dimanche 31 mars 2024

La calculette de la mort

La "calculette de la mort" est un algorithme développé par des chercheurs de l'Université de Copenhague au Danemark (DTU) dans le but d'améliorer la compréhension des tendances démographiques et des facteurs de risque de santé qui influencent la durée de vie.
 
En Décembre 2023, un groupe de chercheurs danois et américains a publié un texte dans la revue Nature Computational Science intitulé “Using sequences of life events to predict human lives”, pour décrire ses travaux. Ce modèle, appelé “Life2vec”, a “analysé des données – âge, santé, éducation, emploi, revenus et autres événements de la vie – de plus de 6 millions de personnes originaires du Danemark.
 
L'algorithme utilise ces données pour prédire les étapes clés de la vie d'une personne, telles que l'âge auquel elle se mariera, aura des enfants, prendra sa retraite ou décédera. Il prend en compte des facteurs tels que le sexe, l'âge, le niveau d'éducation, le statut socio-économique, le tabagisme, la consommation d'alcool, l'indice de masse corporelle et les antécédents familiaux de maladies chroniques. « Avec une très jeune cohorte de personnes âgées entre 35 et 65 ans, on essaie de prédire, en se fondant sur une période de huit ans (2008 à 2016), si la personne va mourir dans les quatre ans à venir, jusqu’en 2020. Le modèle fait ça très bien, mieux que n’importe quel autre algorithme », détaille Sune Lehmann, professeur et co-auteur de l’étude.

Cette tranche d’âge, où les décès sont habituellement peu nombreux, permet, selon les chercheurs, de vérifier la fiabilité du programme. Mais l’outil n’est pas à prêt à être utilisé par le grand public, car il comporte encore des biais. « Pour le moment, c’est un projet de recherche qui explore le champ des possibles […], on ne sait pas s’il traite tout le monde de manière égale ». Reste aussi à découvrir le rôle du temps long, des connexions sociales et de leur impact sur la prédictibilité des vies. 

  
 
Un système à la ChatGPT
 
Pour élaborer Life2vec, les scientifiques ont utilisé un modèle opératoire similaire à celui de ChatGPT. Mais au lieu de traîter des données textuelles, l’algorithme analyse les étapes de la vie telles que la naissance, les études, les prestations sociales ou encore les horaires de travail. « D’un certain point de vue, la vie n’est qu’une suite d’événements : les gens naissent, vont chez le pédiatre, vont à l’école, déménagent, se marient, etc., explique l’étude. Nous exploitons ici cette similitude pour adapter les innovations du traitement automatique du langage naturel à l’examen de l’évolution et la prévisibilité des vies humaines sur la base de séquences d’événements détaillées. »
 
« C’est un cadre très général permettant de faire des prédictions sur la vie humaine. Il peut prédire n’importe quoi à condition de disposer de données d’entraînement », explique ainsi Sune Lehmann. Selon lui, les possibilités sont infinies. L’algorithme « pourrait prédire les résultats en matière de santé. Il pourrait donc prédire la fertilité ou l’obésité, ou peut-être qui va avoir un cancer ou pas. Mais il pourrait aussi prédire si vous allez gagner beaucoup d’argent », ajoute-t-il.
 
En utilisant ces données, l'algorithme peut prédire les étapes clés de la vie d'une personne avec une précision à 78%. Les chercheurs ont souligné que l'outil n'est pas destiné à prédire la date exacte de la mort d'une personne, mais plutôt à fournir des informations sur les tendances démographiques et les facteurs de risque de santé qui peuvent influencer la durée de vie. 
 
Bien que certains aient exprimé des préoccupations éthiques quant à l'utilisation de cet outil, les chercheurs ont déclaré qu'il pourrait être utile pour aider les individus à prendre des décisions éclairées sur leur santé et leur style de vie, ainsi que pour aider les décideurs politiques à planifier les besoins futurs en matière de santé et de services sociaux. 
 
Des contrepoids aux Gafam

Pour l’universitaire, le projet présente un contrepoids scientifique aux algorithmes développés par les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) en secret. Des algorithmes de ce type sont déjà certainement utilisés dans le domaine de l’assurance, avance l’experte en éthique des données Pernille Tranberg. Avec le développement de l’intelligence artificielle, « tout s’accélère ». Le projet « montre simplement que nous avons beaucoup de données au Danemark et qu’on peut les utiliser, car nous les humains allons tous dans la même direction », ajoute la spécialiste. Et certains développeurs ont décidé d’exploiter l’idée à des fins commerciales. « Sur le Web, on voit déjà des horloges de prédiction, qui montrent l’âge qu’on va atteindre et certaines ne sont pas du tout fiables », prévient-elle.
 
Préoccupations éthiques
 
L'utilisation de la "calculette de la mort" soulève des préoccupations éthiques importantes, notamment en ce qui concerne la confidentialité, la discrimination et le déterminisme.

Tout d'abord, la collecte et l'utilisation de données personnelles sensibles telles que les antécédents médicaux et le mode de vie peuvent soulever des préoccupations en matière de confidentialité. Les individus peuvent être réticents à partager des informations personnelles en raison de préoccupations quant à la façon dont ces informations seront utilisées et protégées.

Ensuite, il y a un risque que les prédictions de l'algorithme soient utilisées pour discriminer les individus en fonction de leur espérance de vie prévue. Par exemple, les employeurs pourraient être moins enclins à embaucher des personnes dont l'algorithme prédit qu'elles auront une espérance de vie plus courte, ou les compagnies d'assurance pourraient facturer des primes plus élevées aux personnes considérées comme ayant un risque plus élevé de décès prématuré.

Enfin, il y a un risque que les prédictions de l'algorithme soient perçues comme déterministes, ce qui pourrait décourager les individus de prendre des mesures pour améliorer leur santé et leur bien-être. Les gens peuvent se sentir découragés ou résignés à leur sort prédit, plutôt que de prendre des mesures pour améliorer leur santé et leur mode de vie.

En réponse à ces préoccupations, les chercheurs ont souligné que l'outil est conçu pour fournir des informations générales sur les tendances démographiques et les facteurs de risque de santé, plutôt que des prédictions individuelles précises. Ils ont également souligné l'importance de protéger la confidentialité des données personnelles et de s'assurer que l'outil est utilisé de manière éthique et responsable.

En fin de compte, l'utilisation de la "calculette de la mort" soulève des questions importantes sur l'équilibre entre la collecte et l'utilisation de données personnelles pour améliorer la santé publique et les préoccupations éthiques liées à la confidentialité, la discrimination et le déterminisme. Il est important de poursuivre le débat sur ces questions et de s'assurer que l'utilisation de tels outils est guidée par des principes éthiques solides.

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