Les religions monothéistes supposent la foi: foi en la Révélation, en la Résurrection, en la dictée du Coran par l'ange Gabriel à Mohamed.
Dans sa première épître aux Corinthiens, Paul insiste sur le "scandale" que représente la foi au Christ pour la raison (1, 23) et il annonce le credo "quia absurdum", je crois parce que c'est absurde: la raison n'a pas les capacités de connaître les mystères divins, et ce qui lui semble absurde est la vérité la plus profonde. Dans un passage sublime de cette même épître, Paul exalte l'amour - ou la charité entendue dans le sens originaire du mot, ce qui vient de cœur: "Quand j'aurais la plénitude de la foi, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien" (13,2).
Pascal reprendra l'idée qu'il y a des vérités du cœur inaccessibles à la raison "Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas".
Le divorce entre foi et raison a été accentué par les premiers conciles chrétiens établissant le dogme de la Trinité, totalement absurde au regard de la logique classique. Augustin (354-430) a insiste a son tour sur le caractère irréductible et inaccessible de la foi à la raison.
Dans sa première épître aux Corinthiens, Paul insiste sur le "scandale" que représente la foi au Christ pour la raison (1, 23) et il annonce le credo "quia absurdum", je crois parce que c'est absurde: la raison n'a pas les capacités de connaître les mystères divins, et ce qui lui semble absurde est la vérité la plus profonde. Dans un passage sublime de cette même épître, Paul exalte l'amour - ou la charité entendue dans le sens originaire du mot, ce qui vient de cœur: "Quand j'aurais la plénitude de la foi, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien" (13,2).
Pascal reprendra l'idée qu'il y a des vérités du cœur inaccessibles à la raison "Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas".
Le divorce entre foi et raison a été accentué par les premiers conciles chrétiens établissant le dogme de la Trinité, totalement absurde au regard de la logique classique. Augustin (354-430) a insiste a son tour sur le caractère irréductible et inaccessible de la foi à la raison.
Saline Royale d'Arc et Senans - Aquarelle de Xavier Gaugler |
Au Moyen-âge, les monothéismes ont certes tenté d'introduire la raison dans la religion comme appui, voire comme confirmation. Ce fut le cas du musulman Averroès et du juif Maïmonide au XIIème siècle, et du chrétien Thomas d'Aquin qui, au XIIIème siècle, a voulu montrer que les dogmes ne sont pas impossibles rationnellement et qu'il existe une théologie naturelle où la raison accède par ses propres moyens aux vérités de la foi, comme des preuves "rationnelles" de l'existence de Dieu à partir de l'évidence sensible.
Cette belle cathédrale théologico-rationnelle se fragilise à partir de la Renaissance, quand se développent une rationalité autonome inspirée des Grecs, puis la science moderne qui, à partir de Galilée et Copernic, contredit la naïve vision du monde donnée par la Bible.
Au XVIIème siècle, Pascal vit intensément la relation à la fois antagoniste et complémentaire entre la raison et la foi. Il utilise les moyens de la rationalité scientifique qui n'est pas seulement fondée sur une construction logique, mais aussi sur l'accord entre la théorie et les expériences sensibles. Mais il comprend que l'existence de Dieu ne peut être prouvée rationnellement et revient au credo quia absurdum. Faute de pouvoir démontrer rationnellement l'existence de Dieu, il fait le pari de cette existence. Il dépasse la raison en utilisant les moyens de la rationalité scientifique qui n'est pas seulement fondée sur une construction logique, mais aussi sur l'accord entre la théorie et les expériences sensibles.
Pascal veut montrer rationnellement les limites de la raison, son incapacité à se hisser aux grands mystères, et son insuffisance par rapport au cœur, c'est-à-dire l'amour. Il pousse à l'extrême le corps à corps entre la raison et la foi, à une lutte intime dans une dialogique où elles sont à la fois ennemies et inséparables.
Malgré le fossé qui les sépare, foi et raison peuvent néanmoins coexister: il y a bien des savants qui sont croyants ! On ne peut pas dire que la foi chasse la raison, ni que la raison suffit à chasser la foi.
La dialogique entre foi et raison existe dans d'autres voies que les religions révélées. Ainsi, Spinoza élimine le Dieu créateur extérieur au monde, estimant que la créativité est dans la nature qui s'auto-crée, s'auto-développe. La raison ne peut, certes, totalement expliquer cette créativité, mais la connaissance rationnelle est capable de la reconnaître. De même, dans une conception laïcisée de l'humanité et du monde, on peut vivre une foi dans les valeurs, de fraternité, d'amour, sans support des religions révélées. Mais on ne peut pas rationnellement prouver qu'il faut aimer, ni être absolument assuré de la victoire de l'amour. Parfois on croit même servir l'amour en faisant le contraire...
La foi dans la raison ne peut être totalement assumée, dans le sens où la raison ne peut pas tout expliquer. Mais on peut avoir une foi dans les vertus de la raison par rapport aux délires et aux illusions. Il y a l'inconnu, le mystère, l'aventure humaine qui est elle-même inconnue et pour laquelle nous avons besoin de beaucoup de raison et de beaucoup de foi.
Source: Le Monde des Religions n°20, Novembre-Décembre 2006
Edgar Morin, philosophe, sociologue et anthropologue