lundi 17 avril 2017

Nelson Mandela (1918-2013)

Nelson Mandela
Nelson Rolihlahla Mandela, dit Nelson Mandela, est un homme politique et un chef d'Etat d'Afrique du Sud qui fut l'un des dirigeants historiques de la lutte contre le système politique d'apartheid avant de devenir président de la République d'Afrique du Sud de 1994 à 1999, à la suite des premières élections nationales non raciales de l'histoire du pays.

Nelson Rolihlahla Mandela ("Madiba", de son nom tribal) est né le 18 juillet 1918 à Mvezo, un petit village du Transkei (actuel Cap-Oriental, Afrique du Sud). A l'âge de sept ans il entre à l'école méthodiste de Healdtown, où son institutrice lui donne le prénom anglais de Nelson, pratique habituelle à l'époque lorsqu'un noir africain entamait des études.

À seize ans, Nelson Mandela est initié pour devenir un homme selon la coutume Xhosa. Il part ensuite poursuivre ses études dans un établissement anglais renommé, le Clarkebury Institute. Élève doué, il obtient son brevet scolaire en deux ans au lieu de trois.

En 1937, il intègre le lycée de Fort Beaufort puis l'année suivante la très élitiste université anglaise de Fort Hare, sorte de Cambridge local destiné à former les futurs cadres administratifs d'Afrique du Sud. C'est ici que Nelson Mandela prend véritablement conscience de la situation faite aux noirs dans leur propre pays. Désigné représentant du Conseil des étudiants, il y commence ses premiers combats contre l'administration blanche toute puissante, ce qui lui vaut d'être exclu de l'université.

Nelson Mandela poursuit ses études à l'université de Witwatersrand jusqu'à l'obtention d'une Licence de Droit en 1942. Pendant cette période, il fait la connaissance de deux militants du Congrès National Africain (ANC, membre de l'Internationale Socialiste) et du Parti Communiste Sud-Africain (SACP), Gaur Radebe et Nat Bregman, qui l'introduisent dans la mouvance anti-apartheid.

Nelson Mandela ne cessera dès lors de lutter pour la libération de son peuple. En 1943, il participe à sa première manifestation, puis adhère à l'ANC et co-fonde en 1944 la Ligue de la Jeunesse de l'ANC. En 1948, le Parti National Afrikaner remporte les élections. Le pays s'engage dans une intense politique d'apartheid. L'ANC risposte et se transforme en grande organisation politique. Après le vote d'une loi interdisant le communisme, l'ANC et le SACP feront alliance, modifiant ainsi le rapport des forces politiques du pays.

Nelson Mandela

En 1952, la campagne de désobéissance civile incitant les noirs à ne pas respecter les lois racistes connaît un grand succès. Nelson Mandela, devenu avocat des Noirs en butte à l'injustice des règles administratives, est arrêté par la police le 30 juillet 1952 et condamné à neuf mois de travaux forcés, mais la sentence reste suspendue. En 1955, il participe à la rédaction de la Charte de la liberté dont l'objectif est de lutter contre la ségrégation raciale et l'apartheid. Il voyage en Afrique et au Royaume-Uni.

En décembre 1956, il est arrêté avec 150 militants de l'ANC et accusé de trahison mais tous seront acquittés après un long procès en 1961. Après le massacre de Sharpeville en 1960 qui voit la police sud-africaine tirer sur la foule et tuer 69 manifestants, le Congrès National Africain est officiellement interdit en Afrique du Sud. Nelson Mandela crée alors un mouvement armé clandestin baptisé "Umkhonto we Sizwe" (Lance de la Nation), dont il devient le commandant en chef. Il est arrêté en 1962 et condamné à cinq ans de prison pour avoir quitté le territoire sans autorisation et incité à la grève. L'année suivante, il est inculpé de sabotage et haute trahison, condamné en 1964 avec sept autres militants à la prison à perpétuité et incarcéré sur l'îlot-bagne de Robben Island, au large du Cap.

Nelson Mandela: le prisonnier politique le plus célèbre du monde
 
Le détenu numéro 46664 croupit en prison pendant plus de 26 ans, jusqu'en février 1990, après avoir toutefois bénéficié d'un régime de résidence surveillée à partir de 1988. Il devient au fil des ans le prisonnier politique le plus célèbre du monde. À sa libération, il prend la tête de l'ANC (redevenu en 1990 parti politique autorisé) et entreprend des négociations avec le gouvernement blanc de Frederik de Klerk qui aboutissent à la fin de la politique d'apartheid et à des élections générales au suffrage universel. Ce travail commun contre le racisme et pour l'établissement de la démocratie dans le pays, malgré les oppositions et les violences, vaudra au deux hommes le Prix Nobel de la Paix 1993.

Nelson Mandela est élu le 27 avril 1994, après la victoire de l'ANC qui obtient 62,65% des voix. Sa prestation de serment le 10 mai 1994, devant 180 délégations étrangères et de nombreux chefs d'Etat du monde entier marque le retour de l'Afrique du Sud dans le concert des nations. La date du 27 avril devient le "Jour de la Liberté", désormais jour férié national.

Nelson Mandela - Statue de bronze commémorant la Marche pour la Liberté de 1990- Prison de Groot Drakenstein, Paarl

Nelson Mandela devient le premier président noir d'Afrique du Sud, fonction qu'il occupe jusqu'en 1999 avec deux vice-présidents à ses côtés, le noir Thabo Mbeki et le blanc Frederik de Klerk, et un gouvernement d'union nationale composé de l'ANC, du Parti National Afrikaner et du parti zoulou Inkhata. Son but est de bâtir une "nation arc-en-ciel en paix avec elle-même et le monde". Il crée la commission "Vérité et réconciliation", présidée par l'archevêque anglican et prix Nobel de la Paix Desmond Tutu, afin de juger des exactions et des crimes commis pendant l'apartheid.

En 1999, il ne se représente pas pour un second mandat et laisse Thabo Mbeki, déjà président de l'ANC depuis 1997, lui succèder à la présidence de l'Afrique du Sud. Il crée à Johannesburg la Fondation Nelson Mandela afin de continuer le combat pour les valeurs qui lui tiennent à coeur mais abandonne la vie politique, se contentant d'être médiateur dans diverses négociations internationales de paix, comme entre autres au Burundi en 2000. Personnalité écoutée, notamment par les chefs d'Etat africains, il se consacre également à la lutte contre le Sida.

Retiré de la vie publique depuis 2004, Nelson Mandela est aujourd'hui devenu comme le Mahatma Gandhi ou Martin Luther King une conscience universelle et une icône mondiale de la liberté et de la paix. Mais, déjà opéré d'un cancer de la prostate en 2001, sa santé décline progressivement et il apparaît moins en public.

L'autobiographie de Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, (1995), raconte en détail tout son parcours, de son enfance à son accession au pouvoir en passant par son engagement politique et ses longues années de prison.



Nelson Mandela


La pensée de Nelson Mandela

Inspirations : de la résistance non violente à la lutte armée

Les méthodes non violentes de Gandhi avaient inspiré Nelson Mandela. Il continue à lui rendre hommage des années plus tard en se rendant, en 1990, à New Delhi, puis, en janvier 2007, pour le centième anniversaire de l'introduction de la satyagraha en Afrique du Sud. Nelson Mandela, dans un essai sur Gandhi, explique l'influence de la pensée gandhienne et son influence sur sa politique en Afrique du sud: "Il cherche un ordre économique, une alternative au capitalisme et au communisme, et trouve cela dans la sarvodaya basée sur la non-violence (ahimsa). Il rejette la survie du plus apte de Darwin, le laissez-faire d'Adam Smith et la thèse de Karl Marx sur l'antagonisme naturel entre le capital et le travail, et se concentre sur l'interdépendance entre les deux. Il croit en la capacité humaine de changer et utilise la satyagraha contre l'oppresseur, non pour le détruire, mais pour le transformer, afin qu'il cesse son oppression et rejoigne l'opprimé dans la recherche de la vérité. Nous, en Afrique du Sud, avons établi notre nouvelle démocratie de manière relativement pacifique sur la base de ces pensées, que nous ayons été influencés ou non directement par Gandhi."

L'absence de résultats de la lutte non violente et le massacre de Sharpeville font passer Mandela à la lutte armée, après qu'il eut essayé de suivre la stratégie gandhienne aussi longtemps qu'il le pouvait. Le succès de la révolution cubaine et les ouvrages de Che Guevara qu'il a lus l'inspirent, et il admire le personnage. En 1991, lors d'une visite à La Havane, Mandela dit que "les exploits de Che Guevara dans notre continent étaient d'une telle ampleur qu'aucune prison ou censure ne pouvait nous les cacher. La vie du Che est une inspiration pour tous les êtres humains qui aiment la liberté. Nous honorerons toujours sa mémoire."

Le pouvoir du dialogue et de la réconciliation

"Etre libres, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres."

Cependant, alors que la violence entre le régime de l'apartheid et l'ANC fait de nombreuses victimes, Nelson Mandela, alors en prison, arrive à une autre conclusion que l'extension de la lutte armée pour faire sortir le pays de l'ornière, est le dialogue et la négociation: "Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé."

Pendant une réunion capitale entre l’ANC et les généraux retraités de la South African Defence Force et des services de renseignement, Nelson Mandela déclare: "si vous voulez la guerre, je dois admettre honnêtement que nous ne pourrons pas vous affronter sur les champs de bataille. Nous n’en avons pas les moyens. La lutte sera longue et âpre, beaucoup mourront, le pays pourrait finir en cendres. Mais n’oubliez pas deux choses. Vous ne pouvez pas gagner en raison de notre nombre: impossible de nous tuer tous. Et vous ne pouvez pas gagner en raison de la communauté internationale. Elle se ralliera à nous et nous soutiendra".

Nelson Mandela et la Liberté
Pour Mandela, la liberté nouvelle ne doit pas se faire aux dépens de l'ancien oppresseur, autrement cette liberté ne servirait à rien: "Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu'un d'autre de sa liberté. L'opprimé et l'oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité."

C'est la garantie donnée aux Blancs qu'ils ne deviendront pas à leur tour opprimés une fois que la majorité noire aura pris le pouvoir qui permet aux négociations d'aboutir. 

"La vérité, c’est que nous ne sommes pas encore libres; nous avons seulement atteint la liberté d’être libres, le droit de ne pas être opprimés […]. Car être libres, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes;  c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres."




Ubuntu, "nous sommes les autres"

Nelson Mandela adhère à l'éthique et la philosophie humaniste africaine d'Ubuntu, avec laquelle il a été élevé. Ce mot des langues bantoues non traduisibles directement, exprime la conscience du rapport entre l'individu et la communauté et est souvent résumé par Mandela avec le proverbe zoulou "qu'un individu est un individu à cause des autres individus" ou comme défini par Desmond Tutu, "mon humanité est inextricablement liée à ce qu'est la vôtre". Cette notion de fraternité implique compassion et ouverture d'esprit et s'oppose au narcissisme et à l'individualisme.

"C'est tout cela l'esprit d'Ubuntu. Ubuntu ne signifie pas que les gens ne doivent pas s'occuper d'eux-mêmes. La question est donc, est-ce que tu vas faire cela de façon à développer la communauté autour de toi et permettre de l'améliorer ? Ce sont les choses importantes dans la vie. Et si on peut faire cela, tu as fait quelque chose de très important qui sera apprécié."

Ubuntu a marqué la constitution de 1993 et la loi fondamentale de 1995 sur la promotion de l’unité nationale et de la réconciliation. Quand il a créé la ligue de jeunesse de l'ANC en 1944, le manifeste du mouvement souligne que, "à l'inverse de l'homme blanc, l'Africain voit l'univers comme un tout organique qui progresse vers l'harmonie, où les parties individuelles existent seulement comme des aspects de l'unité universelle."

Ubuntu est considéré par Nelson Mandela comme la philosophie d'aider les autres mais aussi de voir le meilleur en eux, principe qu'il appliquera tout au long de sa vie: "les gens sont des êtres humains, produits par la société dans laquelle ils vivent. Vous encouragez les gens en voyant ce qui est bon en eux".

Lutte contre la ségrégation raciale, l'oppression et la pauvreté

Toujours opposé à la domination d'une ethnie sur une autre, Nelson Mandela condamne en 2001 certaines personnalités noires qui font des remarques racistes sur la minorités des indiens, et s'inquiète de la "polarisation raciale" de la politique qui provoque la peur des minorités. Il condamne également les émeutes contre les immigrés qui ont lieu dans tout le pays en 2008: "Rappelez-vous l'horreur de laquelle nous venons ; n'oubliez jamais la grandeur d'une nation qui a réussi à vaincre ses divisions et à arriver où elle est ; et ne vous laissez jamais à nouveau entraîner dans cette division destructrice, quels qu'en soient les enjeux."

Pour Nelson Mandela, l'oppression découle du racisme: "Un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, des préjugés et de l'étroitesse d'esprit."

Il n'hésite pas à comparer l'injustice de la pauvreté et des inégalités à l'apartheid: "La pauvreté massive et les inégalités obscènes sont des fléaux de notre époque qui ont leur place à côté de l'esclavage et de l'apartheid." Lors d'un discours pour la réception du prix Ambassadeur de la conscience remis par Amnesty International, Nelson Mandela déclare que "vaincre la pauvreté n'est pas un geste de charité. C'est un acte de justice".


Citations de Nelson Mandela

"En faisant scintiller notre lumière, nous offrons aux autres la possibilité d'en faire autant."
Extrait du Discours d'investiture - 10 Mai 1994

"Etre libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres."
Extrait de Un long chemin vers la liberté

"Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé."
Extrait de Un Long Chemin vers la liberté

"Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu'un d'autre de sa liberté. L'opprimé et l'oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité."
Extrait de Un long chemin vers la liberté

"Un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, des préjugés et de l'étroitesse d'esprit."
Extrait de Un long Chemin vers la liberté

"Aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès."
Extrait du Discours d'investiture - 10 Mai 1994

"Nous ne sommes pas encore libres, nous avons seulement atteint la liberté d'être libres."
  

dimanche 16 avril 2017

Le Taj Mahal, Agra, Inde

Le complexe du Taj Mahal est un mausolée construit de 1631 à 1648. Inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1983, il a été désigné comme une des sept nouvelles merveilles du monde le 7 juillet 2007.

Le Taj Mahal, la perle blanche de l'Inde

A l’origine de cette magnifique construction, une histoire d’amour:  Celle de Mumtaz Mahal, seconde femme de l'empereur moghol Shah Jahan, morte en 1631 à 38 ans en accouchant de son quatorzième enfant. Par amour pour cette femme, l’empereur fit mener à bien ce projet insensé, lui offrir le plus beau des mausolées. L’édifice devait être une porte ouverte sur le Paradis. Parmi les 20 000 personnes qui ont travaillé sur le chantier, on trouve des maîtres artisans venant d'Europe et d'Asie centrale. 

Les travaux débutent en 1631 pour ne s'achever que 17 ans plus tard . Le Taj Mahal est situé dans la ville d'Agra localisée au nord de l'Inde, au bord de la rivière Jamuna dans l’Etat de l’Uttar Pradesh. Cette particularité dans le tracé de la rivière a son importance car l'empereur musulman peut construire, à côté du tombeau, une mosquée orientée selon les règles du culte. 

Le Taj Mahal - Détail de la façade


Décorations intérieures
Le Taj Mahal est construit en utilisant des matériaux provenant de diverses régions de l'Inde et du reste de l'Asie. Plus de 1 000 éléphants sont employés pour transporter les matériaux de construction durant l'édification. Le marbre blanc est extrait du Rajasthan, le jaspe vient du Panjâb, la turquoise et la malachite du Tibet, le lapis-lazuli du Sri Lanka, le corail de la mer Rouge, la cornaline de Perse et du Yémen, l'onyx du Deccan et de Perse, les grenats du Gange et du Boundelkhand, l'agate du Yémen et de Jaisalmer, le cristal de roche de l'Himalaya. En tout, 28 types de pierres fines ou ornementales polychromes ont été utilisés pour composer les motifs de marqueterie incrustés dans le marbre blanc.

Le Taj Mahal est une des plus belles constructions humaines jamais réalisées, on le baptise de divers noms tels que  "la vision matérielle de l'amour", "le rêve de marbre", "le noble tribut à la grâce de la féminité indienne" ou encore "la resplendissante et immortelle larme versée sur la joue du temps".


Mais avant tout cette construction exceptionnelle a été menée par un empereur musulman sur une terre hindoue, et si l'humanité s'accorde à admirer cette œuvre  c'est peut être parce que l'amour, valeur universelle à la différence de la religion, en est l'inspiratrice. 

Cependant l’empereur ne peut profiter longtemps de sa création puisqu’en 1658, il est jeté en prison par son propre fils, avant de mourir en 1666. Il est inhumé dans le Taj Mahal, au côté de sa femme adorée. La légende dit qu’il désirait se faire construire un mausolée identique juste en face,  de l’autre côté de la rivière. Le sien aurait été recouvert de marbre noir.

Le Taj Mahal est accessible par trois portes : celle de l’Ouest, du Sud et de l’Est, donnant toutes les trois sur un porche d'entrée majestueux, fait de marbre et de grès rouge, où sont incrustés des versets du Coran. C’est après avoir dépassé cette ultime étape que l’on se retrouve face au paysage le plus célèbre du Taj Mahal : celui du Mausolée dans le prolongement de ses jardins ornementaux faisant la part belle aux jets d’eau.

Le Taj Mahal - Le porche d'entrée


Qui n'a pas écrit sur le Taj Mahal ? Il faudrait le voir au clair de lune ou aux heures si brèves des embrasements indiens de l'aube et du crépuscule, puis s'en aller, se taire, emporter son image dans son cœur. Cela suffirait. Parler de lui, comme le reconnaît Jean-Paul Roux c'est aborder tous les sujets. La grandeur et la puissance de l'Empire des Grands Moghols, l'amour, la philosophie et la mystique, la symbolique, la prouesse technique, le miracle esthétique, la science mathématique, la quête des influences, les paradoxes, tout cela a concouru à cette réalisation unique. Eût-il manqué une seule de ces choses, c'eût été sans doute un chef-d'œuvre. Toutes réunies, elles font de lui peut-être le plus beau monument du monde.

Naissance d'un chef-d'œuvre

"La grandeur des Grands Moghols, c'est celle de cet empire que les descendants de Tamerlan, les Timourides, ont fondé en Inde en 1525, l'une des grandes formations politiques, économiques et culturelles de l'histoire, qui est à son zénith et va, à la veille de sa décadence, au tournant de l'an 1700, unifier presque entièrement le sous-continent indien.

L'amour, c'est celui de l'empereur Chah Djahan (1628-1658) pour Adjuma Banu Begum, dite Mumtaz Mahal, « l'Élue du palais », l'épouse tant aimée qui lui donna dix, douze, quatorze enfants, on ne sait, qui mourut en couches, pour qui il l'a fait construire et sur lequel, emprisonné par son fils dans le palais d'Agra, il jeta un dernier regard avant de mourir.

La prouesse technique, c'est d'avoir réalisé dans un paysage des plus ingrats un jardin luxuriant d'arbres et de fleurs parmi lesquels courent les écureuils ; d'avoir soutenu la falaise friable qui domine la rivière Yamuna ; d'avoir enfoncé des piles dans une terre gorgée d'humidité pour porter cette énorme masse architecturale ; d'avoir transporté des tonnes de marbre blanc du Radjastan ; d'avoir fait travailler pendant vingt-deux ans quelque vingt mille ouvriers…

Le miracle esthétique, c'est qu'un monument si puissant soit tout de grâce et de féminité, qu'il marie la force et la délicatesse, que sa lourdeur, presque offensante dans la lumière crue du jour, se transforme aux heures bleues en une telle légèreté qu'il semble devenu immatériel, ne plus poser sur le sol, en quelque sorte danser.

La philosophie, c'est celle du platonisme qui inspire cette forme pyramidale et le dessin de ces triangles imaginaires dont nous allons parler, figures idéales et symboles du feu, disait le maître grec, non du feu de l'enfer, mais de celui de l'âme purifiée par l'amour. C'est la sublimation de la mort dans la beauté pure, d'une mort qui n'est plus, comme dans les cimetières musulmans habituels, une attente de la résurrection dans un lieu où le corps est abandonné, mais qui a déjà conduit dans l'au-delà, dans un monde accompli, dans l'éden où coulent les eaux vives. Les Timourides n'ont-ils pas cette idée récurrente que leurs princes, dès leur décès, deviennent les « habitants du Paradis » ? Tamerlan porta ce titre posthume et, sur la tombe du fondateur de l'Empire, à Kaboul, on écrivit en 1604 : « Le paradis est la demeure éternelle de Babur, l'Empereur ». Il eut été inutile de le proclamer au Taj Mahal : Tout l'affirme.

Intérieur du Taj Mahal

Le symbolisme, c'est les deux visions de l'univers qu'il impose, la première celle, assez commune en architecture, mais magistralement exprimée ici, du monde constitué par un plan carré, la terre, un cube que couronne une voûte, le ciel, et quatre colonnes situées aux Orients, supports du ciel ; dans cette architecture, ce sont respectivement la terrasse, le mausolée et son dôme, les quatre minarets d'angle ; la seconde, celle, bien plus rare, de la sphère céleste (ou terrestre ?), moins apparente, mais qui s'impose irrésistiblement quand on contemple le dôme bulbeux de l'édifice qui semble circonscrire un globe presque parfait, légèrement aplani aux pôles, ou l'édifice lui-même qui pourrait s'inscrire dans un second globe exactement semblable au premier.

La mathématique, c'est cette étude si précise des proportions, des distances entre les divers bâtiments et entre les divers organes de chacun d'entre eux qui dessine des encadrements bien réels et toujours variés, qui fait naître des perspectives ; ces calculs qui pourraient rendre l'architecture froide, intellectuelle, abstraite, alors qu'elle est chaleureuse, charnelle, concrète, donnent au monument sa sobriété et son parfait équilibre.

Le Taj Mahal - Mosquée

Le Taj Mahal - Intérieur de la mosquée
 
Quant aux paradoxes, ils abondent. C'en est un que l'érection du plus somptueux des mausolées dans un pays où l'on incinère les morts, dans une civilisation musulmane qui, en théorie au moins, ordonne que le défunt soit enterré sous une dalle anépigraphiée ; c'en sont d'autres que le plus prestigieux des tombeaux soit fait pour une femme dans des civilisations où la femme n'occupe pas, il faut bien le dire, le plus haut rang ; qu'un monument qui fait fi des traditions indiennes soit le complet aboutissement du génie indien, et qui, bravant les interdits de l'art islamique, exprime entièrement celui-ci ; que cette synthèse si réussie d'éléments différents, souvent opposés, puisés un peu partout, localement certes, mais aussi en Iran, en Asie centrale, chez les Turcs, en Occident chrétien, et tellement en Occident chrétien qu'on a longtemps cru, avec le P. Manrique, que c'était l'œuvre d'un Européen.

Plans, proportions, décors : le triomphe de la vie

Il a été mis en chantier en 1632 sur la falaise dominant la rive gauche de la Yamuna, non au centre du parc, comme l'usage le veut, mais à son extrémité septentrionale, parce qu'un pont devait franchir la rivière et mener à un second mausolée, celui destiné à l'empereur, qui aurait été construit, dit-on, en marbre noir, et n'a jamais vu le jour.

Un grand mur de clôture délimite un jardin de 305 mètres de côté divisé en quatre secteurs selon la mode iranienne des « quatre jardins », les tchahar bagh. On y accède par un porche monumental en grès rouge, éclairé de bandes et de cordons en marbre blanc, qui faisait déjà béer d'admiration le voyageur français Bernier et quelques-uns de ses compatriotes. De ce porche, part un plan d'eau assez étroit, flanqué d'allées, qui forme une sorte de voie triomphale entraînant irrésistiblement les regards. À mi-parcours, un second canal, perpendiculaire au premier, le coupe pour former un bassin carré, sans briser la perspective. Le jardin est prolongé au nord par une surface rectangulaire de même largeur et de 275 mètres de profondeur aménagée pour recevoir les constructions : Au centre le mausolée de marbre blanc, à droite et à gauche, en grès rose, sous trois coupoles, une mosquée et une fausse mosquée, dite réplique ou djawab, en quoi on a voulu voir une maison d'hôtes, mais qui n'existe que par souci de symétrie, par pure esthétique.

Le Taj Mahal - Tombeau intérieur
Le mausolée est érigé sur une terrasse fort basse de 7 m d'élévation et de 95,16 m de côté, rythmée par des niches aveugles, plutôt un présentoir qu'un soubassement. On y accède par un double escalier dissimulé par une saillie imperceptible du mur, ce qui fait que la ligne verticale de la maçonnerie ne semble pas interrompue. Formant un octogone ou, plutôt un cube à pans rabattus, il mesure 58,60 mètres de côté et une hauteur de 61,10 mètres et ses quatre faces sont identiques : Elles portent au centre une grande voûte (iwan) à stalactites et à fond plat, peu profonde, que flanquent deux autres voûtes identiques, mais plus petites et superposées qui se retrouvent sur les plans coupés. La partie centrale de la couverture est occupée par un dôme outrepassé de 18 mètres de diamètre à la base, et les bas-côtés, par quatre petits dômes, ajourés et à arcades polylobées, copies évidentes des chatri de l'art indien. Ces derniers abritent huit petits appartements répartis sur deux étages, les « huit paradis » de l'Iran. Sur la terrasse, aux quatre angles, sont disposés quatre minarets tronconiques hauts de 42 mètres, au fût coupé par deux galeries et surmonté d'une troisième qui supporte un chatri semblable à ceux de la couverture du mausolée.

L'aspect pyramidal qui s'impose d'emblée est renforcé par les lignes invisibles que nous avons évoquées ci-dessus. Deux partent du haut des minarets et se rejoignent au centre des iwan ; deux autres, du sommet du dôme principal, sont tangentes aux dômes des chatri et aboutissent aux extrémités du socle. Elles dessinent trois triangles sécants inversés, l'un dirigé vers le haut, les deux autres vers le bas qui ramènent, après l'élan vers le ciel, au monde d'ici-bas, au paradis terrestre.

Le Taj Mahal - Vue de côté

La salle sépulcrale, octogonale, contient les deux cénotaphes de Chah Djahan et de Mumtaz Mahal. Elle est entièrement recouverte d'un admirable décor tapissant, véritable travail de joaillerie. On retrouve ce décor, à peine moins éclatant, sur tous les murs extérieurs de l'édifice. Fait d'incrustations de pierres dures et semi-précieuses, de marbre coloré, de bandeaux épigraphiques en noir et de motifs floraux à bas relief, avec modelé, non en méplat comme le voudrait l'esthétique islamique, il est si fin, si délicat qu'il apparaît, vu de loin, comme une ombre légère, qu'il se devine, puis se précise au fur et à mesure que l'on approche, et qu'il ne nuit donc pas au tracé de la ligne architecturale. Un motif particulier doit retenir l'attention : le lambris qui court en continu présentant des plantes en fleurs jaillissant de mottes de terres, témoignage supplémentaire, s'il le fallait, de ce qu'affirme si puissamment le Taj Mahal, le triomphe de la vie."

Texte de Jean-Paul Roux  -  Février 2003
Directeur de recherche honoraire au CNRS Ancien professeur titulaire de la section d'art islamique à l'École du Louvre