mardi 3 avril 2012

Cœur - Charles Péguy (1873-1914)

Cœur qui a tant saigné d'amour, de haine
Oh cœur mal résigné de tant de peine
Cœur tant de fois flétri au dur labeur
Cœur tant de fois flétri au mois de mai

Cœur qui a fait le brave assez longtemps
Vieux seigneur, vieux burgrave, cœur de vingt ans
Cœur inaccoutumé, toujours déçu
Oh cœur inanimé, toujours naissant

Cœur tant de fois failli, cœur frauduleux
Cœur tant de fois jailli, cœur scrupuleux
Oh cœur sept fois perdu, cœur gracieux
Oh cœur sept fois sauvé, oh cœur ingrat

Cœur tant de fois mené, tambour battant
Oh cœur une fois né, cœur inconstant
Cœur qui a tant rêvé, oh cœur charnel
Oh cœur inachevé, cœur éternel

Cœur qui a tant battu, d'amour, d'espoir
Oh cœur trouveras-tu la paix du soir.

Cœur - La Ballade du cœur qui a tant saigné, Charles Péguy



Portrait de Charles Péguy par Jean-Pierre Laurens
Charles Pierre Péguy, né le 7 janvier 1873 à Orléans et mort au combat le 5 septembre 1914 à Villeroy, est un écrivain, poète et essayiste français. Il est également connu sous les noms de plume de Pierre Deloire et Pierre Baudouin.

Normalien, dreyfusard militant, membre du parti socialiste, il fonde les Cahiers de la Quinzaine en 1900, réfutant le marxisme et fustigeant le "parti intellectuel". Profondément mystique, il revient à la foi catholique en 1908 et fait plusieurs pèlerinages à Notre-Dame de Chartres. Sa prose ample, ses vers redondants ont un mouvement épique et prophétique. 

Son œuvre, multiple, comprend des pièces de théâtre en vers libres, comme Le Porche du Mystère de la deuxième vertu (1912), et des recueils poétiques en vers réguliers, comme La Tapisserie de Notre-Dame (1913), d'inspiration mystique, et évoquant notamment Jeanne d'Arc, un personnage historique auquel il reste toute sa vie profondément attaché. 

C'est aussi un intellectuel engagé : après avoir été militant socialiste, anticlérical puis dreyfusard au cours de ses études, il se rapproche du catholicisme à partir de 1908 et du conservatisme, et reste connu pour des essais où il exprime ses préoccupations sociales et son rejet de la modernité (L'Argent, 1913).

Charles Péguy naît en 1873 à Orléans dans une famille modeste: sa mère, Cécile Quéré, est rempailleuse de chaises, et son père, Désiré Péguy, est menuisier. Ce dernier meurt d'un cancer de l'estomac quelques mois après la naissance de l'enfant, qui est élevé par sa grand-mère et sa mère. De 1879 à 1885, il fréquente les classes de l'école primaire annexe de l'École normale d'instituteurs d'Orléans. L'ayant remarqué, le directeur de l'École normale, Théodore Naudy, le fait entrer en 1885 au lycée d'Orléans en lui faisant obtenir une bourse qui lui permet de continuer ses études. Pendant ces années passées à Orléans, Péguy suit des cours de catéchisme auprès de l'abbé Cornet, chanoine de la cathédrale. Au lycée Pothier, quoique bon élève, il se fait remarquer par son caractère : en avril 1889, le proviseur du lycée écrit sur son bulletin : « Toujours très bon écolier, mais j'en reviens à mon conseil du dernier trimestre : gardons-nous du scepticisme et de la fronde et restons simple. J'ajouterai qu'un écolier comme Péguy ne doit jamais s'oublier ni donner l'exemple de l'irrévérence envers ses maîtres.».

Il obtient finalement son baccalauréat le 21 juillet 1891. Demi-boursier d'État, Péguy prépare ensuite le concours d'entrée à l'École normale supérieure au lycée Lakanal, à Sceaux, puis à Sainte-Barbe. Il fréquente encore la chapelle du lycée Lakanal en 1891-1892. D'après son condisciple Albert Mathiez, c'est peu à la fin de cette période qu'il devient « un anticlérical convaincu et pratiquant ».

Il intègre l'École normale supérieure le 31 juillet 1894, sixième sur vingt-quatre admis. Il sera l'élève de Romain Rolland et de Bergson, qui auront une influence considérable sur lui. Il y affine également ses convictions socialistes, selon une vision personnelle faite de rêve de fraternité et de convictions tirées de sa culture chrétienne, qu'il affirme dès sa première année à l'École. Lorsque éclate l'affaire Dreyfus, il se range d'emblée du côté des dreyfusards. En février 1897, il écrit son premier article dans la Revue socialiste, et en juin 1897, achève d'écrire Jeanne d'Arc, pièce de théâtre ; œuvre en vue de laquelle il a fait un important travail de documentation.

En politique, après sa "conversion" au socialisme, Péguy soutient longtemps Jean Jaurès, son compagnon d'études à Normale sup', avant qu'il n'en vienne à considérer ce dernier, à cause de son pacifisme, comme un traître à la nation et à sa vision du socialisme. Le socialisme de Charles Péguy n'est pas un programme politique, et ne relève pas d'une idéologie plus ou moins fondée sur le marxisme ; pour Péguy, le socialisme choisi et formulé dès sa jeunesse est essentiellement un idéal rêvé de société d'amour et d'égalité entre les hommes.

Pour Péguy, la République se doit de poursuivre, par son organisation, ses exigences morales et donc son énergie, l'œuvre de progrès de la monarchie au service du peuple tout entier, et non pas au service de quelques-uns - comme la IIIe République le faisait selon lui, à cause de la faiblesse de son exécutif et de l'emprise abusive des partis. Son nationalisme est spontanément philo-judaïque par fidélité à nos racines autant judéo-chrétiennes que gréco-romaines.

Par conviction, il s'oppose fermement à cet "universalisme facile" qui commence, à ses yeux, à marquer la vie économique et culturelle: "Je ne veux pas que l'autre soit le même, je veux que l'autre soit autre". Pour Péguy, tout ce qui relève de la confusion et du désordre enchaîne ; ce sont l'ordre, l'organisation, la rationalité qui libèrent.

L'œuvre de Péguy célèbre avec flamme des valeurs qui pour lui sont les seules respectueuses de la noblesse naturelle de l'homme, de sa dignité et de sa liberté : d'abord, son humble travail, exécuté avec patience, sa terre cultivée avec respect, sa famille ("le père de famille, aventurier du monde moderne"). Ce sont là ses valeurs essentielles, liées à son patriotisme et sa foi dans une République qui serait enfin forte, généreuse et ouverte. Et c'est précisément là, pour lui, que dans une action résolue, se rencontre Dieu. C'est à ce titre que Péguy peut apparaître comme un théologien, chantre des valeurs de la nature créée par un Dieu d'amour.

La réforme scolaire de 1902, portant sur les humanités modernes et l'enseignement secondaire unique, est sans doute la première occasion à laquelle Péguy exprime aussi violemment son rejet du monde moderne. Péguy critique dans la modernité d'abord la vanité de l'homme qui prétend remplacer Dieu, et un avilissement moral largement inévitable, en raison surtout de la part donnée à l'argent et à l'âpreté mise dans sa recherche et son accumulation ; un monde qui tourne le dos aux humbles vertus du travail patient de l'artisan ou du paysan.

Lieutenant de réserve, il part en campagne dès la mobilisation en août 1914, dans la 19e compagnie du 276e régiment d'infanterie. Il meurt au combat la veille de la bataille de la Marne, tué d'une balle au front, le samedi 5 septembre 1914 à Villeroy (ou au Plessis-l'Évêque), près de Neufmontiers-lès-Meaux, alors qu'il exhortait sa compagnie à ne pas céder un pouce de terre française à l'ennemi.

En France, de nombreuses rues portent aujourd'hui le nom de Charles Péguy; celui-ci a également été attribué à plusieurs établissements scolaires. Une grande partie des archives concernant Péguy sont rassemblées au Centre Charles Péguy d'Orléans, fondé par Roger Secrétain en 1964. On y trouve notamment la quasi-totalité de ses manuscrits. (Site internet du centre Centre Charles Péguy d'Orléans).

 Site internet sur Charles Péguy ici

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