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Les éditions du Seuil – Points Sciences |
Résumé de lecture
Un objectif ancien : améliorer l’espèce
L’humanité n’est pas seulement responsable de sa transformation morale ou spirituelle, de son cheminement vers une civilisation meilleure, elle l’est aussi de son devenir biologique. Ce livre veut faire le point, provisoire bien sur, sur cette science nouvelle qu’est la génétique. Il cherche à se débarrasser d’idées reçues, c’est un premier pas vers la connaissance.
Chapitre premier, le processus élémentaire : faire un enfant
Le point de départ de toute réflexion sur la génétique est l’évidence d’une certaine ressemblance entre les enfants et les parents. La transmission de la vie s’accompagne de la transmission de certains caractères. Il n’y a pas reproduction. Un être sexué ne peut se reproduire. L’enfant de deux personnes est une création unique définitivement.
Le réel est unique, mais les possibles sont infiniment nombreux. Selon les lois de Mendel, chaque gène paternel ou maternel à la même probabilité (50%) d’être choisi. A l’état de nos connaissances, nous appelons cette probabilité le hasard.
Il faut distinguer le génotype et le phénotype.
Le phénotype correspond à l’apparence de l’individu, ou l’ensemble des caractéristiques que l’on peut mesurer ou qualifier chez lui. Le génotype correspond à la collection de gènes dont a été doté l’individu lors de sa conception. L’étude de la transmission des caractères consiste à préciser l’interaction entre génotype et phénotype en tenant compte du rôle du milieu. Lorsqu’il s’agit d’un humain, il est difficile de réduire l’être réalisé aux règles qui gouvernaient son développement. Les multiples événements qui ont réalisé sont phénotype font autant partie de son essence que les gènes initiateurs. Le génotype, c’est la partition, le phénotype c’est la symphonie que nous écoutons, marquée par la personnalité du chef d’orchestre selon les exécutants.
Chapitre deux, le processus collectif : structure et succession des générations
De nombreuses études ont permis de dresser des cartes du monde où les lignes qui habituellement joignent les points de même altitude (lignes de niveau) de même pluviométrie, joignent les points où on a trouvé les mêmes fréquences pour tel ou tel gène. Nous ne pouvons observer que des phénotypes, alors que la réalité profonde dont dépendent les générations futures, concernent les génotypes. Le langage mathématique permet de dégager une réalité que l’observation seule ne dévoile pas.
Progressivement la composition d’un groupe génétique se transforme au hasard, la population évolue, mais ce processus est d’une extrême lenteur. Dans un groupe de 100 personnes, il faudrait quelques millénaires pour réaliser un changement important. Les migrations représentent un élément essentiel des transformations des populations. Il est très peu probable qu’une population humaine reste isolée pendant plusieurs millénaires. Chaque immigrant arrivant dans une population "isolée" apporte des "gènes frais" qui se répandent dans le groupe et remplacent ceux que la dérive avait éliminés.
On a vu que les générations des enfants à partir de la génération des parents peuvent êtres vues comme une série de loteries. Chaque enfant, pour chaque caractère, reçoit deux gènes tirés au hasard. Mais ce tirage ne donne pas des chances égales à tous les gènes parentaux. Si un gène entraîne une diminution de la fertilité, ou une moindre résistance aux maladies, l’individu qui le porte sera moins représenté dans la génération suivante. C’est la sélection naturelle. Le patrimoine génétique collectif constitue la richesse biologique d’un groupe, son bien essentiel et véritablement durable. Pouvons-nous espérer le transformer volontairement ?
S’opposent alors l’eugénisme et la génétique des populations.
Chapitre trois, l’avenir de notre patrimoine génétique : les dangers et les craintes
Une crainte vaine : l’effet dysgénique de la médecine
En soignant un enfant porteur de tares génétiques, en lui permettant de procréer, des gènes défavorables vont être transmis au lieu d’être éliminés. On appelle cela l’effet dysgénique du progrès médical. Cependant l’unité de temps ici est marquée par la procréation, c’est une génération. Nous sommes responsables du destin à long terme de notre espèce. Depuis que, devenu Homo sapiens, nous avons réagit contre les agressions extérieures en inventant des comportements adapté comme l’invention du feu ou l’emploie de peaux de bêtes, nous avons certainement empêché l’élimination d’enfants que leur dotation génétique rendait moins capables de lutter contre le froid.
Il est dans la nature même de notre espèce de vivre artificiellement. Nous n’avons jamais acceptés de subir passivement la sélection imposée par le milieu. La notion de bien ou de mal correspond à un manichéisme beaucoup trop simpliste face à la complexité du vivant. Certaines associations génétiques responsables du diabète sont "mauvaises" pour un individu trop bien nourrit, elles sont peut être "bonnes" pour le même individu qui doit supporter une famine. Comment, dans ces conditions, prétendre que l’action médicale conduit à une dégénérescence ? Cette crainte d’un effet dysgénique de la médecine est l’aspect négatif de l’espoir en l’eugénisme.
Un danger imprécis : la consanguinité
L’apparentement des conjoints implique chez les enfants l’accroissement de la proportion des caractères homozygotes. Certaines maladies sont dues à des gènes récessifs, ne manifestant leur effet néfaste qu’à l’état homozygote. L’apparenté du couple procréateur entraîne ainsi un plus grand risque de mortalité périnatale ou fœtale, donc de stérilité du couple.
Une crainte : les mutagènes dans notre environnement
Il arrive parfois pendant la réalisation d’un gamète qu’une modification, ou erreur survienne. L’héritage génétique devient différent. Il est très difficile de préciser la fréquence des mutations pour l’espèce humaine, où toute expérience est pratiquement exclue, pour des raisons éthiques ou pratiques (liées en particulier à la durée des générations). Les mutations sur des gènes récessifs ne se manifestent pas dès leur première apparition. L’évaluation est plus précise lorsqu’il s’agit de gènes dominants. La probabilité d’une mutation atteint 6% sur les centaines de milliers ou les millions de gamète émis par un individu, un nombre très important est donc porteur de mutation. Elles se produisent spontanément, au hasard. Cependant, les radiations provoquent une augmentation de la fréquence des mutations. La dose naturelle de radiation a été doublée depuis le début du XXème siècle.
Même si l’on admet que ce niveau est encore supportable, il est clair qu’un infléchissement sera nécessaire : sinon le triplement puis le quadruplement serait vite atteint.
Mutagénicité des produits chimiques
Certains produits chimiques avec lesquels nous sommes en contact pénètrent nos cellules et réagissent avec elles, modifiant la structure de nos chromosomes, introduisant donc des mutations. Comment savoir si un produit naturel ou artificiel a de tels pouvoirs ?
Notre ignorance en ce domaine est presque totale. Cette incapacité à déceler un éventuel pouvoir mutagène des substances chimiques nouvelles que nous utilisons parfois à haute dose est particulièrement grave. Devant cette carence de notre information, la seule attitude raisonnable devrait être la prudence ; il ne semble pas que cette attitude soit celle de note société.
Chapitre quatre : un concept flou : les races humaines
Dés que l’on observe un ensemble aussi complexe que l’ensemble des hommes, on ressent la nécessité de réaliser des classifications, en regroupant les individus paraissant le plus semblables. Les premières tentatives de classifications ne pouvaient que concerner "l’univers des phénotypes". Ainsi, les taxonomistes ont définis plusieurs races.
La génétique a apporté de la précision à la problématique en donnant un contenu plus objectif au concept de race: un ensemble d’individu ayant en commun une part importante de leur patrimoine génétique. La classification concerne "l’univers des génotypes".
Race et racisme
Les recherches scientifiques tentent de mettre au point des méthodes de classement des individus, permettant éventuellement de définir des groupes, des races relativement homogènes. Le racisme est une attitude d’esprit nécessairement subjective qui compare les diverses races en attribuant une "valeur" à chacune en établissant une hiérarchie. Le racisme, c'est-à-dire le sentiment d’appartenir à un groupe humain disposant d’un patrimoine biologique meilleur, est un sentiment universellement partagé. Il faut se demander ce qu’apportent la science, et principalement la génétique, à ce concept de race.
Qu’est ce que classer ?
Définie des espèces, c’est opérer des regroupements au sein de l’ensemble des individus appartenant au monde vivant. La capacité à se féconder est le critère de l’appartenance à une même espèce. Mais aucun critère de cette sorte ne peut être précisé lorsqu’il s’agit de décider si deux individus humains appartiennent ou non à la même race.
Classer les individus en race est une activité en réalité très complexe dont le résultat dépend de choix fort arbitraires. Il ne s’agit pas de nier toute valeur au résultat d’un classement, il s’agit d’être conscient de sa relativité. Le caractère spontanément pris en considération pour définir les races est celui qui est le plus facilement repéré : la couleur de la peau.
C’est un caractère évidement héréditaire soumis à un déterminisme génétique assez rigoureux mais mal connu. La couleur de la peau provient de la mélanine, un pigment présent chez les blancs, les jaunes, les noirs, à des densités très variables. Les différences constatées sont quantitatives, non qualitatives. A l’intérieur d’un même groupe, l’écart entre deux individus d’une même population peut être beaucoup plus grand que celui constaté entre les moyennes de deux groupes appartenant à des "races" distinctes.
Dans une optique mendélienne, les Blancs possèdent 8 gènes b entrainant une couleur claire, les Noirs 8 gènes n entrainant une couleur foncée. Tous les intermédiaires sont possibles, selon la valeur du nombre x de gènes b et du nombre 8-x de gènes n. On se rend compte qu’aucun classement basé sur la seule couleur ne peut avoir de sens biologique. La couleur de la peau ne correspond qu’à une part infime de notre patrimoine génétique (8 ou 10 gènes sur quelques dizaines de milliers). Les progrès de la biochimie apportent des données qui caractérisent les systèmes sanguins. Ainsi, le passage du phénotype observé au génotype est beaucoup plus aisé.
En 1900, on découvrit l’existence de 4 groupes A, B, AB et O (O étant récessif devant A ou B). En 1940 on découvrit le système Rhésus. Depuis, on a abouti à la mise en évidence de 70 systèmes sanguins, et la liste s’allonge chaque année. Ces systèmes nous permettent une comparaison des populations indépendantes des effets du milieu sur chaque individu. Ce qui distingue deux populations n’est pas le fait qu’elles possèdent ou ne possèdent pas tel gène, mais le fait que les fréquences de ce gène sont différentes. Ce n’est pas un critère par "tout ou rien ", mais un critère par "plus ou moins". Les données disponibles pour les nombreuses populations et portant sur de multiples systèmes sanguins permettent ainsi de calculer un ensemble de distances et de dresser des cartes génétiques surprenantes car les distances génétiques différent complètement des distances géographiques.
Variété des individus, variété des populations
La science ne rend pas plus facile le classement des populations. Son rôle n’est pas de fournir infailliblement des réponses claires à toutes les interrogations. A certaines questions, il ne faut pas répondre. Donner une réponse, même partielle ou imprécise à une question absurde, c’est participer à une mystification, cautionner un abus de confiance. Le classement des hommes en groupes plus ou moins homogènes que l’on pourrait appeler "races" n’a aucun sens biologique réel. Les groupes humains actuels n’ont jamais été totalement séparés durant des périodes assez longues pour qu’une différenciation génétique significative ait pu se produire.
Chapitre cinq : Evolution et adaptation
Le "monde vivant" n’est pas un monde fondamentalement différent du monde inanimé. Il est fait de la même matière, soumis aux mêmes forces, aux mêmes contraintes. C’est la dynamique même de la matière inanimée qui a provoqué l’apparition, non pas brutale, non pas éclatante comme un miracle, mais progressive, laborieuse, hésitante, de ce que nous appelons "la vie". Le nombre d’espèces répertoriées sur notre planète est de l’ordre d’un million et demi. La diversité de leurs apparences et de leurs fonctions donne l’impression d’une hétérogénéité fondamentale. Quoi de commun entre une algue et une mouette ? Entre une méduse et moi, un homme ?
L’évidence d’une parenté est pourtant aveuglante, lorsque l’on quitte les apparences externes pour les structures profondes, tant sont semblables les processus par lesquels ces organismes assurent leurs développement et leur survie. Toutes leurs cellules réalisent des transferts d’énergie au moyen de mêmes composés chimiques. Il paraît hautement improbable que ces traits aient pu se retrouver dans tous les organismes vivants, si ceux-ci n’avaient une origine commune. Avec une certitude à peu prés absolue, nous pouvons affirmer l’unité du monde vivant.
L’évolution darwinienne
En 3 Milliards d’années, la capacité de différenciation manifestée par les êtres vivants, a conduit à une prolifération d’organismes dotés de pouvoirs multiples, tous merveilleux, certains inquiétants. Ainsi, chez l’Homme, le pouvoir de prendre conscience de ses propres dons, de les multiplier et de se donner a lui-même le pouvoir de détruire toute vie. L’apport de Darwin n’est nullement l’idée que les espèces se transforment et descendent les unes les autres. Son originalité était d’expliquer l’évolution par un mécanisme précis, "la sélection naturelle". Le Darwinisme ne doit pas être confondu avec le transformisme. Le Darwinisme est l’explication de la transformation des espèces par "la lutte pour la vie" qui élimine les moins aptes et conserve les "meilleurs".
Les éleveurs parviennent à modifier les espèces animales. Dans presque toutes les populations, ceux qui parviennent à l’âge procréateur ont été choisis par "une sélection naturelle" qui a éliminé les plus faibles. Les caractères sont sélectionnés naturellement. Ils doivent donc se répandre progressivement dans la population. Celle-ci, de génération en génération se transforme, elle évolue.
Une synthèse convaincante : le néo-darwinisme
Finalement, "ce" qui évolue n’est ni l’individu, ni la collection d’individus qui constituent une population mais l’ensemble des gènes qu’ils portent. D’une génération à la suivante, cet ensemble se transforme sous l’influence de multiples événements. Les mutations (événements très rares) apportent des gènes nouveaux. Une novation peut provenir de l’entrée dans le groupe d’un gène, jusque là inconnu apporté par un immigrant provenant d’une autre population de la même espèce.
L’influence de ces nouveaux gènes peut être bénéfique ou maléfique et dépend bien-sûr du "milieu". La limitation de l’effectif du groupe entraîne une variation aléatoire des fréquences des gènes, le hasard jouant dans ce cas un rôle important : la "dérive génétique".
La façon dont les couples procréateurs se constituent peut influencer le processus de transmission des gènes. L’objectif du "néo-darwinisme" est de passer en revue ces divers facteurs, de définir leur influence sur le destin d’un gène et de préciser le rythme de la transformation des structures génétiques. La sélection naturelle ne peut qu’améliorer la situation ; le bien général est d’autant mieux servi qu’on la laisse librement opérer.
Un prolongement abusif : le darwinisme social
L’extraordinaire retentissement des théories de Darwin ne tient certainement pas à la seule qualité de sa pensée scientifique. Une société ne fait un tel accueil à une théorie nouvelle que si cette théorie contribue, même sans l’avoir cherché, à résoudre certains de ses problèmes.
Au XIXème siècle, des fortunes s’édifient grâce aux ouvriers qui reçoivent des salaires leur permettant à peine de survivre. Des enfants travaillent dans les mines et ne sont remontés qu’une fois par semaine. Les nations européennes participent à l’aventure coloniale. Elles aboutissent à la mise en tutelle de peuples entiers, considérés comme inférieurs aux peuples de race blanche dont le succès apparaît définitif.
Pour une société imprégnée d’une religion qui prêche l’amour de son prochain, une attitude aussi dominatrice peut poser problème. Lorsqu’un scientifique affirme que le progrès du monde vivant est le résultat de la "lutte contre la vie", certes, cette affirmation est fondée sur l’observation des animaux et concerne uniquement les caractéristiques biologiques liées à la survie et la procréation, mais elle est comprise immédiatement comme la justification d’un comportement de compétition. Le développement d’un darwinisme social qui consisterait à éliminer "les êtres inférieurs" ne représente nullement, malgré le terme employé pour le désigner un prolongement des constatations faites par Darwin au sujet de l’évolution du monde vivant. Il s’agit d’une réflexion tout autre, tendue vers une attitude délibérée, volontariste de sélection artificielle.
Une remise en cause radicale : le non – darwinisme
Il s’agit de mettre l’accent sur le facteur évolutif introduit par la découverte de Mendel, le hasard et de limiter autant que possible le recours au concept darwinien imprécis de "valeur sélective". Notre vision du processus de l’évolution s’en trouve profondément modifiée : le rythme de celle-ci n’est plus dicté par l’intensité des pressions sélectives, mais par la fréquence des mutations. Le premier rôle n’est plus tenu par la nécessité, mais par le hasard. Que le hasard soit introduit comme facteur explicatif, ou qu’il résulte de la complexité des déterminismes, c’est à lui que finalement nous faisons appel pour décrire l’évolution.
Illusion d’un type : réalité d’une dispersion
Le monde vivant que nous observons n’est pas un accomplissement d’une série de déterminismes qui ne pouvaient que le conduire à l’état où nous le voyons, il n’était pas nécessaire. L’arbre des espèces n’était pas pré-dessiné lors des premiers balbutiements de la vie ; les branches nouvelles qu’il peut encore produire sont imprévisibles.
Chapitre six : L’amélioration des espèces : quelle amélioration ?
Les succès de la sélection artificielle ne sont pas niables. Mais avant de nous interroger sur la transposition de cette réussite à notre propos, il faut préciser: ses objectifs et les techniques utilisées. Au XVIIIème siècle, une action systématique a été entreprise en vue d’améliorer certaines caractéristiques du bétail. Les réussites ont été nombreuses, mais on a constaté une plus grande fragilité des animaux. Les progrès du rendement des céréales après hybridation des espèces ont été spectaculaires. La sélection qu’elle soit artificielle ou naturelle porte nécessairement sur les individus, non sur les caractères. Les résultats obtenus s’accompagnent d’effets secondaires qui, à long terme, peuvent avoir beaucoup plus d’importance que les modifications volontairement réalisées. Les scientifiques disent eux-mêmes ne pas maîtriser tous les concepts utilisés.
L’héritabilité : concept central
Un caractère est "héritable" lorsqu’une certaine ressemblance est considérée entre les parents et les enfants, ou entre les individus ayant un lien parental étroit. Attention, le terme "génétique" est un mot éculé, épuisé d’avoir été prononcé par tant de bouches, écrits par tant de plumes, vidé de tous sens précis, par la diversité des concepts auxquels il a servi d’étiquette.
Les deux concepts "héritables" et "génétique" ne sont pas indépendants, mais la liaison entre eux n’est ni simple, ni claire. L’interrogation primordiale des scientifiques tient se demander quelle est la part du patrimoine génétique dans la manifestation d’un caractère. En toute rigueur, nous ne pouvons pas affirmer qu’un caractère est gouverné par 1, 2 ou n paires de gènes, mais seulement les variations de caractère.
Un caractère peut être soumis à de multiples déterminismes mettant en jeu de très nombreux gènes, mais ne présenter dans une population donnée que des variations dues à une seule paire de gènes. On se pose naturellement la question lorsque l’on étudie un caractère soumis, de toute évidence, à la fois de l’influence des patrimoines génétiques des individus et aux milieux dans lesquels ils vivent. Cette question est: quelles sont la part du génotype et la part du milieu dans les différences que nous constatons entre les individus ?
Dés qu’un phénomène est quantifié, il est toujours possible de faire subir aux mesures observées des traitements mathématiques complexes, aboutissant à l’estimation de divers paramètres. Cependant si ces paramètres n’ont pas de sens précis, les calculs qui permettent de les estimer constituent une activité rigoureusement inutile. Dans de nombreux cas, l’interaction entre le génotype et le milieu est telle que la caractéristique étudiée ne permet pas de classer les génotypes.
Un habillage mathématique ne peut donner de sens à une mesure inepte. Un généticien perturbé, un psychologue dément peuvent un jour inventer le paramètre X obtenu, pour chaque personne chargée de famille, en divisant sa taille par le tour de tête de son conjoint et en ajoutant la moyenne des QI de ses enfants. Ils peuvent donner à X un nom à consonance grecque, ou mieux, anglaise, calculer X dans de nombreuses familles, comparer les moyennes de X selon les groupes socioprofessionnels, les races ou les générations, déterminer l’héritabilité de X, etc. La débauche de calculs n’empêchera pas tous les résultats obtenus de n’avoir aucun intérêt, puisqu’ils concernent des chiffres qui ne mesurent rien.
Les interrogations et les doute
Le patrimoine génétique des variétés végétales que nous sélectionnons est-il meilleur que le patrimoine ancestral ? Lui est-il au contraire inférieur ? A cette question, aucune réponse ne peut être donnée. Les variétés cultivées actuellement sont si éloignées des caractéristiques exigées naturellement pour la reproduction qu’elles ne peuvent se perpétuer sans intervention humaine. Si un cataclysme biologique ou atomique détruisait l’Humanité, les maïs disparaîtraient simultanément.
Quant aux espèces animales, beaucoup sont arrivées à un stade de spécialisation qui met leur survie sous notre dépendance, incapables de résister seules aux moindres agressions du milieu. Pouvons-nous nous vanter d’avoir amélioré le maïs ou les chevaux alors que nous en avons fait des espèces incapables de survivre sans nous ?
Chapitre sept : Intelligence et patrimoine génétique
La plupart des sociétés craignent une décadence, voire une dégénérescence biologique. Beaucoup pense que pour le bien du groupe, il faut que les "meilleurs" participent plus que les autres à la transmission du patrimoine biologique. Il faut s’interroger sur la signification de cet eugénisme spontané. La première question est : que veut dire meilleur ? Implicitement ou non, tous les programmes d’amélioration de l’Homme visent à créer des êtres d’une intelligence supérieure.
Qu’est-ce que l’intelligence ? Le mot intelligence répond à une multitude de concepts variés. Elle peut être un ensemble de capacités, un pouvoir, une forme d’énergie dont nous ne connaissons pas la nature, mais dont nous constatons certaines manifestations comme la capacité d’abstraction, ou la capacité à adapter son comportement. Ces capacités se retrouvent aussi chez les animaux. Le Qi est un paramètre arbitrairement choisi pour représenter un objet inaccessible.
Age mental et QI
Les psychologues ont inventé de nombreux tests. Mais comment en faire la synthèse ? On peut établir une échelle faisant correspondre à chaque test l’âge auquel il est normalement réussi. En fonction des résultats d’un enfant à un ensemble de tests, on pourra alors calculer son "âge mental ". Mais l’âge mental que notre esprit saisit aisément, est une donnée unique qui ne garde qu’une faible partie de l’information. Le quotient de développement intellectuel prend en compte l’âge et le développement intellectuel. Il est égal à 100 x le quotient âge mental / âge réel.
L’instabilité et l'imprécision du QI
Le développement intellectuel est peu compatible avec l’hypothèse d’une progression continue dans le temps. Le QI est une mesure qui reflète une certaine phase du développement qui dépend pour une part très importante des événements qu’il a vécu. Toute observation perturbe, l’interaction entre l’observateur et l’observé est telle que le résultat est influencé par le comportement du psychologue, ce qu’il en attend. Les tests utilisés pour aboutir à une estimation du QI ont été étalonnés avec grand soin. Personne, cependant, ne se hasarderait à prétendre qu’ils aboutissent à une mesure exacte. Le QI est tout au moins en moyenne, un bon indicateur des chances de réussite ou des risques d’échec au cours de la scolarité.
QI et patrimoine génétique
C’est une analyse très complexe de déterminer la part du milieu et des gènes. Il faudrait étudier des "vrais jumeaux" élevés dans des milieux différents. Or ce cas est très rare. Ces études sont peu nombreuses et ne portent que sur des effectifs très faibles.
Une autre direction de recherche consiste dans l’observation des enfants adoptés, en comparant la corrélation entre les QI de ces enfants et ceux, d’une part des parents biologiques, d’autre part de leurs parents adoptifs. Ce sont des études difficiles à mener sur le terrain. Un professeur de sociologie, C. Jenks à Harvard a estimé que 45% de la variance constatée pouvait être attribuée aux effets du patrimoine génétique, 35% aux effets du milieu et 20% de l’interaction entre le génome et l’environnement.
L’inégalité des QI selon les races et les classes
Une recherche américaine prouve que les noirs ont en moyenne un QI inférieur de 15% à celui des blancs. Cet écart peut être entièrement expliqué par la différence d’environnement culturel entre les deux. Ce sont des raisonnements dépourvus de toute logique. Des remarques semblables peuvent être faites à propos des écarts constatés entre les classes sociales ou les professions. Combiné avec l’affirmation affichée comme un dogme, que le QI est déterminé pour 80% par le patrimoine génétique, on veut démontrer que les inégalités sociales sont la conséquence des inégalités génétiques contre lesquelles personne ne peut rien. Il ne s’agit que d’un nouvel avatar du déterminisme social.
Il est ridicule de persuader les professeurs que leurs patrimoines génétiques sont plus favorables que ceux des avocats ou des chirurgiens. Mais il est criminel de persuader les jardiniers ou les tapissiers que leurs dotations génétiques les placent à la limite inférieure de l’échelle intellectuelle et que leurs enfants seront marqués dés la conception par cette infériorité.
Le referendum de la Genetics Society s’est mise d’accord sur ce texte en 1975: "Il n’existe aucune preuve convaincante permettant d’affirmer qu’il y a ou qu’il n’y a pas de différence génétique appréciable de l’intelligence entre les races. Les généticiens doivent s’exprimer en s’opposant au mauvais usage de la génétique en vue d’objectifs politiques."
Recherche de la vérité ou manipulation d’opinion
Les médias tendent à diviser les scientifiques en deux groupes: Les "héréditaristes" admettant que l’intelligence est déterminée avant tout par le patrimoine génétique et les "environnementalistes" (la plupart des généticiens) prétendant que le milieu joue le plus grand rôle.
Pour conclure, on peut dire que l’activité intellectuelle nécessite un organe construit à partir d’une information génétique, et un apprentissage de cet organe au cours d’une certaine aventure humaine bien mal désignée par le mot « environnement ». Deux individus quelconques ont nécessairement des patrimoines génétiques différents (sauf les jumeaux homozygotes) et ont vécu des expériences différentes. Les outils intellectuels dont ils disposent sont différents ainsi que leur QI, mais nous n’avons aucun moyen d’attribuer cet écart à une cause ou à une autre. La science ne peut être neutre. Son objectif principal ne doit pas être de répondre aux questions, mais de préciser le sens de ces questions.
Chapitre huit : La tentation d’agir
L’explosion démographique
Agir sur notre effectif est urgent: n’est-il pas naturel de traiter simultanément le qualitatif et le quantitatif, de nous efforcer d’améliorer l’Homme ? La première révolution démographique est apportée par l’invention de l’agriculture (-5000 avJC). La seconde révolution est apportée par les progrès médicaux contre la maladie et la mort. Au rythme actuel, 3 ans suffisent pour ajouter à l’Humanité autant d’hommes qu’il en vivait au temps de JC. Ce développement exponentiel ne peut qu’aboutir à une catastrophe si une action collective ne se développe pas rapidement. La limite de l’espace 300 hab/km2 par nombre d’habitants sera atteinte en 2100, dans cinq générations. Voulue ou subie, la troisième révolution démographique (c'est-à-dire le passage à la stabilité) ne peut être évitée. La limitation des naissances aura des conséquences innombrables sur l’organisation sociale et les attitudes individuelles.
Les conséquences d’un nouveau régime démographique
Accepter la croissance zéro, c’est accepter une culture où le droit de procréer est soumis, soit à une réglementation extrêmement sévère, soit à une pression sociale très forte. Un décalage entre les dates auxquelles les diverses sociétés entament la troisième révolution démographique entraîne un clivage, des tensions, dont les conséquences sont difficilement prévisibles. Nous sommes devant un phénomène explosif, non autorégulé auquel nous ne sommes pas préparés. Le déluge d’hommes qui submergent notre Terre semble donner du poids aux discours de ceux qui préconisent une politique de sélection de qualité, telle l’élite des epsilons imaginés par Aldous Huxley.
Recours passés et allusions actuelles à l’eugénique
L’Allemagne nazie a été très loin dans l’eugénisme, en enlevant des petites filles polonaises correspondant à certains critères, élevées ensuite en Allemagne et fécondées par des SS. Au bout de trois naissances, elles étaient éliminées.
Aux Etats-Unis, des travaux de biologistes amenèrent des mesures concrètes: la stérilisation des individus porteurs de tares considérées comme transmissibles. Entre 1907 et 1949, 50.000 stérilisations ont été pratiquées dans 33 états dont près de la moitié sur des "faibles d’esprit".
L’Immigration Act de 1924 limite sévèrement l’immigration à partir du Sud et de l’Est de l’Europe, parce qu’on déclare que ces populations sont inférieures. On se doute bien que nous allons vers un droit à la reproduction limité, il est dés lors inéluctable d’aboutir au raisonnement du biologiste américain G. Bentley Glass: "Le droit qui doit devenir le droit suprême n’est plus celui de procréer, mais celui qu’a chaque enfant de naître avec une constitution physique et mentale saine, basée sur un génotype sain." C’est le dernier terme de la phrase qui pose problème, naître avec un génotype sain n’est pas aussi simple que B. Glass semble le supposer. Comment juger de la qualité d’un génotype ?
La difficulté de juger
Nous savons que certaines associations géniques responsables du diabète sont sans doute favorables en période de famine. Comment porter un jugement sur ces génotypes qui se transmettent pendant des millénaires et seront alternativement maléfiques et bénéfiques. Le critère n’est plus l’avenir de tel gène, ou à court terme, l’avenir de tel individu, mais l’avenir d’un groupe humain dans son ensemble, sa capacité à se renouveler.
Un bon patrimoine génétique collectif doit être divers. Il ne faut pas "améliorer les individus " mais préserver la diversité. Il faut sauvegarder la richesse génétique que constitue la présence des gènes divers. Nous sommes loin de la position simpliste consistant à proposer diverses mesures (prohibition de certaines unions, stérilisations…).
L’eugénique est sans doute l’exemple extrême d’une utilisation perverse de la science. Les abus conduisent beaucoup de nos contemporains à s’interroger sur le bien fondé de l’effort scientifique. Ce qui semblait œuvre de libération est devenu suspect, tout cet effort risque de déboucher sur une prise de pouvoir par quelques uns et l’aliénation du plus grand nombre. Le progrès de la connaissance, longtemps synonyme de progrès de l’Humanité, ne va-t-il pas aboutir à l’anéantissement de notre espèce ? Cette angoisse explique le succès du Mouvement Universel de la Responsabilité Scientifique fondé par Robert Mallet.
La richesse d’un groupe est faite de "ses mutins et ses mutants" selon l’expression d’Edgar Morin (sociologue et philosophe français). Il s’agit de reconnaître que l’autre nous est précieux dans la mesure où il nous est dissemblable. C’est la leçon que nous donne la génétique. "Si je diffère de toi, loin de te léser, je t’augmente" St Exupéry.
L’amour des différences
Quel plus beau cadeau peut nous faire l’autre que de renforcer notre unicité, notre originalité, en étant différent de nous ? La leçon première de la génétique est que les individus, tous différents, ne peuvent être classés, évalués, ordonnés: la définition de "races" ne peut être qu’arbitraire et imprécise. Par chance, la nature dispose d’une merveilleuse robustesse face aux méfaits de l’Homme.
Le flux génétique poursuit son œuvre de différenciation et de maintien de la diversité, presque insensible aux agissements humains. La révolte contre la trilogie métro-boulot-dodo, contre le carcan du confort douceâtre, l’affadissement du quotidien organise la mort insinuante des acceptations. Ce sont nos enfants qui nous l’enseignent. Sauront-ils bâtir un monde où l’Homme sera moins à la merci de l’Homme ?