samedi 13 mars 2021

La lettre que votre adolescent ne peut pas vous écrire

« Cher parent,

Voici la lettre que je voudrais pouvoir t’écrire.

Ce conflit dans lequel nous sommes maintenant, j’en ai besoin. J’ai besoin de ce combat. Je ne peux pas l’expliquer parce que je n’ai pas le vocabulaire pour le faire et parce que, de toute façon, ce que je dirais n’aurait pas de sens. Mais j’ai besoin de ce combat. Désespérément.

J’ai besoin de te détester pour le moment, et j’ai besoin que tu y survives. J’ai besoin que tu survives au fait que je te haïsse et que tu me haïsses.

J’ai besoin de ce conflit, même si je le hais. Peu importe ce sur quoi nous sommes en conflit : heure du coucher, les devoirs, le linge sale, ma chambre en désordre, sortir, rester à la maison, partir de la maison, ne pas partir, la vie de famille, petit(e) ami(e), pas d’amis, mauvaises fréquentations. Peu importe. J’ai besoin de me battre avec toi au sujet de ces choses et j’ai besoin que tu t’opposes à moi en retour.

J’ai désespérément besoin que tu tiennes l’autre extrémité de la corde. Que tu t’y accroches fermement pendant que je tire de mon côté, que je tente de trouver des appuis dans ce nouveau monde auquel je sens que j’appartiens.

Avant, je savais qui j’étais, qui tu étais, qui nous étions. Mais maintenant, je ne sais plus.
En ce moment, je cherche mes limites et, parfois je ne peux les trouver qu’en te poussant à bout. Repousser les limites me permet de les découvrir. Alors je me sens exister, et pendant une minute je peux respirer.

Je sais que tu te rappelles l’enfant doux que j’étais. Je le sais, parce que cet enfant me manque aussi et, parfois, cette nostalgie est ce qu’il y a de plus pénible pour moi.
J’ai besoin de ce combat et de constater que, peu importe combien terribles ou exagérés sont mes sentiments, ils ne nous détruiront ni toi ,ni moi. Je veux que tu m’aimes même quand je donne le pire de moi-même, même quand il semble que je ne t’aime pas. J’ai besoin maintenant que tu t’aimes toi et que tu m’aimes moi, pour nous deux.

Je sais que ça craint de ne pas être aimé et d’être étiqueté comme étant le méchant. Je ressens la même chose à l’intérieur mais j’ai besoin que tu le tolères et que tu obtiennes de l’aide d’autres adultes. Parce que, moi, je ne peux pas t’aider pour le moment. Si tu veux te réunir avec tes amis adultes et former un « groupe de soutien pour survivre à la fureur de votre adolescent », c’est ok pour moi. Ou parler de moi derrière mon dos, je m’en fiche. Seulement ne m’abandonne pas. N’abandonne pas ce combat. J’en ai besoin.

C’est ce conflit qui va m’apprendre que mon ombre n’est pas plus grande que ma lumière. C’est ce conflit qui va m’apprendre que des sentiments négatifs ne signifient pas la fin d’une relation. C’est ce conflit qui va m’apprendre à m’écouter moi-même, quand bien même cela pourrait décevoir les autres.
Et ce conflit particulier prendra fin. Comme tout orage, il se calmera. Et je vais l’oublier, et tu l’oublieras. Et puis il reviendra. Et j’aurai besoin que tu t’accroches de nouveau à la corde. J’en aurai besoin encore et encore, pendant des années.

Je sais qu’il n’y a rien de satisfaisant pour toi dans ce rôle. Je sais que je ne te remercierai jamais probablement pour ça, ou même que je ne reconnaîtrai jamais le rôle que tu as tenu. En fait, pour tout cela, je vais probablement te critiquer. Il semblera que rien de ce que tu ne fais ne soit jamais assez. Et pourtant, je m’appuie entièrement sur ta capacité à rester dans ce conflit. Peu importe à quel point je m’oppose, peu importe combien je boude. Peu importe à quel point je m’enferme dans le silence.
S’il te plaît, accroche-toi à l’autre extrémité de la corde. Et sache que tu fais le travail le plus important que quelqu’un puisse faire pour moi en ce moment.

Avec amour, ton adolescent. »


Gretchen Schmelzer est une psychologue américaine. Afin d’expliquer aux parents ce que leurs enfants ressentent, elle a imaginé une lettre : « La lettre que votre adolescent ne peut pas vous écrire. »

Cette lettre, beaucoup de parents aimeraient la recevoir. Mais cela n’arrivera probablement jamais. Telles sont les terribles règles du jeu de l’adolescence. Mais c’est précisément ce qui rend ce courrier imaginaire aussi utile, et percutant…

jeudi 4 mars 2021

Freakonomics - Steven D. Levitt (1967- ) & Stephen J. Dubner (1963- )

Le choix d'un prénom forge-t-il un destin ? 

Edition Folio actuel 2005
Les lutteurs de sumo, réputés pour être l'incarnation de l'honnêteté, sont-ils véritablement au-dessus de tous soupçons ? La légalisation de l'avortement a-t-elle fait baisser le taux de criminalité dans les années 1990 aux Etats-Unis ? Est-ce que donner de l'argent aux élèves qui ont de bonnes notes encourage ceux qui en ont de mauvaises à en avoir de meilleures ? Toutes ces questions, incongrues en économie, reçoivent des réponses surprenantes, le livre mettant au jour des liens de cause à effet inattendus.

Mêlant culture populaire et théories sérieuses, bizarreries sociologiques et vérités statistiques, Freakonomics transforme l'économie en divertissement accessible.

En analysant des données liées à des événements qui sont apparemment les plus anodins de la vie quotidienne - du prénom d'un enfant à la vente d'un bien immobilier -, les auteurs donnent un éclairage drôle et déroutant sur l'éducation, le crime ou la corruption. Avec 5 millions d'exemplaires vendus dans le monde, le livre est devenu un best-seller. La "freakonomy", qu'on pourrait traduire par "économie saugrenue" est née.

L'économétrie n’intéresse pas Stephen D. Levitt. La Bourse est un milieu qui lui est hermétique… Lui, ce qui le passionne ce sont les petits faits de tous les jours. C'est  étudier notre société avec la loupe de l'économiste afin de mieux comprendre les interactions entre agents et les possibilités de chacun. Mais pas pour en faire des théories, non, pour justement prendre du recul sur les préjugés et les relations de causalité souvent mis en valeur. L'économie est alors vue sous un nouvel angle.

Ce livre peut s'apparenter à de la maïeutique. Il ne propose pas une méthodologie propre. Il nous guide, par les questionnements des auteurs, et remet en question nos idées reçues. Au fil de notre lecture, on va donc passer du lien entre la législation de l'avortement et la baisse de la criminalité aux États-Unis, à l'étude de la motivation des agents immobiliers dans une vente, en passant par le lien entre réussite personnelle et prénom, ou encore répondre à la simple question : pourquoi les revendeurs de drogue vivent-ils plus longtemps chez leur mère. 

L’économie saugrenue  aiguise sans doute notre esprit critique et remet en cause certaines vérités que l'on pensait irréfutables.