Dans la langue courante, le mot tend à prendre principalement le sens que lui confère le dictionnaire : " idéal, vue politique ou sociale qui ne tient pas compte de la réalité. " Utopie ? " Chimère, illusion, mirage, rêve", dit le Robert.
Le mot serait-il condamné dès le départ par son étymologie ? En effet, Le terme utopie, inventé par Thomas More est un néologisme grec "ou" = non, et "topos" = lieu, signifie étymologiquement un lieu inexistant, un lieu de "nulle part". C'est une conception d'une société idéale où les rapports humains sont réglés mécaniquement ou harmonieusement.
Pourquoi l'utopie ?
- Pour prendre du recul
L'Utopie tend à se constituer comme l'image d'un univers ordonné s'opposant au chaos. Le recours à la fiction est un procédé qui permet de prendre ses distances par rapport au présent pour mieux le relativiser et le décrire, d'une manière aussi concrète que possible. L'épanouissement du genre utopique correspond à une période où l'on pense justement que, plutôt que d'attendre un monde meilleur dans un au-delà providentiel, les hommes devraient construire autrement leurs formes d'organisation politique et sociale pour venir à bout des vices, des guerres et des misères. Développer l'Utopie vise à convaincre les autres que d'autres modes de vie sont possibles.
L'utopie traduit une manière de penser caractéristique de l'humanisme. La société idéale peut-être une construction humaine, sans qu'il faille compter sur la Providence divine ou sur un changement surnaturel. L'utopie a pour vocation de projeter un idéal social, non de le réaliser : métaphoriquement, l'utopie ressemble à une ligne d'horizon vers laquelle l'on tend, sans jamais l'atteindre. Et d'ailleurs, l'utopie, justement parce qu'elle n'existe pas, invite d'autant mieux à l'idéalisation.
- Pour critiquer la société
L'utopie peut être considérée comme une critique de l'ordre existant et une volonté de le réformer en profondeur. Sa description relève de l'imaginaire dans un récit à portée philosophique, politique, idéologique ou morale. La fiction dans ce cas s'appuie sur une critique globale de la société où vit son auteur et l'aspiration à un monde meilleur. Les progrès utopiques sont nés de l'imagination d'auteurs et d'artistes qui vivaient des époques de changement, de crise sociale où les valeurs morales, économiques et politiques étaient remises en question.
- Pour penser le monde autrement pour mieux le changer
Il s'agit de penser le monde autrement pour mieux le changer. Aspiration à un idéal ? Rêve impossible en l’état actuel des choses ? L'utopie devient alors une plate-forme politique, un "projet de société", un projet débordant d'ambition puisqu'il vise à mobiliser les convaincus pour qu'ils engendrent un monde radicalement différent de celui qui existe. Pour recréer sur terre l'harmonie universelle ? L'ordre idéal, qui émerge du chaos ? Une tentative de reproduire ici-bas l'ordre régnant dans l'ensemble de l'univers ?
Pour que l'utopie finisse par contredire son étymologie : Qu'elle soit quelque part.
L'Utopie peut-elle encore changer le monde ?
Utopie, Michel Devillers Blog: Regarde avec l' Oeil de ton Coeur |
Qu'en est-il aujourd'hui ? Le constat du décès de l'utopie est une tentation courante. Surtout après les échecs des utopies totalitaires du XX° siècle (fascisme, stalinisme, intégrisme religieux etc).
Exemple: Le communisme est un ordre social dans lequel les moyens de production sont la propriété de la communauté, et où la répartition des biens se fait selon les besoins ; c'est aussi la démarche politique visant à atteindre un tel ordre social. La construction de la société communiste n'a pas tenu ses promesses. Cette belle idée s'est très vite transformée en dictature du Parti communiste et en un dogme figé. La découverte graduelle des véritables conditions de vie de certains régimes dits " utopiques", le mot utopie prend un autre sens plus péjoratif : ce n'est plus une simple chimère inoffensive mais une vue de l'esprit risquée, menaçant à tout moment de déraper dans le réel et d'engendrer un enfer totalitaire.
« L'Histoire moderne a montré que l'utopie est mère de toutes les dictatures . » Disait Jacques Attali
Le XXe siècle fait apparaître le progrès pour ce qu’il est: une croyance. Croyance nécessaire, peut-être, en ce qu’elle a pu cimenter, plus d’une fois, la volonté collective, mais croyance dont l’histoire nous a forcé à nous dépeindre à coups de désastres régressifs et de barbaries modernes. C’est à cette époque, que la littérature est traversée par l’opposition entre utopie et contre-utopie, entre rêve et cauchemar. C’est une opposition qui ouvre grand l’arc du possible, entre le pire et le meilleur, qui détruit les illusions du progrès. Du même coup, elle fait apparaître l’utopie comme un objet double, constitué d’une face radieuse et d’une face sombre. Certains récits utopiques font virer le rêve au cauchemar. Comme si le projet utopique pouvait à l'occasion générer son contraire, une dystopie, une contre-utopie, fragilisant ainsi la frontière qui sépare la construction utopique de la construction totalitaire.
Exemple: Les visions de "1984" de Georges Orwell ou du "Meilleur des Mondes" d'Aldous Huxley sont dans certains cas tellement justes, quand on les compare à notre époque, leur justesse et leur vérité est à glacer le sang.
Toutefois, si l'on considère que l'utopie c'est :
- prendre du recul
- critiquer la société
- penser le monde autrement pour mieux le changer
Alors, il est possible d'imaginer et de créer pour le XXI° siècle des utopies non totalitaires et non violentes, immédiates et concrètes, non plus imposées par des autorités supérieures (états, religions, organismes…),mais décidées et mises en œuvre par les individus, groupes et peuples eux-mêmes.
Jacques Attali, pour faire écho à sa première citation a aussi écrit: « Faut-il se contenter du monde comme il est et de l'Histoire comme elle vient ? »
Quoi qu'on en pense, il est clair que la démarche utopique n'est pas prête de s'éteindre et que l'imagination sociale est une dimension constitutive de la vie en commun. Au demeurant, notre histoire est remplie de promesses non tenues et il vaut mieux imaginer le futur que le subir.
«J’atteins l’âge où proposer une utopie est un devoir ; l’âge où les époques à venir semblent toutes également éloignées : qu’elles appartiennent à des siècles lointains ou à de prochaines décennies, elles sont toutes tapies dans un domaine temporel que je ne parcourrai pas. » Albert Jacquard
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