24 heures avec 5 litres d'eau
En mars 2006, Action contre la faim (ACF), organisation non-gouvernementale, a lancé l'opération "Vingt-quatre heures avec cinq litres d'eau". Le contrat: faire la cuisine (petit déjeuner + deux repas), la vaisselle, boire, se laver (y compris les dents) et laver un tee-shirt ou une chemise.
Vivre en France comme les habitants du sud-est de l'Ethiopie, avec cinq litres d'eau par personne et par jour: l'initiative de l'ACF aurait pu sembler une méprisante mascarade si son but n'avait été de rendre concret un quotidien de survie si lointain. Si lointain, après la canicule et la sécheresse ?
A voir... Vingt-quatre heures, ce n'est rien, surtout quand il ne fait pas chaud et que l'on ne doit pas faire plus de dix kilomètres à pied pour aller chercher l'eau. Pourtant, ces vingt-quatre heures-là n'ont pas été faciles pour les vingt-cinq familles volontaires.
Première difficulté, matérielle: "Comment ne pas gaspiller? On ne sait pas faire". Second écueil, psychologique - sans doute l'aspect le plus intéressant: "Il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir..."
Les habitudes mettent six mois à se modifier Parmi les cinq candidats à l'« éco-citoyenneté » certains, très au point,ont fractionné strictement leur ration et organisé leur journée; d'autres ont pioché dans les cinq litres en fonction de leurs besoins, quitte à se trouver fort dépourvus en fin de journée.
Les habitudes mettent six mois à se modifier Parmi les cinq candidats à l'« éco-citoyenneté » certains, très au point,ont fractionné strictement leur ration et organisé leur journée; d'autres ont pioché dans les cinq litres en fonction de leurs besoins, quitte à se trouver fort dépourvus en fin de journée.
Leur aventure nous interpelle: qu'est-ce qui nous empêche de nous comporter de façon écologiquement responsable ? Pourquoi laissons-nous couler l'eau à flots alors que nous savons pertinemment que des millions d'individus dans le monde en manquent ? Parce que ouvrir un robinet, utiliser autant d'eau que l'on veut, en jeter, sont devenus des réflexes, des gestes inconscients. En prendre subitement conscience est donc une épreuve qui réclame concentration et énergie. "On se rend compte que la gestion de la pénurie, c'est du travail. Pendant vingt-quatre heures, nous avons fait attention", témoigne une famille.
A ces difficultés, rien d'étonnant: les comportementalistes estiment qu'environ six mois d'une pratique permanente sont nécessaires pour qu'un nouveau geste devienne réflexe chez un adulte. Privilège de l'âge... chez les tout-petits, les bons réflexes sont plus faciles à "imprimer".
Tous les participants sont d'accord sur un point: leur expérience a été enrichissante, elle leur a permis d'approcher de plus près la réalité d'une partie de la population du globe. "J'ai ressenti pour de vrai que la vie avec cinq litres d'eau était impossible. On se fixe sur l'essentiel: boire et manger. Être propre devient superflu".
A ces difficultés, rien d'étonnant: les comportementalistes estiment qu'environ six mois d'une pratique permanente sont nécessaires pour qu'un nouveau geste devienne réflexe chez un adulte. Privilège de l'âge... chez les tout-petits, les bons réflexes sont plus faciles à "imprimer".
Tous les participants sont d'accord sur un point: leur expérience a été enrichissante, elle leur a permis d'approcher de plus près la réalité d'une partie de la population du globe. "J'ai ressenti pour de vrai que la vie avec cinq litres d'eau était impossible. On se fixe sur l'essentiel: boire et manger. Être propre devient superflu".
Pour qu'un changement se produise, il faut une menace vitale
Vingt-quatre heures librement consenties ne suffisent pas à enclencher un processus radical. La vie quotidienne reprend vite le dessus, même si une certaine vigilance reste de mise chez les "assoiffés volontaires": un verre d'eau chacun pour se brosser les dents, l'utilisation d'une bassine pour la vaisselle, et surtout le désir d'éviter le gaspillage.
Mais personne n'a totalement bouleversé son mode de vie. D'abord parce qu'en ville c'est mission impossible ; ensuite parce que la volonté s'oppose à une puissante force, celle de la résistance inconsciente au changement, à tout type de changement. En particulier lorsque celui-ci n'est pas de l'ordre du plaisir, mais de la contrainte.
"Dans l'expérience menée par ACF", explique Jean-Marc Henriot, psychanalyste, "les personnes se sont infligées volontairement une douleur, mais limitée dans le temps. Dès que la situation revient à la normale, les habitudes reprennent le dessus. Les humains ont une telle crainte du changement qu'il faut une menace vitale pour que le basculement s'opère. Changer "en positif" est bien plus aisé que changer "en négatif", car notre moteur le plus puissant est celui qui nous pousse psychiquement à éviter la douleur et la peur".
Et, selon lui, il n'y a pas grande différence, de ce point de vue, entre comportement individuel et social. Ceci expliquerait en partie l'échec de nos sociétés occidentales à emprunter des chemins loin du gaspillage et de l'hyper-consommation, vécus inconsciemment comme d'insupportables retours en arrière.
"Dans l'expérience menée par ACF", explique Jean-Marc Henriot, psychanalyste, "les personnes se sont infligées volontairement une douleur, mais limitée dans le temps. Dès que la situation revient à la normale, les habitudes reprennent le dessus. Les humains ont une telle crainte du changement qu'il faut une menace vitale pour que le basculement s'opère. Changer "en positif" est bien plus aisé que changer "en négatif", car notre moteur le plus puissant est celui qui nous pousse psychiquement à éviter la douleur et la peur".
Et, selon lui, il n'y a pas grande différence, de ce point de vue, entre comportement individuel et social. Ceci expliquerait en partie l'échec de nos sociétés occidentales à emprunter des chemins loin du gaspillage et de l'hyper-consommation, vécus inconsciemment comme d'insupportables retours en arrière.
L'espoir vient des enfants
Une analyse partagée par Franck Hourdeau, directeur de la communication et du développement d'ACF: "Durant cette journée "Cinq litres d'eau", il y a eu un déclic, mais cela ne suffit pas. Pendant des années, j'ai travaillé dans le domaine de la prévention des accidents de la route. Je me suis lourdement trompé en croyant à la seule puissance de l'éducation. La seule chose qui a eu des effets immédiats, c'est la coercition. La peur du gendarme. Et j'en suis désolé. En ce qui concerne l'écologie, je pense que les choses ne changeront que lorsque nous aurons à faire face à une situation vraiment dramatique".
Sans attendre cette catastrophe naturelle qui entraînerait une prise de conscience collective, il est nécessaire que les associations, les écologistes, les pouvoirs publics continuent à à expliquer, à motiver. Car exiger des changements individuels sans leur donner de sens est une entreprise vouée à l'échec.
Ces petits gestes quotidiens d'"écocitoyens" ne deviendront certes pas réflexes du jour au lendemain. Il est tout de même permis d'espérer, en particulier des enfants. Ils ont, eux, la souplesse et la fraîcheur nécessaires pour entendre, comprendre et agir. A 8 ou 9 ans, on intègre vite dans ses valeurs profondes des notions telles que "Touche pas ma planète" ou "Arrêtons de gaspiller l'eau".
A Savoir
- Consommation par jour et par personne (source ONU 2005, ACF 2004 et Eurostat, 2001)
Etats-Unis: 600 litres.
France: 150 litres.
Afghanistan rural : 10 litres.
Sud-est de l’Ethiopie: 5 litres.
- L’Organisation des Nations unies (ONU) estime à 50 litres par jour et par personne le seuil vital minimum.
- 1,5 milliard de personnes vivent actuellement en dessous de ce seuil ; elles seront 3 milliards en 2030.
www.actioncontrelafaim.org |
ACF sur Internet : www.actioncontrelafaim.org
Source: Article: "L'eau, pourquoi nous la gâchons", Christilla Pellé-Douël, Psychologie Magazine n°256 - Octobre 2006
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