Ivan Illich (1926 - 2002) |
Il arrive aux États-Unis en 1951, et travaille comme assistant auprès du pasteur d'une paroisse portoricaine de New York. Entre 1956 et 1960, il est vice-recteur de l'Université catholique de Porto Rico, où il met sur pied un centre de formation pour les prêtres américains qui doivent se familiariser avec la culture latino-américaine. Illich fut co-fondateur du Center for Intercultural Documentation (CIDOC) à Cuernavaca, Mexico. À compter de 1964, il a dirigé des séminaires sur le thème «Alternatives institutionnelles dans une société technologique», avec un accent spécial sur l'Amérique Latine. Il vit désormais sur le mode de l'amitié.
Polyglotte, homme du Sud autant que du Nord, solidement enraciné en Occident et familier avec l'Orient, Illich mérite pleinement la qualité d'humaniste. Ses écrits sur l'école, la santé, la convivialité, l'énergie ont eu un rayonnement universel, provoquant de féconds débats dans de nombreux pays.
Polyglotte, homme du Sud autant que du Nord, solidement enraciné en Occident et familier avec l'Orient, Illich mérite pleinement la qualité d'humaniste. Ses écrits sur l'école, la santé, la convivialité, l'énergie ont eu un rayonnement universel, provoquant de féconds débats dans de nombreux pays.
Penseur de l'écologie politique, il lutta contre l'automobile et tous les moyens de transports trop rapides qu'il jugeait aliénants et illusoires ; il avait par exemple calculé qu'en prenant en compte le temps moyen passé à travailler pour acquérir une automobile et faire face aux frais qui y sont liés et non seulement le temps passé à conduire celle-ci, la vitesse du bolide était de 6 km/h.
Inventeur du concept de monopole radical (lorsqu'un moyen technique est ou semble trop efficace, il crée un monopole et empêche l'accès aux moyens plus lents, comme les autoroutes vis-à-vis de la marche à pied par exemple), il travailla à créer des pistes vers d'autres possibilités, basées sur la convivialité et la simplicité.
On peut le considérer, avec son ami Jacques Ellul comme l'un des principaux inspirateurs de l'idée de "décroissance" et de "simplicité volontaire".
La principale notion illichienne est le concept de la contre-productivité, qui décrit un phénomène embarrassant : lorsqu'elles atteignent un seuil critique (et sont en situation de monopole) les grandes institutions de nos sociétés modernes industrielles s'érigent parfois sans le savoir en obstacles à leur propre fonctionnement : la médecine nuit à la santé (tuant la maladie parfois au détriment de la santé du patient), le transport et la vitesse font perdre du temps, l'école abêtit, les communications deviennent si denses et si envahissantes que plus personne n'écoute ou ne se fait entendre), etc.
Il est décédé en 2002, suite à une tumeur qu'il a volontairement choisi d'assumer jusqu'au bout et de ne pas opérer, refusant aussi le recours à des sédatifs qui lui auraient fait perdre sa lucidité.
Extraits d’Une société sans école d’Ivan Illich 1971
Un véritable système éducatif devrait se proposer trois objectifs. À tous ceux qui veulent apprendre, il faut donner accès aux ressources existantes, et ce à n’importe quelle époque de leur existence. Il faut ensuite que ceux qui désirent partager leurs connaissances puissent rencontrer toute autre personne qui souhaite les acquérir. Enfin, il s’agit de permettre aux porteurs d’idées nouvelles, à ceux qui veulent affronter l’opinion publique, de se faire entendre. Un tel système supposerait l’existence de garanties constitutionnelles accordées à l’éducation. Pourquoi celui qui apprend devrait-il se soumettre à un programme obligatoire? Comment justifier une ségrégation fondée sur la possession de certificats ou de diplômes? L’impôt est forcément injuste lorsque tous les citoyens doivent entretenir un ensemble gigantesque de bâtiments scolaires, un corps enseignant démesuré, car tout cela ne sert que les fins de l’industrie de la connaissance, ne permet de distribuer que les produits qu’elle veut bien mettre sur le marché pour un nombre limité de consommateurs. À quoi devraient servir les possibilités que nous donne la technologie, sinon à donner à chacun les moyens de s’exprimer, de communiquer, de rencontrer les autres? C’est la liberté universelle de parole, de réunion, d’information, qui a vertu éducative.
Les écoles gèrent cette pénurie de personnel qualifié. Aux États-Unis, le nombre des infirmières est en diminution, parce que maintenant, pour exercer ce métier, il faut suivre quatre années d’études spécialisées. Des femmes issues de familles modestes suivaient naguère avec peine un cycle de deux ans ; aujourd’hui, elles cherchent un autre emploi.
Certes, exiger des enseignants de métier, dûment diplômés, conduit au même résultat. Pour ne pas manquer d’infirmières compétentes, il suffirait d’encourager celles qui exercent déjà à en former de nouvelles, et les juger, non pas sur leurs diplômes, mais sur leurs aptitudes réelles. Les diplômes représentent un obstacle à la liberté de l’éducation, en faisant du droit de partager ses connaissances un privilège réservé aux employés des écoles. Si bien que pour garantir le développement de l’échange des compétences, il nous faudrait une législation qui garantisse cette liberté d’enseigner. Le droit d’enseigner une compétence devrait être tout aussi reconnu que celui de la parole. Une fois cette restriction levée, l’étude en serait facilitée.
Mais comment convaincre les personnes compétentes de transmettre leur savoir et comment disposer des capitaux nécessaires? Nous pourrions imaginer plusieurs solutions. On pourrait, par exemple, institutionnaliser l’échange des compétences en créant des centres ouverts au public, en particulier dans les zones industrielles, tout au moins pour les connaissances indispensables à l’exercice de certaines professions : savoir lire, taper à la machine, se servir de la comptabilité, parler une langue étrangère ou plusieurs, connaître la programmation, être initié aux circuits électriques, diriger telle ou telle machine, etc. Il serait possible de distribuer à certains groupes de la population des bons éducatifs donnant accès à ces centres, tandis que les personnes plus privilégiées devraient payer pour en bénéficier.
On pourrait concevoir une solution plus révolutionnaire en créant une sorte de «banque». Ainsi, on donnerait à chaque citoyen un premier crédit lui permettant d’acquérir des connaissances de base. Ensuite, pour bénéficier de nouveaux crédits, il devrait lui-même enseigner, soit dans les centres organisés, soit chez lui, voire sur les terrains de jeux. Le temps passé à enseigner par l’exemple et la démonstration serait celui-là même qui permettrait de bénéficier des services de personnes plus instruites. Une élite entièrement nouvelle apparaîtrait, constituée de ceux qui auraient gagné leur éducation en la partageant avec autrui.
De génération en génération, nous nous sommes efforcés de parvenir à l’édification d'un monde meilleur et, pour ce faire, nous avons sans cesse développé la scolarité. Jusqu'à présent, l'entreprise s’est soldée par un échec. Et qu’avons-nous appris, si ce n’est à contraindre les enfants à gravir l’escalier sans fin de l’éducation, qui loin de conduire à l'égalité recherchée ne fait que favoriser celui qui part en avance sur les autres, ou qui se trouve en meilleure santé, ou bénéficie d'une meilleure préparation ? Pis encore, l'enseignement obligatoire semble miner la volonté personnelle d'apprendre. Enfin, le savoir considéré comme une marchandise, qu'il faut stocker et distribuer, se voit vite considéré comme un bien soumis aux garanties de la propriété individuelle et, par là même, il est appelé à se raréfier.
Bibliographie :
Libérer l'avenir, Paris, Seuil, 1969
Une Société sans école, Paris, Seuil, 1971
La Convivialité, Paris, Seuil, 1973
Énergie et équité, Paris, Seuil, 1973
Némésis médicale, Paris, Seuil, 1975
Le Chômage créateur, Paris, Seuil, 1977
Le Travail fantôme, Paris, Seuil, 1981
Le Genre vernaculaire, Paris, Seuil, 1983
H2O. Les eaux de l'oubli, Paris, Lieu commun, 1988
ABC : l'alphabétisation de l'esprit populaire, Paris, La Découverte, 1990
Du Lisible au visible : la naissance du texte, Paris, Cerf, 1991
Dans le Miroir du passé, Paris, Descartes et Cie, 1994
La perte des sens, inédit, Paris, Fayard, 2004
Œuvres complètes, volume 1, Paris, Fayard, 2004
(contient les ouvrages suivants : Libérer l'avenir ; Une société sans école ; Energie et équité ; La convivialité ; Némésis médicale)
Œuvres complètes, volume 2, Paris, Fayard, 2005
(contient les ouvrages suivants : Le chômage créateur, Le travail fantôme, Le Genre vernaculaire, H2O, Du lisible au visible et Dans le miroir du passé)
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