation du Parti socialiste français. La même année, il parvient à reconquérir le siège de député de Carmaux qu'il conserve d'ailleurs jusqu'à sa mort (réélu en 1906, 1910 et 1914). Son talent d'orateur lui permet de devenir le porte-parole du petit groupe socialiste de l'Assemblée nationale.

Laïcité

Jaurès et son Parti socialiste français s'engagent nettement en faveur du Bloc des gauches et du gouvernement Combes (1902-1905). Jaurès participe à la rédaction de la loi de séparation des Églises et de l'État (décembre 1905). Cependant, Jaurès et les autres socialistes sont déçus par la lenteur des réformes sociales. Le dynamisme du Bloc des gauches s'épuise. Jaurès, vice-président de la chambre en 1902, n'est pas réélu à cette fonction en 1904. Le rapprochement politique avec un gouvernement « bourgeois » allant jusqu'à la participation gouvernementale est, de plus, condamné par l'Internationale Socialiste.

Paix

Jaurès lutte contre la venue de la guerre les dix dernières années de sa vie. Il est très préoccupé et inquiet face à la montée des nationalismes et par les rivalités entre les grandes puissances (surtout pendant les guerres balkaniques en 1912-1913). En 1910, il rédige une proposition de loi consacrée à l'armée nouvelle dans laquelle il préconise une organisation de la Défense nationale fondée sur la préparation militaire de l'ensemble de la Nation. Il mène une vigoureuse campagne contre la Loi des trois ans de service militaire, défendue ardemment par le député Émile Driant. La loi est votée en 1913 malgré le rassemblement du Pré-Saint-Gervais le 25 mai 1913 où Jaurès fait un discours devant 150 000 personnes.

L'année 1914 semble relancer les espoirs de paix : la guerre dans les Balkans est finie, les élections en France sont un succès pour les socialistes. Mais l'attentat de Sarajevo le 28 juin 1914 et l'ultimatum autrichien à la Serbie du 23 juillet 1914 relancent les tensions entre les grandes puissances.

Jaurès tente d'infléchir dans un sens favorable à la paix la politique gouvernementale. Il rappelle le mot d'ordre de grève générale décidé par l'Internationale ouvrière en cas de déclenchement de la guerre.

Assassinat

Le pacifisme de Jaurès le fait haïr des nationalistes. Le 31 juillet 1914, sortant de son travail à L'Humanité, Jaurès se rend au Café du Croissant où il est assassiné par Raoul Villain, un étudiant nationaliste.Cet assassinat facilite le ralliement de la gauche, y compris de beaucoup de socialistes qui hésitaient, à l'Union sacrée. La grève générale n'est pas déclarée. Le 29 mars 1919, le meurtrier de Jaurès sera acquitté dans un contexte de fort nationalisme.
Transfert des cendres de Jean Jaurès au Panthéon en 1924
La plupart des villes de France ont baptisé des rues, des places ou des établissements scolaires à son nom et lorsque François Mitterrand fut élu président en mai 1981, son premier geste fut d'aller s'incliner sur sa tombe au Panthéon, où le corps du grand tribun a été transféré en 1924. Les partis de gauche, PS et PCF en tête, revendiquent plus que jamais l'héritage de cet humaniste qui aura défendu toute sa vie une certaine idée des Droits de l'Homme, de la République et du Socialisme.