vendredi 9 décembre 2011

Le Dessous des cartes - J.C. Victor (2005)

Couverture de l'atlas géopolitique  - 2005 - ed. Seuil
De l'unité du monde

En moins d'une heure, le 11 septembre 2001, le monde entier assiste en temps réel à l'effondrement des tours du World Trade Center sur lesquelles deux avions viennent de s'écraser. Mais, aussi précises qu'aient pu être ces images, que comprend-on alors de ce qui vient de se passer?

C'est paradoxalement au moment où la planète a fini de se libérer des carcans de la guerre froide, au moment où l'information circule plus librement mais aussi plus facilement grâce aux nouvelles technologies, que l'image se brouille, que le monde devient incompréhensible. Il faudrait désormais savoir conjuguer ensemble et au même moment les événements, nombreux, complexes, quand ils se déroulent jour après jour, comprendre la relation qu'ils entretiennent entre eux, déchiffrer l'information qu'ils émettent, connaître la perception qu'en ont les opinions publiques, et enfin évaluer les mécanismes dont on dispose pour les faire évoluer.

Paradoxe d'une époque "bouffie d'images" - l'expression est du géographe suisse Claude Raffestin -, où, sous l'effet de la peur et de l'émotion qu'elles suscitent, le public perd son sens critique, parfois sa capacité de raisonner, souvent celle de faire les liens.

Intelligence, du latin interligere : discerner, démêler. C'est l'ambition de cet atlas qui tente de donner du sens aux événements, de chercher l'intelligence des faits, de classer l'immense savoir dont chacun dispose sur le "devisement" du monde, comme l'écrivait Marco Polo.

Faire les liens, dans le temps et dans l'espace

Ni dans l'espace ni dans le temps, les événements ne surviennent au hasard. Comme l'exemple du 11 septembre 2001 nous le rappelle, leur importance ne se mesure vraiment qu'à l'aune de ce qui les précède, et de ce qui les suivra. Il n'y a donc pas d'urgence à tout savoir. D'autant moins que découplées de leur contexte, les "nouvelles" que l'on reçoit du monde finissent par atomiser la compréhension qu'on en a. L'histoire et la géographie, elles, permettent de leur redonner une cohérence. Par son relief, ses accidents, ses évolutions, la géographie exerce une contrainte sur les hommes et leurs activités, et réciproquement. Tout événement se trouve influencé par le lieu où il se déroule, et influence à son tour l'action individuelle ou collective. D'où l'importance des cartes qui permettent à la fois de mesurer ce lien à l'espace et de le restituer.

De la même façon, l'histoire précède toujours, explique souvent, et détermine parfois. Car nous sommes tous héritiers d'un patrimoine où se mêlent idées, croyances et représentations qui influencent nos décisions et impriment nos actes. Voila pourquoi l'effort d'explication comme l'effort de prospective exigent de replacer le fait dans sa continuité historique afin de repérer les tendances longues, économiques, stratégiques, environnementales, démographiques, géopolitiques, religieuses, sociales.

Exemple : un article révèle qu'un "nouveau" litige juridique oppose les gouvernements canadien et américain à propos du statut des eaux côtières au nord du Canada. Pour le Canada, ces eaux sont sous souveraineté canadienne ; pour les États-Unis, il s'agit d'eaux internationales. La convention de Montego Bay sur le droit de la mer, elle, ne les départage pas. Or, au même moment, un second article indique que les campagnes d'exploration minière dans le territoire nord-canadien ont connu une nette augmentation. Et parallèlement, on apprend que les cargos qui naviguent dans cette région seront soumis à de nouveaux tarifs d'assurance à partir de 2010. La coïncidence est-elle fortuite?

En fait, c'est la conséquence du réchauffement climatique dans cette région arctique qui aide à faire le lien entre les trois événements. Car la hausse attendue de la température moyenne de 2° C sur les cinquante prochaines années entraîne la fonte partielle de la banquise arctique - sur son épaisseur et le calendrier de sa formation -, devant ainsi permettre aux navires à coque renforcée de se déplacer plus librement dans cette région polaire.

Entrer dans La logique de l'autre

Ni l'histoire ni la géographie ne sont des sciences exactes. Les phénomènes ne peuvent être vérifiés, et certainement pas dupliqués. Les perceptions qu'on en a, les représentations qu'on en donne dépendent toujours de l'endroit où l'on se trouve et du moment où l'on se place. Elles ne peuvent donc suffire à l'analyse qui exige de savoir se mettre à la place de l'autre, historiquement, géographiquement, politiquement, pour saisir son raisonnement, sa logique. Ainsi, tandis que nos cartes situent l'Europe au centre du monde, les planisphères chinois y mettent la Chine - Zhongguo en chinois, ce qui signifie «empire du milieu», «pays du centre». De la même façon, il est impossible de saisir la dimension stratégique de la guerre froide sans placer le pôle Nord au centre de la carte qui alors aide au constat que les États-Unis et l'URSS sont géographiquement des voisins immédiats.

Décider plutôt qu'observer

Que ce soit pour l'aménagement du territoire, son approvisionnement en énergie ou son mode de développement, le décideur se trouve dans la position de devoir arbitrer entre des intérêts et des logiques divergentes, voire même inconciliables. C'est pourquoi il est à la fois éclairant et utile de savoir analyser les options disponibles en quittant la posture de l'expert consultant ou du journaliste, et en adoptant la position du décideur, nettement plus difficile.



Prenons un exemple dans une région située en Afrique de l'Ouest. La question posée aux gouvernements des pays du golfe de Guinée est de savoir quelles seront les priorités du modèle de développement qu'il convient d'adopter pour cette région d'Afrique subsaharienne. Car le golfe de Guinée est un lieu exceptionnel: cinq des huit espèces de tortues marines recensées dans le monde viennent s'y reproduire. C'est donc un lieu à protéger en priorité si l'on veut protéger la biodiversité. Le problème, c'est que la chasse aux tortues fournit aux populations des protéines et des revenus. À cela s'ajoutent de classiques contentieux frontaliers qui divisent les trois États qui ont accès au Golfe - Gabon, Guinée équatoriale et Sâo Tomé et Principe - et qui freinent leur coopération. Enfin, il faut aussi savoir que le golfe est riche en hydrocarbures et qu'il représente pour les pays riverains un enjeu économique majeur.

Le cercle semble donc fermé. Que faire? Satisfaire les besoins des populations en autorisant la chasse aux tortues, ou bien protéger la survie des tortues pour assurer la pérennité de la biodiversité, et éventuellement le développement de l'écotourisme? Mais comment développer l'écotourisme pour qu'il constitue une source de revenus pour les populations, sans modifier leur mode de vie séculaire, tout en protégeant les tortues? Finalement, la seule chose qui conduise au consensus, c'est l'extension des champs pétrolifères qui promet un retour sur investissement plus rapide. Oui mais alors... quelle garantie a-t-on que les dividendes de ces forages soient redistribués aux populations riveraines du golfe? Ceci n'est pas une allégorie. La question que pose la protection des tortues est globalement celle des arbitrages que nous devons faire si l'on veut prétendre au développement durable... pour tous. Et dans un calendrier économique et humain qui dépasse notre propre génération.

Comprendre plutôt que savoir

L'analyse du Dessous des Cartes est donc d'abord le produit d'une démarche méthodologique. Mais elle est aussi le fruit de nombreux "voyages géopolitiques" entrepris dans le cadre de missions d'étude, d'enseignement ou humanitaires.

Voyage à Lhassa, par exemple, au cours duquel l'observation attentive des circulations urbaines et leur superposition aux parcours de pèlerinages permettent de comprendre comment l'administration chinoise modifie la géographie religieuse de la ville afin d'effacer peu a peu l'identité d'un peuple pour qui être tibétain, c'est être bouddhiste .

Voyage au Burkina Faso aussi, où une approche problématisée de ce petit pays géographiquement enclavé au cœur de l'Afrique subsaharienne permet de comprendre comment, en s'ajoutant les uns aux autres, de multiples facteurs finissent par l'enclaver aussi dans la pauvreté. C'est bien le sens de ces voyages et des observations lentes et transversales qu'ils permettent que les "itinéraires géopolitiques" proposés dans la première partie de ce livre tentent de restituer. Européens, américains, orientaux, asiatiques ou africains, chacun de ces itinéraires peut être emprunté séparément. Mais ce n'est que réunis qu'ils donnent de la mesure au monde et à ce qui l'anime. Car chaque pays s'inscrit dans un ensemble à la fois historique, géographique, culturel, voire idéologique.
  
Le nom donnée à la seconde partie de cet atlas, «Le monde qui vient», fait lui référence au Monde d'hier de Stefan Zweig, où peu de temps avant de se suicider, l'auteur décrit l'incroyable confort matériel, moral et intellectuel dans lequel vivent les milieux littéraires, politiques et artistiques européens à la veille de la Première Guerre mondiale qui allait déchirer durablement l'Europe. Où l'on comprend comment la force des certitudes rend aveugle, et comment la confiance qu'on avait alors dans le progrès scientifique ou dans le sens de l'histoire avait fini de persuader les Européens que la paix était éternelle.

Le Kurdistan
Est-il possible que nous soyons aussi aveugles que nos aînés face aux signaux que l'on reçoit du monde? Ou bien la disparition des "Empires centraux" de cette époque, la mise en place de l'ONU, l'invention de l'Union européenne nous protègent-elles d'un nouveau dérapage nationaliste et guerrier? C'est la question à laquelle la seconde partie de cet atlas tente de répondre. Réchauffement climatique, "choc des civilisations", pandémies sans précédent, hésitations européennes, développement des intégrismes... tout pourrait en effet indiquer que nous sommes sourds aux alarmes que le monde nous envoie puisque rien ne semble pouvoir nous convaincre d'infléchir notre mode de vie prédateur, notre indifférence au gouffre qui se maintient entre quelques pays et le reste du monde, ou encore notre façon d'instituer nos convictions en valeurs universelles. Au contraire: comme nos aînés, nous reproduisons à l'identique ces systèmes de "pensée unique" qui poussent à inventer ou à fabriquer des ennemis quand ils ne sont encore qu'à l'état embryonnaire. Ainsi sommes-nous passés d'un ennemi "jaune asiatique" au début du XXe siècle à un ennemi "rouge communiste" au milieu du siècle, à un ennemi "vert islamiste" à l'aube du XXIe! Étranges Occidentaux que nous sommes, façonnés et fascinés par notre Occident, si sûrs de nous dans le regard que nous portons sur les autres mondes.

C'est donc pour déconstruire les "prêt-à-penser" que ces certitudes fabriquent, que l'atlas propose dans sa deuxième partie quelques réflexions plus conceptuelles sur la santé mondiale, sur la guerre et ses mobiles, ou sur le terrorisme. On s'aperçoit ainsi, en classant les attentats et en les comparant sur plusieurs planisphères, qu'à l'échelle des trois dernières décennies, le terrorisme islamique n'est responsable que d'une petite part d'entre eux. On peut d'ailleurs en profiter pour se demander si le terrorisme - à cette échelle - n'est pas en train de changer le visage de la guerre, dans le lien qui existait entre État, guerre et territoire. Combattant nomade mondial n'offrant pas d'ennemi localisé et identifiable, absence de champ de bataille, pas d'objectif politique et national à négocier: la géographie sert-elle vraiment toujours à faire la guerre ?

La décision politique pour ces domaines peut-elle encore se faire à l'échelle nationale, justement? Qu'on en juge : OGM, grippe aviaire, pandémie du sida, pluies acides, pollutions marine ou terrestre, réchauffement du climat, migrations, etc., autant de phénomènes économico-politiques qui constituent d'autres faces de la globalisation et qui dépassent les capacités de gestion et de traitement des seuls États. Mondialisés, ces phénomènes ne sont plus « inter nationaux», mais transnationaux. Ensemble, ils montrent que la souveraineté partagée se révèle peut-être plus adaptée pour répondre à ces phénomènes, les virus ou les pollutions ne respectant vraiment pas les frontières des États. La question désormais posée est bien de savoir si le système d'État-nation reste pertinent, et partout, quand il s'agit de gérer la planète.

De l'usage des cartes

Dans Terre des hommes, Antoine de Saint-Exupéry parle de son avion comme d'un "outil pour comprendre les vieux problèmes des hommes"... Un peu comme les cartes en somme! Parce qu'elle donne à voir l'entièreté du monde en un clin d’œil, parce qu'elle réussit l'impossible compromis entre science, art et politique, parce qu'elle parvient à conjuguer la réduction mathématique des mondes, l'expression de phénomènes économiques, sociaux ou géopolitiques, avec la beauté des lignes, des formes, des trames et des teintes, la carte fascine.

Parfois belles, parfois secrètes, souvent complexes et toujours spécifiques, les cartes de cet atlas appellent d'abord la lenteur. À la fois texte, objet et miroir de notre terre en réduction, il faut, pour en saisir le sens, aller de l'une à l'autre, revenir, hésiter. Comparer, superposer ou faire varier les échelles.

Comparer... Prenons la carte des Balkans aux XVème et XIXe siècles, à la zone de contact entre l'Empire austro-hongrois au nord et l'Empire ottoman au sud. On voit là une zone de «confins militaires», un peu comme un triangle dont la pointe semble se diriger vers Vienne, et où l'armée des Habsbourg et celle de la Sublime-Porte se trouvent face à face. Prenons ensuite la carte de la même région à la fin du XXe siècle. On s'aperçoit alors que la pointe du triangle est devenue la frontière entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie, au terme de plus de trois années de guerre, entre 1992 et 1995.

Superposer... Quand on la regarde seule, la carte des zones de famine, de pénurie et de malnutrition en Afrique depuis vingt ans n'indique pas grand-chose sur les causes des crises alimentaires. En revanche, quand on la superpose à la carte des conflits, on s'aperçoit que la géographie des zones de famine coïncide souvent avec celle des zones de guerre. Car c'est l'homme et la guerre qui créent la faim, pas le vent ni l'absence de pluie. Du moins plus aujourd'hui.

Varier les échelles... Sur la carte, l'île de Diego Garcia ressemble d'abord à n'importe quel atoll de l'océan Indien. Et pourtant, sous souveraineté britannique, elle est louée par le Royaume-Uni aux États-Unis depuis 1966, et l'îlot sert aujourd'hui de base aux bombardiers américains qui partent en mission vers l'Afghanistan, l'Irak, le golfe Persique ou même la Somalie. Autrement dit, loin d'être un atoll perdu dans l'océan, le changement d'échelle de carte révèle qu'il est au contraire central dans le dispositif de communication qu'utilisent les flottes militaires américaines entre le Pacifique, l'Asie et l'Afrique.

Les sites pétroliers

Du succès des cartes

Dans notre imaginaire comme dans notre quotidien, pour situer ou pour trancher, les cartes jouent leur rôle et remplissent de nombreuses fonctions. Objet depuis longtemps familier pour marcher, pour conduire ou pour enseigner, elles sont désormais un instrument de pilotage, de simulation et même de décision grâce aux logiciels SIG (systèmes d'informations géographiques). Souvent de grande beauté, toujours pédagogiques, elles portent les fantasmes du voyageur et de l'explorateur que l'inconnu attire - terra incognita. Elles sont indispensables aux stratèges et aux militaires tant à l'échelle opérationnelle que tactique. Et puis la carte offre cet avantage de ne point exiger de traducteur, ni même d'apprentissage préalable, comme l'exige l'usage de la boussole. En somme, le monde envoie ses questions, les cartes y répondent.

Comme "l'homme blanc qui ne voit que ce qu'il sait", elles nous donnent l'impression de pouvoir embrasser une réalité que nous savons, mais que nous ne voyons pas: ce sont les nappes de pétrole et les enjeux qui y sont associés, le passage des détroits et le besoin de contrôle qui en découle, les déplacements de population et les rivalités autour d'une frontière. De tout cela, les cartes se chargent.

Enfin, la carte révèle. Car quand l'histoire s'accélère, la géographie se transforme: on l'a constaté avec l'apparition du réseau TGV en France et en Europe, la fin de l'Union soviétique, l'apparition d'Internet, ou celle des réseaux terroristes mondiaux. Ainsi, voilà quinze ans qu'avec constance, pédagogie et facilité, les cartes permettent au Dessous des Cartes de montrer, de raconter et d'expliquer les évolutions du monde depuis la chute du mur de Berlin: mouvements stratégiques, changements géopolitiques, nouveaux tracés de frontière, peuples patrimoines fragilisés, nations et nationalités, religions, flux de la mondialisation et changements climatiques. Les cartes sont des passeurs de savoir.

Cependant, tout ne se dit pas avec les cartes, en particulier la "vérité"... surtout quand elle est politique. Car la carte constitue aussi un outil privilégié de manipulation.

Des limites des cartes

Pendant les quatre siècles qui vont des grandes découvertes du XVe siècle à la colonisation des Amériques, de l'Afrique et de nombreuses parties de l'Asie, la carte est un instrument privilégié des Européens pour s'approprier le monde, et pour entériner leur action : tracés du premier partage du monde que fut en 1494 le traité de Tordesillas entre les couronnes d'Espagne et du Portugal, portulans décrivant les côtes marocaines puis brésiliennes à mesure de la progression des navigateurs lancés par le prince portugais Henri le Navigateur, redécoupages de l'Europe au congrès de Vienne en 1815 à la fin de l'empire napoléonien, ou encore tracés des frontières du continent africain aux congrès de Berlin en 1884-1885, etc.

Le XXe siècle, lui, se présente comme celui de toutes les manipulations cartographiques. On se souvient de l'Allemagne qui, dès 1925, c'est-à-dire seulement six ans après le traité de Versailles, publie une carte montrant "l'encerclement de l'Allemagne par la Grande et la Petite Entente", donnant ainsi l'impression que le pays est assiégé. Une impression que confirment ensuite les cartes éditées par le Parti national-socialiste dès son arrivée au pouvoir en 1933. En fabriquant visuellement un complexe obsidional allemand, les cartes contribuent à valider le concept d'espace vital - rapport population/territoire/ressources - que le pouvoir nazi agite à la fois pour stimuler le nationalisme et pour justifier l'expansionnisme. Songeons aussi au poids de la carte que Russes, Anglais et Américains dessinent à Potsdam et à Yalta avec la victoire en vue sur le nazisme, et qui conduit à diviser l'Europe et les Européens pendant près de cinquante ans.

Est-ce seulement du passé? On trouve toujours aujourd'hui ce lien très étroit qui associe le territoire, l'avenir politique d'un État et la cartographie, avec le cas actuel d'Israël et des territoires palestiniens.  En effet, on peut se demander si cette barrière debout aujourd'hui ou démolie demain n'a pas aussi pour vocation de préfigurer le tracé d'une future frontière pour l'État palestinien. Car dans cette région plus qu'ailleurs, vu les faibles superficies concernées, la carte enseigne que la réalité politique se joue par une inscription de l'État sur le sol. Ainsi, la fixation de la frontière libano-israélienne que permettait le retrait de l'armée israélienne du Sud-Liban au printemps 2000 fut-elle le résultat de quatre mois de travail intense et de négociations ardues, menées parfois au mètre près, arbitrées et validées par les experts géomètres des Nations unies.

Si la carte fixe des limites, elle fige aussi des représentations. C'est bien ce qu'en retiennent certains États qui tentent de forcer le droit international en s'appuyant sur des cartes. En somme, des États "menteurs cartographiques". Certaines librairies de Santiago du Chili vendent ainsi des cartes qui, en prolongeant le pays jusqu'au pôle Sud, lui attribuent de facto une part du "camembert» antarctique. Or le Chili est signataire du traité de Washington de 1959 qui, justement, suspend toute revendication de souveraineté sur le continent glacé. De la même façon, les cartes éditées au Maroc attribuant le Sahara occidental au royaume chérifien alors que ce vaste territoire décolonisé par l'Espagne en 1976 ne possède pas de statut juridique qui soit internationalement reconnu, le peuple sahraoui réclamant son indépendance ou une large autonomie. Autre exemple encore: des cartes politiques syriennes vues à Damas ou à l'Institut du monde arabe à Paris, qui montrent un bassin méditerranéen d'où les États d'Israël et du Liban ont disparu, sans doute tombés dans la Méditerranée. La carte est donc objet de manipulations, discrètes ou ostentatoires, volontaires ou non. Prenons le cas politiquement sensible et culturellement passionnant de la représentation cartographique du monde musulman. Que doit-on montrer sur une carte pour représenter l'islam? Question d'autant plus difficile que les appartenances religieuses ne sont pas des données géographiques comme les rivières ou les reliefs ; ni des données politiques comme les frontières. Les phénomènes culturels ou religieux ne sont pas des objets physiquement inscrits dans l'espace. Faut-il alors créer une carte des pays où l'islam est présent? Où il est majoritaire? Où une majorité d'habitants sont nés de parents musulmans? Où les habitants sont croyants? Pratiquants? Où la loi islamique est pratiquée? Ces hésitations sont d'autant plus pertinentes que la grande civilisation islamique se présente aujourd'hui comme une religion multiple: car si elle s'appuie au départ sur un texte fondateur commun, elle a depuis évolué dans des écoles différentes, sous des formes différentes et s'est divisée en des courants différents. Or, la plupart des "cartes de l'islam" que nous voyons dans les journaux ou même certains atlas ne distinguent pas les chiites des sunnites, les Turcs des Arabes, les zones habitées des zones désertiques, ou encore les pays laïcs des théocraties. D'où ces grandes masses de couleur - toujours vertes ! - où ne sont exprimées ni l'intensité ni la nature du phénomène religieux, ni son empreinte géographique réelle. En ignorant cette complexité, fort difficile à représenter par ailleurs, la simplification de la carte revient à tronquer la réalité. Elle en donne une représentation où viennent s'engouffrer des thèses généralisantes, culturellement perverses, politiquement dangereuses. Comme celles qui substituent à "l'ennemi" soviétique d'hier un successeur islamiste aujourd'hui.

Le 7eme continent
Guerre mentale, ou plus tard guerre réelle? À nous de décider. Cet atlas du Dessous des Cartes n'apporte pas toutes les réponses. Il veut poser les questions, aider à réfléchir, fournir quelques outils pour agir sur nos représentations du monde.

dimanche 27 novembre 2011

Une journée moyenne en France en 2010

"Chacun dispose de 24 heures par jour, dont la moitié est passée à dormir, manger et se préparer." Cette phrase introduit le résumé présentant une étude publiée jeudi 10 novembre par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), qui s'intitule "Depuis onze ans, moins de tâches ménagères, plus d'Internet".




Résultat: la moitié du temps libre des Français, 4 h 58 en 2010, soit une poignée de minute de plus qu'en 1999 – est passé devant un écran. Et c'est la télévision qui l'emporte, avec une moyenne de 2 heures passées devant le poste. Les femmes au foyer la regardent plus qu'en 1999 avec 19 minutes de plus, les étudiants la regardent une demi-heure de moins. Ils ont en partie remplacé la télévision par l'usage de l'ordinateur qui, quel que soit l'âge, est une activité plutôt masculine. Selon l'étude, les hommes de moins de 25 ans passent une demi-heure de plus que les femmes du même âge devant un ordinateur.

Les français regardent en moyenne la télévision 2 heures et 6 minutes par jour.

Les Français ont passé deux fois plus de temps (16 minutes de plus) à jouer ou surfer sur Internet l'année dernière qu'en 1999. Ce temps a doublé en dix ans et se traduit par 33 minutes en moyenne de surf quotidien sur la Toile.

Le temps consacré à la lecture (livres, journaux, y compris lecture de journaux sur Internet) soit 18 minutes par jour en moyenne a, en revanche, diminué d'un tiers depuis 1986, perdant 9 minutes par jour. Les retraités restent les plus gros lecteurs, avec plus d'une demi-heure de lecture par jour.

L'enquête de l'Insee ne fait pas de lien direct entre augmentation du temps de loisirs et diminution du temps de travail. Néanmoins, ce dernier a baissé en moyenne de 11 minutes par jour pour les hommes sur la période étudiée. Il est resté stable pour les femmes. Les hommes ayant un emploi travaillent en moyenne 37 h 15 par semaine, tandis que les femmes, plus souvent employées et plus souvent à temps partiel, travaillent 29 h 5, selon l'Insee.

Lien vers l'étude de l'INSEE: ici

vendredi 18 novembre 2011

Yves Coppens (1934-)

Yves Coppens (1934-)
Yves Coppens, né à Vannes le 9 août 1934, est un paléontologiste et paléoanthropologue français, professeur honoraire au Collège de France. Son nom est attaché à la découverte en 1974 du fossile surnommé Lucy.

Son père, le physicien René Coppens a travaillé sur la radioactivité des roches et a rédigé de nombreuses notes scientifiques pour l’Académie des sciences. Il fut professeur à la Faculté des Sciences.

Yves Coppens est passionné par la Préhistoire et l'archéologie depuis son enfance. Il passe ses années de collège, de lycée et d'université à sillonner les sites archéologiques de sa Bretagne natale, et effectue ses premières fouilles. Il obtient un baccalauréat en sciences expérimentales au lycée Jules Simon de Vannes puis une licence ès sciences naturelles à la faculté des sciences de l'université de Rennes. Il prépare le diplôme de docteur de troisième cycle en débutant une thèse sur les proboscidiens au laboratoire du professeur Jean Piveteau à la faculté des sciences de l'université de Paris.

En 1956, il entre au CNRS à 22 ans. Yves Coppens se dirige vers l’étude d’époques très reculées: le quaternaire et le tertiaire.

En 1960, il commence à monter des expéditions au Tchad, en Ethiopie puis en Algérie, en Tunisie, en Mauritanie, en Indonésie et aux Philippines.
En 1965, il découvre un crâne d’hominidé à Yayo (Angamma) nommé Tchadanthropus Uxoris. Le Tchadanthropus, peut-être âgé d’un million d’années, serait proche d’Homo erectus.
En 1969, Maître de conférences au Muséum National d'Histoire Naturelle, il est donc naturellement à la sous-direction du Musée de l'Homme.
En 1974 à Hadar, un fossile relativement complet d'Australopithecus afarensis est découvert dans le cadre de l'International Afar Research Expedition, un projet regroupant une trentaine de chercheurs éthiopiens, américains et français co-dirigé par Donald Johanson (paléoanthropologie), Maurice Taieb (géologie) et Yves Coppens (paléontologie). Le premier fragment du fossile a été repéré par Tom Gray, l'un des étudiants de Donald Johanson. Le fossile est surnommé "Lucy", en référence à Lucy in the Sky with Diamonds, la chanson des Beatles écoutée par l'équipe.

Squelette de Lucy, Australopithecus afarensis (entre 4,1 et 3 millions d'années) découvert en Éthiopie en 1974

En 1980, il est nommé directeur et professeur au Muséum pendant 3 ans.
En 1981, il propose une explication environnementale de la séparation Hominidae Panidae: l’East Side Story.
En 1983, Yves Coppens est élu titulaire de la Chaire de Paléoanthropologie et Préhistoire du Collège de France.
En 1988 Yves Coppens a développé et démontré comment l’acquis avait pris le pas sur l’inné, ce qui a notamment ralenti l’évolution humaine depuis plusieurs dizaines de milliers d’années.
En 2003, suite aux découvertes de Toumaï et d’Abel, Yves Coppens remet lui-même en cause sa théorie de l’East Side Story. Il participe à la réalisation de l'"Odyssée de l'espèce".
En 2006, il est nommé par le président de la République au Haut conseil de la recherche et de la technologie qui doit "éclairer le chef de l'Etat et le gouvernement sur toutes les questions relatives aux grandes orientations de la nation en matière de politique de recherche".
En 2007,  il donne sa caution scientifique avec Jean Guylaine sur le tournage du documentaire "Le Sacre de l'Homme".
En 2008, Yves Coppens publie le livre "Histoire de l'homme" où il évoque son parcours professionnel, la découverte de Lucy...
En 2009, Yves Coppens publie "Le présent du passé".
En 2010,  Yves Coppens est nommé Président du Conseil Scientifique de la sauvegarde de la Grotte de Lascaux.
En 2010, il écrit "Le présent du passé au carré".


Les citations d’Yves Coppens

"L'homme ne peut recevoir qu'une définition biologique. On ne peut expliquer l'homme ni par l'outil, ni par le langage, ni par l'organisation sociale."
Extrait d'un Entretien avec Didier Sénécal   (Avril 1996)

"La loi de l'évolution est la plus importante de toutes les lois du monde parce qu'elle a présidé à notre naissance, qu'elle a régi notre passé, et dans une large mesure, elle contrôle notre avenir."
Extrait de la revue Le Monde de l'éducation (Juillet-Août 2001)

"L'évolution est événementielle. C'est l'événement qui fait l'évolution et l'événement - en l'occurrence la circonstance - fait la transformation."
Extrait d'une interview avec Pierre Boncenne - Le Monde de l'éducation (Décembre 1999)

Quand Yves Coppens parle de la théorie de l'évolution...


"... Ce qui nous conduit à nous interroger sur le mécanisme de l'évolution. On constate que, dans un environnement identique, toutes les espèces évoluent dans le même sens : celui, précisément, de l'adaptation à ce milieu. Selon l'idée darwinienne, qui est toujours à peu près admise aujourd'hui, certains individus subiraient des mutations génétiques qui se produiraient au hasard, et plusieurs d'entre elles donneraient éventuellement un avantage pour subsister dans leur nouvel environnement.
Au fil des générations, cette nouvelle espèce s'imposerait, sélectionnée en quelque sorte par le milieu. Cette théorie ne me plaît pas beaucoup, dans son ensemble. Il est quand même étonnant que les mutations avantageuses surviennent justement au moment où on en a besoin! Au risque de faire hurler les biologistes, et sans revenir aux thèses de Lamarck, je crois qu'il faudrait s'interroger sur la façon dont les gènes pourraient enregistrer certaines transformations de l'environnement. En tout cas, le hasard fait trop bien les choses pour être crédible... L'apparition d'un pré humain qui tape sur les cailloux, fabrique des outils, de manière un peu occasionnelle, puis de plus en plus fréquente, jusqu'à en faire une culture, ou, si l'on préfère, le développement de la conscience, qui finit par créer un environnement culturel, cela est aussi, pour moi, un grand mystère. On part d'un être instinctif, sans liberté individuelle, pour arriver à un homme qui a acquis une liberté d'action et un libre arbitre grâce à la connaissance qu'il a accumulée et transmise... Le développement technique et culturel dépasse le développement biologique...
"
(article août 1995)



samedi 12 novembre 2011

Cantiques des colonnes - Paul Valéry (1871-1945)

à Léon-Paul Fargue.

Douces colonnes, aux
Chapeaux garnis de jour,
Ornés de vrais oiseaux
Qui marchent sur le tour,


Douces colonnes, ô
L’orchestre de fuseaux!
Chacun immole son
Silence à l’unisson.


– Que portez-vous si haut,
Égales radieuses?
– Au désir sans défaut
Nos grâces studieuses!


Nous chantons à la fois
Que nous portons les cieux!
Ô seule et sage voix
Qui chantes pour les yeux!


Vois quels hymnes candides!
Quelle sonorité
Nos éléments limpides
Tirent de la clarté!


Si froides et dorées
Nous fûmes de nos lits
Par le ciseau tirées,
Pour devenir ces lys!


De nos lits de cristal
Nous fûmes éveillées,
Des griffes de métal
Nous ont appareillées.


Pour affronter la lune,
La lune et le soleil,
On nous polit chacune
Comme ongle de l’orteil!


Servantes sans genoux,
Sourires sans figures,
La belle devant nous
Se sent les jambes pures.


Pieusement pareilles,
Le nez sous le bandeau
Et nos riches oreilles
Sourdes au blanc fardeau,


Un temple sur les yeux
Noirs pour l’éternité,
Nous allons sans les dieux
À la divinité!


Nos antiques jeunesses,
Chair mate et belles ombres,
Sont fières des finesses
Qui naissent par les nombres!


Filles des nombres d’or,
Fortes des lois du ciel,
Sur nous tombe et s’endort
Un dieu couleur de miel.


Il dort content, le Jour,
Que chaque jour offrons
Sur la table d’amour
Étale sur nos fronts.


Incorruptibles soeurs,
Mi-brûlantes, mi-fraîches,
Nous prîmes pour danseurs
Brises et feuilles sèches,


Et les siècles par dix,
Et les peuples passés,
C’est un profond jadis,
Jadis jamais assez !


Sous nos mêmes amours
Plus lourdes que le monde
Nous traversons les jours
Comme une pierre l’onde!


Nous marchons dans le temps
Et nos corps éclatants
Ont des pas ineffables
Qui marquent dans les fables...


Paul Valéry  recueil " Charmes". (1922)


Paul Valéry médite devant des colonnes antiques qu'il évoque comme une image stylisée de l'homme, un symbole de l'intelligence victorieuse de la matière, une synthèse unissant l'architecture aux mathématiques, "Qui naissent par les nombres!", "Filles des nombres d’or", ainsi qu'à la musique et à la danse.

Les colonnes ainsi assimilées à des figures humaines, nous invitent à considérer l’homme comme un trait d’union  vers les cieux. Avec Paul Valéry , nous passons de l’horizontale à la verticale. Sous l'agitation du mythe, avec ses dieux et ses héros si humains dans la violence de leurs passions, une image de la rationalité de l'homme, toujours le même dans une égalité qui fait à la fois son humilité et sa grandeur.

Harmonie des colonnes, ou colonnes d'harmonie ? Il faut, pour comprendre le monde commencer par faire silence en soi-même: "Chacun immole son Silence à l’unisson". L'homme est en perpetuelle recherche. "Un temple sur les yeux Noirs pour l’éternité" et cet incroyable  effort qu'il entreprend pour quitter les ténébres pour la lumière est une tache ancestrale, millénaire: "Et les siècles par dix, Et les peuples passés, C’est un profond jadis, Jadis jamais assez !"

L'homme est libre de ses choix, et c'est par son discernement qu'il surmonte ses désirs, ses passions animales pour devenir homme: "– Que portez-vous si haut, Égales radieuses? – Au désir sans défaut Nos grâces studieuses!". Il s'agit là d'un véritable travail.

Ces colonnes, pierres gisant dans la terre: "Nous fûmes de nos lits Par le ciseau tirées", ont été façonnées par l'intelligence et le génie de l'artiste.  Quel bel exemple à suivre que la beauté de ces colonnes... L'homme lui aussi quitte son lit, quitte l'inertie du sommeil et, armé du ciseau et du maillet, entreprend un travail sur lui même. Et l'homme est bien cette pierre: "Nous traversons les jours Comme une pierre l’onde!"

Au cœur du temple, la statue divine s'est humanisée, les colonnes pressent autour d'elles leur évocation spiritualisée de l'humanité. Leur chant est symbole,un choeur "Qui chantes pour les yeux!". Les hommes qui les écoutent "Tirent de la clarté!" d'un cantique, qui peut se concevoir dans un sens religieux, mais une religion sans dogme.

La calme présence de ces "incorruptibles sœurs, mi -brûlantes mi-fraîches", de ces "servantes sans genoux, sourires sans figures", exprime une certaine idée de l'homme et lui accorde un statut quasi divin: "Nous allons sans les dieux À la divinité!".


 
Paul Valéry
Paul Valéry est un écrivain, poète, philosophe et épistémologue français, né à Sète (34) le 30 octobre 1871 et mort à Paris le 20 juillet 1945.

Passionné par les mathématiques et la musique, il s’essaye également en 1889 à la poésie. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Gide et de Mallarmé. Les vers qu’il écrit dans ces années-là s’inscrivent ainsi, tout naturellement, dans la mouvance symboliste.

Il s’installe, en 1894, à Paris, où il obtient un poste de rédacteur au ministère de la Guerre. Mais cette période marque pour Paul Valéry le début d’un long silence poétique. À la suite d’une grave crise morale et sentimentale, le jeune homme, en effet, décide de renoncer à l’écriture poétique pour mieux se consacrer à la connaissance de soi et du monde. Il entreprend la rédaction des Cahiers dans lesquels il consigne quotidiennement l’évolution de sa conscience et de ses rapports au temps, au rêve et au langage.

Ce n’est qu’en 1917 que, sous l’influence de Gide notamment, il revient à la poésie, avec la publication chez Gallimard de La Jeune Parque, dont le succès fut immédiat et annonce celui des autres grands poèmes (Le Cimetière marin, en 1920) ou recueils poétiques (Charmes, en 1922). Paul Valéry privilégia toujours dans sa poésie la maîtrise formelle sur le sens et l'inspiration : "Mes vers ont le sens qu'on leur prête".

Sous l'Occupation, Paul Valéry, refusant de collaborer, prononce en sa qualité de secrétaire de l'Académie française l'éloge funèbre du "juif Henri Bergson". Cette prise de position lui vaut de perdre ce poste, comme celui d’administrateur du Centre universitaire de Nice. Il meurt le 20 juillet 1945, quelques semaines après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après des funérailles nationales à la demande de Charles de Gaulle, il est inhumé à Sète, au cimetière marin qu'il avait célébré dans son poème.

La portée philosophique et épistémologique de l'œuvre de Valéry est souvent méconnue. Paul Valéry est l'un des penseurs éminents du constructivisme. Le rapport que Valéry entretient avec la philosophie est singulier. Dans ses Cahiers il écrit: "Je lis mal et avec ennui les philosophes, qui sont trop longs et dont la langue m'est antipathique."

Pour Valéry, le philosophe est plus un habile sophiste, manieur de concepts, qu'un artisan au service du Savoir comme l'est le scientifique. En revanche, son désir de comprendre le monde dans sa généralité et jusqu'au processus de la pensée lui-même - caractéristique du philosophe - oriente fortement son travail. Les essais de Valéry traduisent ses inquiétudes sur la pérennité de la civilisation: "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles", l'avenir des "droits de l'esprit", le rôle de la littérature dans la formation, et la rétroaction du progrès sur l'homme.

samedi 5 novembre 2011

Discours à la jeunesse (extrait) - Jean Jaurès (1859 -1914)

Jean Jaurès (1859 -1914)
L’humanité est maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement.

Le courage, aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la sombre nuée de la Guerre, nuée terrible, mais dormante, dont on peut toujours se flatter qu’elle éclatera sur d’autres.
Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ; car le courage est l’exaltation de l’homme, et ceci en est l’abdication.

Le courage pour vous tous, courage de toutes les heures, c’est de supporter sans fléchir les épreuves de tout ordre, physiques et morales, que prodigue la vie.

Le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces ; c’est de garder dans les lassitudes inévitables l’habitude du travail et de l’action.

Le courage dans le désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts, c’est de choisir un métier et de le bien faire, quel qu’il soit ; c’est de ne pas se rebuter du détail minutieux ou monotone ; c’est de devenir, autant que l’on peut, un technicien accompli ; c’est d’accepter et de comprendre cette loi de la spécialisation du travail qui est la condition de l’action utile, et cependant de ménager à son regard, à son esprit, quelques échappées vers le vaste monde et des perspectives plus étendues.

Le courage, c’est d’être tout ensemble, et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe.

Le courage, c’est de comprendre sa propre vie, de la préciser, de l’approfondir, de l’établir et de la coordonner cependant à la vie générale.

Le courage, c’est de surveiller exactement sa machine à filer ou à tisser, pour qu’aucun fil ne se casse, et de préparer cependant un ordre social plus vaste et plus fraternel où la machine sera la servante commune des travailleurs libérés.

Le courage, c’est d’accepter les conditions nouvelles que la vie fait à la science et à l’art, d’accueillir, d’explorer la complexité presque infinie des faits et des détails, et cependant d’éclairer cette réalité énorme et confuse par des idées générales, de l’organiser et de la soulever par la beauté sacrée des formes et des rythmes.

Le courage, c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir mais de n’en pas être accablé et de continuer son chemin.

Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense.

Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques.

Ah ! vraiment, comme notre conception de la vie est pauvre, comme notre science de vivre est courte, si nous croyons que, la guerre abolie, les occasions manqueront aux hommes d’exercer et d’éprouver leur courage, et qu’il faut prolonger les roulements de tambour qui dans les lycées du premier Empire faisaient sauter les cœurs ! Ils sonnaient alors un son héroïque ; dans notre vingtième siècle, ils sonneraient creux.

Et vous, jeunes gens, vous voulez que votre vie soit vivante, sincère et pleine. C’est pourquoi je vous ai dit, comme à des hommes, quelques-unes des choses que je portais en moi.

Albi, 1903

samedi 29 octobre 2011

L'appel des appels, pour une insurrection des consciences

Demain, lorsque la normalisation des conduites et des métiers régnera définitivement, il sera trop tard. Soin, éducation, recherche, justice seront formatés par la politique du chiffre et la concurrence de tous contre tous. Il ne restera plus à l'information, à l'art et à la culture qu'à se faire les accessoires d'une fabrique de l'opinion pour un citoyen consommateur.

Face à de prétendues réformes aux conséquences désastreuses, les contributeurs, artistes, psychanalystes, enseignants, médecins, psychologues, chercheurs, journalistes, magistrats, dressent l'état des lieux depuis leur cœur de métier et combattent la course à la performance qui exige leur soumission et augure d'une forme nouvelle de barbarie.

L'Appel des appels prône le rassemblement des forces sociales et culturelles. Il invite à parler d'une seule voix pour s'opposer à la transformation de l'Etat en entreprise, au saccage des services publics et à la destruction des valeurs de solidarité humaine, de liberté intellectuelle et de justice sociale. Il témoigne qu'un futur est possible pour " l'humanité dans l'homme ". Il est encore temps d'agir.

L'insurrection des consciences est là, partout, diffuse, grosse de colère et de chagrin. La résistance de ces milliers de professionnels et de citoyens qui ont répondu à L'Appel des appels touche nos sociétés normalisées en un point stratégique.

"En refusant de devenir les agents du contrôle social des individus et des populations, en refusant de se transformer en gentils accompagnateurs de ce nouveau capitalisme, nous appelons à reconquérir l'espace démocratique de la parole et de la responsabilité."

L'ouvrage collectif L'appel des appels, pour une insurrection des consciences a été dirigé par Roland Gori, Barbara Cassin et Christian Laval. Il est paru aux éditions des mille et une nuits, chez Fayard, en novembre 2009.




samedi 22 octobre 2011

Les vers d'or - Pythagore (-580/-495)


Honore en premier lieu les Dieux Immortels dans l'ordre qui leur fut assigné par la Loi.

Respecte le Serment. Honore ensuite les Héros glorifiés.

Vénère aussi les Génies terrestres, en accomplissant tout ce qui est conforme aux lois.

Honore aussi et ton père et ta mère et tes proches parents.

Entre les autres hommes, fais ton ami de celui qui excelle en vertu.

Cède toujours aux paroles de douceur et aux activités salutaires.

N'en viens jamais, pour une faute légère, à haïr ton ami,

Quand tu le peux : car le possible habite près du nécessaire.

Sache que ces choses sont ainsi, et accoutume-toi à dominer celles-ci :

La gourmandise d'abord, le sommeil, la luxure et l'emportement.

Ne commets jamais aucune action dont tu puisses avoir honte, ni avec un autre,

Ni en ton particulier. Et, plus que tout, respecte-toi toi-même.

Pratique ensuite la justice en actes et en paroles.

Ne t'accoutume point à te comporter dans la moindre des choses sans réfléchir.

Mais souviens-toi que tous les hommes sont destinés à mourir ;

Et parviens à savoir tant acquérir que perdre les biens de la fortune.

À l'égard de tous les maux qu'ont à subir les hommes de par le fait des arrêts augustes du Destin,

Accepte-le comme le sort que tu as mérité ; supporte-les avec douceur et ne t'en fâche point.

Il te convient d'y remédier, dans la mesure que tu peux. Mais pense bien à ceci :

Que la Destinée épargne aux gens de bien la plupart de ces maux.

Beaucoup de discours, lâches ou généreux, tombent devant les hommes ;

Ne les accueille pas avec admiration, ne te permets pas de t'en écarter.

Mais si tu vois qu'on dit quelque chose de faux, supporte-le avec patience et douceur.

Quant à ce que je vais te dire, observe-le en toute circonstance.

Que jamais personne, ni par ses paroles ni par ses actions, ne puisse jamais

T'induire à proférer ou à faire ce qui pour toi ne serait pas utile.

Réfléchis avant d'agir, afin de ne point faire des choses insensées,

Car c'est le propre d'un être malheureux de proférer ou de faire des choses insensées.

Ne fais donc jamais rien dont tu puisses avoir à t'affliger dans la suite.

N'entreprends jamais ce que tu ne connais pas ; mais apprends

Tout ce qu'il faut que tu saches, et tu passeras la vie la plus heureuse.

Il ne faut pas négliger la santé de ton corps,

Mais avec mesure lui accorder le boire, le manger, l'exercice,

Et j'appelle mesure ce qui jamais ne saurait t'incommoder.

Habitue-toi à une existence propre, simple ;

Et garde-toi de faire tout ce qui attire l'envie.

Ne fais pas de dépenses inutiles, comme ceux qui ignorent en quoi consiste le beau.

Ne sois pas avare non plus : la juste mesure est excellente en tout.

Ne prends jamais à tâche ce qui pourrait te nuire, et réfléchis avant d'agir.

Ne permets pas que le doux sommeil se glisse sous tes yeux,

Avant d'avoir examiné chacune des actions de ta journée.

En quoi ai-je fauté ? Qu'ai-je fait ? Qu'ai-je omis de ce qu'il me fallait faire ?

Commence par la première à toutes les parcourir.

Et ensuite, si tu trouves que tu as omis des fautes, gourmande-toi ;

Mais, si tu as bien agi, réjouis-toi.

Travaille à mettre ces préceptes en pratique, médite-les ; il faut que tu les aimes,

Et ils te mettront sur les traces de la vertu divine,

J'en jure par celui qui transmit à notre âme le sacré Quaternaire,

Source de la Nature dont le cours est éternel.

Mais ne commence pas à prendre à tâche une œuvre,

Sans demander aux Dieux de la parachever.

Quand tous ces préceptes te seront familiers,

Tu connaîtras la constitution des Dieux Immortels et des hommes mortels, tu sauras

Jusqu'à quel point les choses se séparent, et jusqu'à quel point elles se rassemblent.

Tu connaîtras aussi, dans la mesure de la Justice, que la Nature est en tout semblable à elle-même,

De sorte que tu n'espéreras point l'interprétable, et que plus rien ne te sera caché.

Tu sauras encore que les hommes choisissent eux-mêmes et librement leurs maux,

Misérables qu'ils sont ; ils ne savent ni voir ni entendre les biens qui sont près d'eux.

Peu nombreux sont ceux qui ont appris à se libérer de leurs maux.

Tel est le sort qui trouble les esprits des mortels. Comme des cylindres,

Ils roulent ça et là, accablés de maux infinis.

Innée en eux, en effet, l'affligeante Discorde les accompagne et leur nuit sans qu'ils s'en aperçoivent ;

Il ne faut point la provoquer, mais la fuir en cédant.

Ô Zeus, notre père, tu délivrerais tous les hommes des maux nombreux qui les accablent,

Si tu montrais à tous de quel Génie ils se servent !

Mais toi, prends courage, puisque tu sais que la race des hommes est divine,

Et que la nature sacrée leur révèle ouvertement toutes choses.

Si elle te les découvre, tu viendras à bout de tout ce que je t'ai prescrit ;

Ayant guéri ton âme, tu la délivreras de ces maux.

Mais abstiens-toi des aliments dont nous avons parlé, en appliquant ton jugement

À tout ce qui peut servir à purifier et à libérer ton âme. Réfléchis sur chaque chose,

En prenant pour cocher l'excellente Intelligence d'en haut.

Et si tu parviens, après avoir abandonné ton corps, dans le libre éther,

Tu seras dieu immortel, incorruptible, et à jamais affranchi de la mort.

Pythagore
  

dimanche 16 octobre 2011

Bréviaire des politiciens - Cardinal Jules Mazarin (1602-1661)

Arléa, 1997 (Cologne, 1684)
Dans ce célèbre petit opuscule, le cardinal Mazarin adresse des conseils monstrueusement avisés à l’attention des hommes de pouvoir mais aussi à quiconque désire réussir socialement et éviter les pièges. 

Ces recommandations sont prodiguées de manière quelque peu décousue et prennent la forme de maximes, de recettes ou encore de simples mises en garde. On frémit quand on pense que ces conseils d’un cynisme abominable sont prodigués par un homme d’Eglise. Il est vrai que, à l’époque, il n’était pas nécessaire d’être prêtre pour devenir cardinal: Mazarin ne reçut jamais les ordres, mêmes mineurs mais seulement la tonsure qui faisait de lui un « clerc » et lui permettait de se faire conférer les bénéfices ecclésiastiques. Le pape lui envoya la « barrette rouge » que Louis XIII lui remit solennellement en 1642.

Évidemment, ces conseils sont séduisants. Le machiavélisme politique a ceci de fascinant qu’il met à jour les rouages du pouvoir et révèle la nature humaine dans ce qu’elle a de plus mesquin mais aussi de plus ingénieux. Notre société n’est pas insensible à la beauté du mal lorsqu’il est présenté sous ses meilleurs atours.

A défaut d’être reluisants, ce sont des conseils efficaces, excellents mêmes. Ils ne sont pas tous loin de là, criminels ou immoraux. Certains sont même authentiquement sages (éviter les offenses, gérer les ego, la pudeur, la discrétion, la prudence, etc.). On sent que le prélat connaît les tréfonds de l’âme humaine. Ces recettes permettent sans doute de façonner de bons politiciens (encore que ces derniers pratiquent souvent, intuitivement et sous une forme atténuée, des techniques identiques) mais seront probablement beaucoup moins utiles à ceux qui aspirent à devenir d’authentiques hommes d’Etat, ceux pour qui séduire importe moins que servir.

Ne vous fiez à personne

Les amis n’existent pas: il n’y a que des gens qui feignent l’amitié. Soyez constamment sur vos gardes: sachez que si, ne fût-ce qu’un bref instant, vous vous êtes comporté ou avez parlé de façon trop libre ou grossière, vous en payerez le prix car les gens généralisent sur des faits isolés.

Soyez irréprochables. N’attendez pas qu’on interprète favorablement vos actes et vos propos. Dites-vous qu’on ne vous accordera jamais le bénéfice du doute. Soyez même convaincu du contraire.
Aie toujours à l’esprit ces cinq préceptes :

1 – Simule.
2 – Dissimule.
3 -  Ne te fie à personne.
4 - Dis du bien de tout le monde.
5 – Prévois avant d’agir.
  
Affectez un air modeste, candide, affable. Feignez une perpétuelle équanimité. «Farde ton coeur comme on farde un visage ». Il est souvent nécessaire de mentir. Cela dit, pour éviter de se faire démaquer par des propos contradictoires qu’on tiendrait par la suite, Mazarin recommande de consigner par écrit tout ce qu’on dit d’important.

Un excellent exercice consiste à parler de la manière la plus cordiale avec quelqu’un que l’on déteste. Cela permet de s’entraîner à la dissimulation des sentiments. Ce n’est pas chose aisée car les émotions se lisent ordinairement sur le visage. Si on tient des propos erronés en votre présence, gardez vous de les rectifier: c’est peut-être un piège pour savoir jusqu’où vous êtes renseigné. Il vaut mieux se tenir coi, réfléchir aux conseils d’autrui et méditer longuement.

Espionnez les autres

Mazarin attache énormément d’importance à l’observation d’autrui et nous enjoint à nous muer en espion: observez bien les vices et les vertus de ceux que vous côtoyez. Vous disposerez d’un bel arsenal dont, au besoin, vous pourrez vous servir pour les manoeuvrer. Un conseil qui revient plusieurs fois dans ce bréviaire, c’est celui d’exploiter les périodes de décès qui accablent une personne pour tenter, via des visites fréquentes, de se rapprocher d’elle, d’obtenir des faveurs, des confidences ou renseignements que vous pourrez par la suite utiliser contre elle ou contre d’autres.

Il est bien vrai qu’il faut essayer de tout savoir, d’avoir des espions partout mais il faut bien prendre garde de ne pas se faire remarquer. Il faut espionner avec prudence. Comment jauger les intentions véritables d’autrui ? Dans son ouvrage, Mazarin recommande toute une série de pièges et de stratagèmes pour percer les pensées (envoyer des hommes de confiance glaner des informations, se répandre en fausses confidences devant des bavards impénitents, égarer intentionnellement des lettres à tel ou tel endroit, faire des éloges d’une personne devant une autre dont on veut savoir ce qu’elle en pense, etc.)

Ne dites jamais la vérité sur son compte à autrui. Elle a toujours un goût amer. Ne soyez sincère que lorsque la sincérité peut vous servir: pour louer les qualités de tel ou tel à condition que ces louanges n’irritent pas des tiers. «Ne commente ni ne critique les actes de personne».

De manière générale, ne parlez jamais inconsidérément de qui que ce soit. Evitez, tant que faire se peut, de susciter haines et rancunes. Sachez, du moins, que si quelqu’un vous manifeste de la haine, ce sentiment est toujours authentique. Il est certaines espèces de gens qu’il vaut mieux éviter de fréquenter: ceux qui se contredisent, les bavards, les déséquilibrés et les désespérés.

Portrait du cardinal Mazarin, Atelier de Pierre Mignard (1658-1660), Chantilly, musée Condé


Comment se comporter avec les supérieurs

Il faut se montrer respectueux avec tout le monde mais davantage encore avec les supérieurs. Dites en exclusivement du bien et louez tout particulièrement ceux qui peuvent vous être utiles. Vis-à-vis d’eux, conservez toujours la plus profonde déférence même s’ils vous apprécient et vous convient dans leur intimité. S’ils sont âgés, rappelez leurs leurs titres à tout moment. Faites en grand cas car ils sont susceptibles et facilement hargneux.

« Respecte les vieillards et suis leurs conseils – ou du moins fais semblant. Rends leurs toutes sortes d’hommage, donne-leur l’impression que tu vénères leur sagesse ».

Quid si vous avez l’oreille des puissants de ce monde ? Mazarin recommande de se montrer le moins possible en compagnie du véritable détenteur du pouvoir. Autrement, vous déclencherez les jalousies, attirerez des nuées de solliciteurs et vous serez tenus pour responsable des mauvaises actions des puissants. Il ne faut absolument jamais se vanter d’avoir un contact privilégié avec eux ou d’avoir conquis leur amitié. A fortiori, il ne faut jamais se targuer d’avoir influé, par des conseils, sur leurs décisions. S’ils l’apprennent, les puissants vous retireraient votre amitié et éviteraient d’encore recourir à vos conseils.

Il vaut mieux se montrer peu disert mais écouter attentivement. « Sois plus philosophe qu’éloquent ». Pourquoi ? Parce que, plutôt que vous écouter, les princes préfèrent être écoutés.

Ne cherchez pas à percer les secrets des puissants. Pourquoi ? Car s’ils sont divulgués un jour, les soupçons risquent de s’égarer sur celui qui, comme vous, en aura eu connaissance via des confidences.

De manière générale, ne révélez jamais ce que vos supérieurs vous ont dit et ne confiez jamais à personne ce que vous pensez d’eux.

Auprès de votre maître, n’intercédez qu’exceptionnellement pour quelqu’un d’autre: si vous obtenez de lui un bienfait pour autrui, ce sera comme si vous l’aviez réclamé pour vous-même. Autant ne pas épuiser ce capital qui peut vous servir par la suite. Quand vous sollicitez des faveurs, ne demandez rien que vous ne soyez certain d’obtenir. Evitez surtout de présenter plusieurs requêtes à la fois. Choisissez le bon moment pour présenter votre demande: au cours de réjouissances ou après un banquet (sauf si le vin a rendu votre cible somnolente). Ne parlez jamais de cette requête à quiconque avant d’avoir obtenu ce que vous désiriez.


Les singes de la sagesse: «Ne rien voir de mal, ne rien entendre de mal, ne rien dire de mal»
 
Comment se comporter avec les inférieurs et les subordonnés

Pour vivre en paix, il faut accepter toutes sortes de petits désagréments. Même très occupés, accueillez toujours aimablement un visiteur inopiné et donnez-lui l’impression qu’il est le bienvenu. Priez-le ensuite de revenir un autre jour. N’accueillez jamais personne par un trait d’esprit ou une boutade. Cela risque d’être perçu comme une offense.

Concernant les serviteurs de votre propre maître, assurez vous que tous, jusqu’au plus humble, vous soient totalement dévoués.

Les inférieurs peuvent vous fournir toutes sortes d’informations utiles sur autrui (encore faut-il éviter de faire usage dans l’immédiat des secrets qu’ils vous révèlent). Il faut toujours se montrer avec eux d’une parfaite courtoisie. Acceptez les invitations à leur table, ne faites aucune critique, montrez leur de la compassion mais conservez un brin de gravité et de distance dans le maintien. Traitez les serviteurs des autres en amis: vous pourrez ainsi, au besoin, les convaincre plus facilement de trahir leur maître contre de l’argent. Evitez néanmoins la familiarité: ils vous mépriseraient. En présence de personnes inférieures, mais bien nées, il faut se défier d’une humilité trop marquée et d’une soumission exagérée (si, par exemple, ils vous baisent les pieds).

Les subordonnés sont des instruments précieux, ne fût ce que parce qu’ils sont indispensables pour mettre vos plans à exécution, pour exercer des pressions et infliger des châtiments à votre place (il est important de vous réserver à des tâches plus élevées). Par ailleurs, il vaut mieux confier à d’autres des tâches qui exigent de gros efforts sans apporter ni argent ni gloire. On peut se décharger sur les subordonnés des affaires mineures selon une répartition stricte des tâches sur laquelle on ne doit jamais revenir par la suite.

Mazarin conseille de faire fréquemment le bilan des actions bonnes et mauvaises de ses subordonnés et d’en tirer les conséquences. Pour chaque subordonné, consacrez une page que vous diviserez en quatre colonnes: dans la première, inscrivez les ennuis qu’il vous a causés en manquant à ses devoirs, dans la seconde, les services que vous lui avez rendus et le mal que vous vous êtes donné pour lui. Dans la troisième, mentionnez ce qu’il a fait pour vous et dans la quatrième les torts que vous lui avez causés et les efforts exceptionnels qu’il a éventuellement accomplis pour vous servir. Ainsi, s’ils viennent se plaindre chez vous, vous saurez exactement quelle réponse leur faire. Pour conserver leur zèle et leur empressement, il n’est pas mauvais de faire sentir à vos subordonnés que vous nourrissez une ombre de suspicion à leur endroit.

Comment se comporter avec les ennemis

Avant de s’emporter contre quelqu’un, interrogez-vous sur les faits: souvent, ce sont des rapports malveillants qui vous ont induits en erreur à propos de lui. Si vous détestez une personne, gardez-vous de révéler ce fait à quiconque. En revanche, il est de la plus haute importance de découvrir tous ses secrets. Une fois que vous avez pris la résolution de combattre, encore faut-il s’exposer le moins possible et, dès lors, toujours s’assurer que votre situation est inébranlable avant de lancer une attaque.

La prudence commande de ne pas s’attaquer à plusieurs ennemis à la fois: quand on travaille à la perte de quelqu’un, il est important de se réconcilier provisoirement avec ses autres ennemis. Prenez garde à ce que la passion de la vengeance vous emporte au point de rater des occasions de progresser dans votre carrière. Evitez d’agir directement vous-mêmes. Confiez à des intermédiaires l’exécution de vos basses oeuvres. Cela vous permet d’éviter de vous salir voire de vous montrer compatissant par la suite: vous pourrez organiser la fuite de l’offenseur travaillant pour vous et inciter l’offensé à lui pardonner.

Comment se débarrasser d’un rival ? Le mieux, quand on veut perdre un homme, est d’aller chanter ses louanges auprès de son maître mais de manière telle que le maître les ressente comme un affront personnel. Plus vicieux: il faut faire comprendre que ces louanges ne procèdent pas de votre propre admiration mais qu’elles sont colportées abondamment par la rumeur publique dont vous vous faites tout simplement l’écho. On peut aussi, écrit Mazarin, suggérer que cette réputation devient fort mauvaise tout en incitant à faire fi de ces méchantes rumeurs accablant son protégé (en laissant, par là, entendre au maître que l’opprobre rejaillit sur lui).

«Feins de louer son indulgence, simule la compassion. Exclame-toi avec des accents plein de pathos sur les passions de son protégé: “Quel caractère exceptionnel ! Quelle tristesse de voir une nature si noble dévorée par un vice aussi désastreux…”  Mais ce vice, bien sûr, ne révèle surtout pas quel il est»
Appelez à la clémence du maître pour que les fautes de votre rival soient pardonnées mais pas trop quand même pour ne pas être exaucé. Il ne reste plus, en gagnant la confiance de votre rival, qu’à l’inciter à se précipiter dans le ravin que vous aurez ouvert devant lui. Une fois qu’on a triomphé d’un ennemi, il faut se garder de l’insulter par-dessus le marché. Laissez plutôt les événements faire leur oeuvre. Plaignez-le au besoin.
Jules Mazarin et la bibliothèque Mazarine (1659), par Robert Nanteuil
 
Comment se comporter avec les solliciteurs
 
Une règle d’or : quand quelqu’un sollicite quelque chose auprès de vous, il ne faut jamais lui dire non directement. Mieux vaut entrer dans de longues considérations qui se concluront par… un refus. Mazarin conseille de faire mine de prendre un moment de réflexion et se montrer ensuite sincèrement navré de ne pouvoir accéder à la requête. Une bonne politique consiste à ne pas donner l’impression au solliciteur qu’il repart les mains vides, même si c’est effectivement le cas. Il faut féliciter le solliciteur de sa démarche. S’il insiste, il faut lui demander comment on pourrait l’aider d’une autre manière. Une technique consiste à l’adresser à d’autres personnes en lui indiquant consciencieusement la marche à suivre. Autrement, il est toujours possible de temporiser, d’abreuver le quémandeur de belles paroles et d’attendre qu’il se lasse (c’est assez fréquent avec les gens de petite condition: leur esprit s’enflamme rapidement mais leurs désirs les plus ardents ne sont que feu de paille).

Comment se comporter avec la populace

N’allez jamais à l’encontre de ce qui plaît aux gens du peuple. Cela dit, Mazarin préconise de ne jamais se faire le défenseur de lois démagogiques. Si l’on vous sait l’instigateur d’une loi impopulaire, il importe de calmer la populace en lui octroyant des faveurs (remise d’impôt, grâce d’un condamné, etc.).

Evitez de devenir impopulaire lorsque vous promulguez de nouvelles lois. Comment faire ? Il s’agit de démontrer l’impérieuse nécessité de ces lois à un Conseil des Sages quelconque et mettre au point la réforme avec ce dernier. Mieux: il suffit de propager la nouvelle qu’on a consulté ce Conseil, qu’on a été abondamment conseillé par lui et légiférer sans se soucier en aucune manière des avis de ce Conseil. S’il vous faut opérer une volte-face politique, le mieux est de contacter un théologien ou un expert et s’arranger avec lui pour qu’il vous fasse publiquement la suggestion de ce changement. Mieux: il doit donner l’impression de faire pression sur vous.

Réussir

Ce qui compte le plus dans une carrière, c’est le commencement. Il ne faut ménager ni les efforts ni les sacrifices. Mieux vaut ne pas prendre l’initiative avant d’être sûr de réussir:

«Aussi brillant en tes débuts qu’en toute chose: une fois ta renommée établie, même tes erreurs se transformeront en titres de gloire ».

Evitez de vous disperser : plutôt que de se lancer dans diverses entreprises à la fois, mieux vaut en réussir une seule mais éclatante. Si haut que l’on soit parvenu, il faut viser plus haut encore. Si ce sont les honneurs auxquels on aspire, il faut viser aux plus prestigieux, qui sont aussi les plus sûrs. Cela dit, Mazarin met en garde contre un danger inverse: «Evite de progresser dans ta carrière de manière trop rapide ou trop éclatante».

Le mieux est d’avoir la victoire modeste et profiter de cette dernière pour en attribuer les honneurs à d’autres. « Attribue tes réussites et tes succès à autrui ». Faites comme si vous ne tiriez aucune fierté de vos succès et, en conséquence, ne changez absolument rien dans votre manière de parler, de vous vêtir ou dans vos habitudes de table. Laissez les distinctions honorifiques à d’autres que vous : « non seulement, elles ne servent à rien mais brillent d’un éclat qui enflamme la jalousie ».

Vous briguez une place ? Mazarin vous met en garde: dans l’attribution d’une charge, l’octroi d’un mandat ou la nomination à un poste de responsabilité, la compétence est un élément qui n’a pas la moindre importance: «Ne va pas t’imaginer que ce sont tes qualités personnelles ou ton talent qui te feront octroyer une charge. Si tu penses qu’elle te reviendra pour la seule raison que tu es le plus compétent, tu n’es qu’un benêt.».


Une chose à ne pas faire ? Remplir, remettre son acte de candidature et attendre gentiment que le jury décide. Non. Il faut prendre les devants, promettre des passe-droits à des gens influents, utiliser au mieux les services d’intermédiaires discrets et, par la suite, se faire une règle d’honorer ses engagements. Mazarin conseille, dans le même temps, de se déprécier ouvertement et même avec outrance. Il faut se déclarer indigne de cette charge et affirmer que c’est la raison pour laquelle on éprouverait d’autant plus de gratitude si on l’obtenait. On peut aussi s’entendre avec certains pour qu’ils vous prient publiquement de postuler à cet emploi que vous ne convoitiez prétendument pas.

Les offenses

Il faut éviter d’offenser qui que ce soit car cela allume des haines inutiles. Là encore, la prudence est de rigueur. Le simple fait de louer quelqu’un devant une personne qui la déteste suffit à vous attirer l’inimitié de cette dernière.

Le cardinal insiste sur un point: si vous êtes personnellement offensé, le mieux est de faire comme si de rien n’était. Pourquoi ? Car qui offense prend souvent sa victime en haine. Si votre offenseur est puissant, il faut avaler la couleuvre. Si l’offenseur n’est pas plus puissant que vous, une vengeance est envisageable mais, si possible, via un intermédiaire et en laissant couler un peu d’eau sous les ponts.

Si une personne vous accuse de manière allusive mais transparente pour un acte blâmable, faites mine de ne pas avoir compris que c’est vous qui êtes visé ; exprimez votre indignation par rapport à cette vilenie et aux gens capables de la commettre. S’il vous nomme, faites comme s’il s’agissait d’une plaisanterie et répondez par des taquineries inoffensives qui le feront rire. Renchérissez comme si ces accusations s’adressaient à d’autres et quand il est à court de munitions, faites remarquer qu’il n’était nul besoin de déterrer la hache de guerre pour si peu.

Préparez vous à l’avance à affronter n’importe quelle situation. Soyez en mesure de répondre le plus tranquillement du monde à une insolence caractérisée, ce qui implique que vous ayez réfléchi aux différents sarcasmes dont vous pourriez être l’objet et aux réponses à leur faire avec la physionomie ad hoc.



Quelques extraits du Bréviaire des politiciens


Par le connais-toi toi-même, on entend en général une connaissance de l’âme. Ici, au contraire, tout a trait à l’apparence extérieure, cela signifie : examiner la façon dont on se donne à voir aux autres.

Demande-toi dans quelles occasions tu as tendance à perdre le contrôle de toi-même, à te laisser aller à des écarts de langage ou de conduite.

Considérer toujours soigneusement en quel lieu et en quelle compagnie tu te trouves et quelles circonstances t’y ont amené, à te conduire conformément à ton rang et au rang des personnes à qui tu as affaire.

Aussi longtemps que les circonstances rendront inefficace toute démonstration d’animosité, contiens-toi et ne cherche pas à te venger. feins au contraire de n’avoir ressenti aucune offense. Attends ton heure.

Ne dis ni ne fais jamais rien qui puisse contrevenir à la bienséance, du moins en public : car même si tu agis spontanément et sans penser à mal, sois sûr que les autres, eux, penseront à mal systématiquement.

On voit souvent des prédicateurs fustiger avec la plus grande véhémence les vices qui les avilissent eux-mêmes.

Sache qu’un homme qui se contredit ne répugnera pas à te voler.

Si quelqu’un te révèle les secrets d’un autre, garde-toi de lui confier ne fût-ce qu’une infime partie des tiens, car tu peux être sûr qu’il se conduira avec ses intimes comme il s’est conduit avec toi.

Tu reconnaîtras la vertu et la piété d’un homme à l’harmonie de sa vie, à son absence d’ambition et à son désintérêt pour les honneurs. Point de fausse modestie chez lui, ni de préméditation dans ses paroles ou son comportement. Il n’affecte pas de parler d’un ton imperturbablement suave, en faisant ostensiblement état de mortifications purement superficielles, comme ceux-là qui répètent à qui veut les entendre qu’ils boivent et mangent à peine.

Méfie-toi des hommes de petite taille : ils sont butés et arrogants.

Ne demande pas à un ami de te prêter quoi que ce soit : il peut arriver qu’il ne possède pas ce dont il fait croire à tout le monde qu’il jouit, et, ainsi démasqué, il te haïrait. De même s’il consent à contre-cœur, ou s’il ne récupère pas son bien en parfait état, il t’en gardera rancune.

N’achète non plus jamais rien à un ami : s’il en demande un prix trop élevé, tu seras floué, si le prix est trop bas, c’est lui qui sera floué. Dans les deux cas, votre amitié s’en ressentira.

N’oublie jamais que n’importe qui est susceptible de faire courir des rumeurs sur ton compte si, en sa présence, tu t’es comporté ou tu as parlé de façon trop libre ou grossière. Les gens se fondent sur un incident isolé pour généraliser.

Ne compte jamais sur le bénéfice du doute. Sois même convaincu du contraire.

Chaque fois que tu paraîtras en public - le moins souvent possible -, tâche de te conduire d’une manière irréprochable : une seule bévue suffit à entacher une réputation, et le mal est alors bien souvent irréversible.

Ne donne jamais l’impression de dévisager ton interlocuteur. Sois économe de tes gestes. Marche à pas mesurés et garde en toutes circonstances une posture pleine de dignité.

Evite de revenir sur les décisions de ceux qui t’ont précédé : ils étaient peut-être en mesure de prédire des événements auxquels toi, tu ne t’attends pas.

Pour présenter une requête, il faut choisir son moment. Evite surtout de présenter plusieurs requêtes à la fois.

Comme il est toujours désagréable d’essuyer un refus, ne demande rien que tu ne sois certain d’obtenir. C’est pour cette raison qu’il vaut mieux ne rien demander directement, mais faire comprendre à demi-mot ce dont tu as besoin.

Donne-toi pour règle absolue et fondamentale de ne jamais parler inconsidérément à qui que ce soit – pas plus en bien qu’en mal -, et de ne jamais révéler les actions de quiconque bonnes ou mauvaises.

En effet, il est toujours possible qu’un ami de celui que tu critiques soit présent et s’empresse de rapporter tes propos en les exagérant, te faisant un ennemi de plus.

En revanche, si tu fais l’éloge de quelqu’un en présence d’autrui qui le hait, c’est de cet autre que tu t’attireras l’inimitié.

Attribue tes réussites et tes succès à autrui. Par exemple, à une personne d’expérience qui t’a aidé de sa prévoyance et de ses avis prudents.

Quand tu auras triomphé d’un adversaire, ne cède pas à la tentation de l’insulter par-dessus le marché.

Ne te gausse pas de tes rivaux, retiens-toi de les provoquer et, chaque fois que tu seras vainqueur, contente-toi du plaisir de la victoire sans t’en glorifier en paroles ou en actes.

En public, ne prétends jamais avoir de l’influence sur tes supérieurs ; ne te vante jamais de jouir de leur faveur. Ne te laisse pas non plus aller à des confidences en disant ce que tu penses de tel ou tel d’entre eux.

Si l’on te rapporte qu’un soi-disant ami a dit du mal de toi, ne lui en fais pas reproche : tu t’en ferais un ennemi, alors que jusqu’ici il n’est dans le pire des cas qu’un indifférent.

Ne te vante pas d’avoir influé, par tes conseils, sur les décisions de quelqu’un. Une autre fois, il refuserait de t’écouter. En revanche, si, pour n’avoir pas suivi tes conseils, quelqu’un a subi un échec, retiens-toi d’ironiser sur son compte et laisse les événements se charger de te venger.

Accepte les reproches, même injustifiés. N’essaie pas de trouver une excuse à tes actes, sinon plus personne ne voudra te conseiller. Au contraire, manifeste à quel point t’affliges le souvenir des erreurs que tu as commises. Quant aux reproches absolument dépourvus de fondement, le mieux est de n’y pas répondre. A l’occasion, admets même que tu as pu, parfois, avoir des torts.

Chaque jour, ou certains jours fixés d’avance, consacre un moment à étudier comment tu réagirais devant tel ou tel événement susceptible de se produire.

N’attends jamais qu’on interprète favorablement tes actes ou tes propos. Dis-toi bien que personne en ce monde n’en est capable.

Ne donne pas de conseils aux hommes emportés ou violents : ils les suivront mal et, ensuite, ils t’en voudront de leurs échecs.

Sois toujours prêt à affronter n’importe quelle situation. Ainsi, prépare-toi à répondre le plus tranquillement du monde à une insolence caractérisée. De toute façon, sache que tu apparaîtras tel qu’au préalable tu te seras façonné intérieurement.

Que ni tes paroles ni tes gestes ne tombent jamais dans le graveleux.

Si tu es offensé personnellement, le mieux est de faire comme si de rien n’était, car une querelle en amène une autre, et l’offenseur et toi seriez ensuite en guerre perpétuelle. Peut-être finirais-tu par en sortir vainqueur, mais cette victoire serait pire qu’une défaite car entre-temps tu te serais attiré bien des rancunes.

Agis avec tes amis comme s’ils devaient un jour devenir tes ennemis.

Dans une communauté d’intérêt, il y a danger dès qu’un membre devient trop puissant.

Tout ce que tu peux régler pacifiquement, n’essaie pas de le régler par la guerre ou par un procès.

Le centre vaut toujours mieux que les extrêmes.

L’homme heureux est celui qui reste à égale distance de tous les partis.

Quand un parti est nombreux et puissant, même si tu n’en es pas, n’en dit jamais de mal.

Méfie toi de tout ce vers quoi t’entraînent tes sentiments.

Un seul accès de violence nuit plus à ta réputation que toutes tes vertus ne peuvent l’élever.

Réfléchis avant d’agir et aussi de parler. Car s’il y a peu de chances qu’on déforme en bien ce que tu as dit ou fait, sois convaincu en revanche qu’on le déformera en mal.